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Eurockéennes

Belfort, du 3 au 5 juillet 2015

Live-report rédigé par Xavier Turlot le 12 juillet 2015

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vendredi 3
L'édition 2015 des Eurockéennes aura égalé son record d'affluence, avec 102 000 festivaliers venus acclamer les soixante-quatre groupes invités cette année sur les rives de l'étang de Malsaucy... Une chaleur caniculaire à peine supportable aura marqué cette cuvée, heureusement allégée par une logistique impeccable qui a offert eau fraîche, brumisateurs géants et crème solaire. Seuls sept groupes britanniques se retrouvent noyés cette année dans la marée américano-française, et s'ils sont finalement assez peu représentatifs de l'incubateur géant qu'est la Grande-Bretagne, ils n'ont pas eu le défaut de passer inaperçus...

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St. Paul and The Broken Bones, un groupe de soul originaire de l'Alabama, inaugure la grande scène avec ses compositions au ton intemporel et grandiloquent. Le chanteur, Paul Janeway, a un sacré coffre et recouvre presque toute la surface du site de ses envolées lyriques sudistes. L'audience est encore mince, les premiers spectateurs se (re)familiarisent avec les lieux et l'heure est encore à la flânerie, pourtant le groupe réussit quand même à attirer la foule. Des cuivres et des guitares électriques très brillantes offrent un son assez strident et pas très équilibré mais cela a le mérite de démarrer les festivités sur les chapeaux de roue avant que Laetitia Sheriff n'enchaîne en face, au Club Loggia, avec son rock sombre et dissonant.

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Le gros rock qui tache commence avec Royal Blood, le duo de Brighton taillé pour les stades. Mike Kerr et Ben Thatcher arrivent habillés de noir, avec forcément un peu de mal à remplir à deux une scène aussi grande, mais leur musique musclée rétablira vite l'équilibre. Les morceaux de leur album éponyme sont taillés dans un blues rock primitif et minimaliste, le chanteur ne joue que d'une basse mais il la fait sonner comme une guitare hard rock, accompagnés par un batteur brutal autant qu'imperturbable. Les riffs efficaces et les refrains accrocheurs s'enchaînent, la foule en nage s'épaissit devant un Mike Kerr au look de biker imperturbable qui rappelle plusieurs fois son plaisir d'être là.

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Logistique calée à la minute, il n'y a pas une minute de blanc entre les scènes qui se côtoient. A la dernière note d'un groupe succède la première d'un autre. Quand le dernière note de basse s'évanouit, le compatriote des Royal Bloods, Jack Garatt, enchaîne en face dans un tout autre registre. L'Anglais au look hipster très assumé trône entre claviers et pads, non loin d'une guitare électrique. Homme-orchestre 2.0, Garatt attaque avec méticulosité et concentration sa musique qui fusionne rock, pop, soul et musique électronique avec une subtilité touchante. Quand on se lance seul dans une telle entreprise il vaut mieux ne pas être dans la lune, et l'Anglais ne l'est pas ; sur Worry il fait s'enchaîner des phrasés R'n'B et des passages dubstep avec naturel, sur The Love You're Given il exécute un magnifique falsetto qui s'achève dans une soupe électronique surpuissante. Water est sans doute le point d'orgue de sa performance ce soir, les wobbles qui accompagnent le chant soyeux sont relayées par un sublime de riff de guitare qui se mue en solo épique et exécuté à la perfection par cet artiste qui a décidé de ne pas choisir quel instrument pratiquer.

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C'est ensuite à Ben Harper de prendre le relais sur la grande scène. Il s'agit déjà de son quatrième passage aux Eurockéennes depuis 1995. Le Californien coiffé d'un chapeau de ranger est plus que rodé à ce type de concerts et il affiche une sérénité absolue quand il attaque Burn To Shine. Avec quatorze albums au compteur, on devine vite que le show tournera à une espèce de Best Of. Une réadaptation musclée de Homeless Child et une Steal My Kisses très étirée marque un vibrant début de concert, où chacun brille dans son rôle. Le groove de la basse et les énormes solos sont une marque de fabrique des Innocent Criminals, tout comme la variété des styles du sud des Etats-Unis qu'ils empruntent. Il y a légers flottements sur des morceaux impersonnels comme Brown Eyed Girl ou la sirupeuse Diamonds On The inside, mais une autre phase s'ouvre quand Ben Harper s'attaque à l'autre de ses talents, à savoir le jeu au bottleneck d'une pedal steel guitar. Toujours aussi calme et concentré, il s'assied et attaque Ground On Down copieusement agrémentée de percussions, chanson au cours de laquelle il exécute un solo dantesque complètement distordu avec cette touche de folie supplémentaire permise par son morceau de verre. La plongée dans le passé fera ressurgir Roses From My Friends, une sublime ballade qui ce soir dépassera allègrement les dix minutes et qui nous rappelle que le chanteur excelle autant à fort volume que dans les murmures de respiration. Burn One Down remémorera aussi de lointains souvenirs aux spectateurs, avec son riff de guitare acoustique impossible à oublier et qui doit beaucoup à la Redemption Song de Bob Marley. Le public salue copieusement ces vingt ans de carrière offerts ce soir.

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Après toutes ses guitares il est temps de voir ce que les programmateurs ont préparé pour représenter les tendances plus modernes. Le collectif Cotton Clawest originaire de Besançon et s'est formé autour du talentueux Yoggyone, un artiste qui avait sorti il y a quelques années un fantastique disque de post-dubstep intitulé Canopée, un style très peu représenté en France. Le disque qu'ils viennent de sortir, Volutes, est clairement plus club-compatible, mais aucune exigence esthétique n'a été sacrifiée. Les quatre musiciens sont placés en ligne le long d'une table, balancent leurs corps comme des possédés et n'ont pas laissé traîner d'ordinateur dans les parages. Tout à la MPC. Les rôles s'interchangent tout le temps entre rythmiques, basses et lignes mélodiques au gré des morceaux joués. Grainy et Leaps and Bounds font vite entrer la foule dans le tourbillon hypnotique des bisontins, qui soignent absolument chaque texture avec un infini sens du dosage. De temps à autre un musicien ne tient plus en place et part se dégourdir les jambes loin de sa console pour alpaguer le public, il n'y aura que quelques secondes de communication verbale car on sent qu'ils ont envie de jouer et de donner le plus possible en un temps record. Yoggyone réussira à jouer un solo entier en levant sa machine, ce qui constitue une prouesse physique assez rare dans l'univers de l'électronique. Outre la musique profondément géniale, le mérite de ce groupe est de parvenir à rendre leur oeuvre charnelle et à complètement l'incarner. Ceci dit ils ne seront pas les seuls à réussir ce tour de force ce soir car le Norvégien Todd Terje opère quelques minutes plus tard sur la scène de la Plage, devant laquelle les festivaliers ont les pieds dans le sable, bien en mal de ne pouvoir accéder à l'eau du lac à cause des barrières.

Todd Terje a provoqué un buzz intersidéral avec Inspector Norse, le single issu de son album It's Album Time, un fourre-tout électronique qui puise dans la dance et la disco avec un emploi massif de batterie. L'audience est donc logiquement très dense. Le leader est entouré par un autre clavier, un batteur et un percussionniste. Entre accords chaloupés de piano à la limite de la samba et envolées purement électronique, le concert est d'une qualité acoustique irréprochable. Le son est très fort et parfaitement équilibré, les gens peuvent danser avec un confort auditif total et l'absence de coupure entre les morceaux donne l'illusion d'un DJ set. Delorean Dynamite nous plonge dans une ambiance années 1980 sordide située quelque part entre Drive et Rocky, avec un maniement incroyable du kitsch qui inonde chaque partie de chaque chanson sans jamais frôler le vulgaire. Le sample de voix insensé d'Alfonso Muskedunder retentit sans accrocs sur une batterie jazz ultra technique avant d'en arriver à un Inspector Norse anthologique, suggéré, amplifié et étiré comme il se doit.

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Sur la Green Room c'est à The Dø, l'une des grosses têtes d'affiche de ce soir, d'enchaîner les festivités. Le duo a accédé à la célébrité depuis son tout premier album mais les choses ont pris beaucoup d'ampleur depuis, notamment avec la sortie récente de leur quatrième, Shake Shook Shaken. Le visuel est soigné : des néons verticaux forment un cercle autour du duo et des sortes de filaments luminescents pendent d'une structure. Olivia Merilahti et Dan Levy arrivent sur scène sous les cris du public et entament une version minimaliste de On My Shoulders, leur premier single déjà vieux de sept ans. La chanteuse est dans un état de tension palpable, dans une posture de diva de classe mondiale. Chacun de ses mots est pesé et porté par une voix fragile et juste qui fait les montagnes russes sur ses gammes. Son complice se contente d'effectuer de légers accords sur son clavier, juste ce qu'il faut pour soutenir la voix. Voila une curieuse et belle manière d'ouvrir un concert. Pour le coup, The Dø seront presque exclusivement tourné vers la défense de leur dernier album. Les tubes électro-pop sont déroulés dans un grand fracas d'éclairages et de mise en scène dignes d'un péplum. La chanteuse franco-finlandaise est magnétique : sa gestuelle, ses vêtements et sa communication entre les morceaux mettent tous les autres éléments en orbite. La tragique Sparks qui prend aux tripes amène à Slippery Slope, l'une des rares chansons qui vienne d'un autre album ce soir. Un morceau très osé, tribal et maléfique, qui nous fait réaliser d'un coup que le groupe a pris une trajectoire très policée depuis. Le morceau de clôture, Aha, confirme aussi cette impression. Plus fou et plus rock, plus proche de groupes comme CSS ou Le Corps Mince de Françoise, la composition de ces titres tranche avec le polissage au kärcher de Shake Shook Shaken même si la qualité intrinsèque de la musique est restée intacte. Ces réflexions faites, The Dø est bel et bien devenu une machine à enchanter les foules et ils le font avec brio et talent en se bâtissant tout un univers rétro-futuriste séduisant.
artistes
    Ben Harper & The Innocent Criminals
    Skip The Use & friends
    The Dø
    Royal Blood
    St. Paul & The Broken Bones
    Black Label Society
    Boris Brejcha
    Fakear
    King Ayisoba
    The Soft Moon
    Big Freedia
    Todd Terje and The Olsens
    Pusha T
    Laetitia Sheriff
    Cotton Claw
    Jack Garratt
    Off!
    Set&Match
    Georgio
    Sianna
    Ho99o9
photos du festival