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Block Party

Paris, du 29 au 31 mai 2025

Live-report rédigé par Adonis Didier le 4 juin 2025

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jeudi 29
C'est désormais une tradition, weekend de l'Ascension rime à Paris avec Block Party, une Supersonic's Block Party toujours plus ambitieuse pour sa troisième année qui passe de quatre à neuf salles, et donc d'une trentaine de groupes à environ soixante-quinze répartis sur trois jours. Du jeudi férié au samedi fumigène, des groupes qui joueront une, deux ou trois fois, avec en général deux voire trois concerts en parallèle sur un même horaire, le tout de 16h30 à 23h30, pour le plus grand plaisir des amateurs de musique rock indé underground et de tableaux Excel. Avec cette année un petit supplément marche à pied, car à passer des quatre salles situées autour du Supersonic à neuf, on élargit la formule et on rajoute de l'autre côté de Bastille le carré composé du Café de la Danse, de la Mécanique Ondulatoire, des Disquaires et du Badaboum, ainsi que tout seul dans son petit coin vers la gare de Lyon notre bien-aimé POPUP! (spoiler : on n'y aura pas mis les pieds une seule fois).


Donc voilà, au revoir le POPUP!, ravi d'avoir parlé de toi, et comme la journée s'annonce chargée, dirigeons-nous tout de suite vers le Supersonic dès 16h30 pour l'ouverture du festival et le concert de PROJECTOR. Un groupe de Brighton que l'on avait jusqu'alors seulement croisé à Brighton pour le Great Escape, encore un festival où on court entre des salles humides, et une ambiance qui monte doucement mais sûrement dès la grungy Hope Springs Eternal. Le groupe est calé, sûr de lui, le son a gagné en densité et en intensité depuis l'année dernière, et la charge combinée de Chemical et Breeding Ground met déjà nos résolutions pacifistes à rude épreuve. Un mélange de post-punk et de grunge bas du front qui trouve son apogée dans la folie de The Sham! The Sham! The Sham!, l'efficacité de la bombe Tastes Like Sarah, et une Tame qui ressemble si fort à du Pixies que c'est en réalité une reprise des Pixies. Ce n'est pas la première fois qu'un groupe reprend les Pixies à la Block Party, la dernière fois c'était goo avec Gigantic lors de la première édition, reste à savoir avec le futur deuxième album de PROJECTOR et une date au Point Ephémère en octobre si ce début de romance avec le groupe de Lucy Sheehan et Ben Hampson est une relation faite pour durer, en tout cas ce second date nous fait dire que le groupe a déjà bien grandi et qu'on s'attend clairement au mieux pour la suite.


Deux pas de côté et nous voilà au Supersonic Records, dans l'amour et la fumée d'un groupe qui allie les deux nationalités les plus répandues de ce festival : anglaise et néerlandaise (ex-aequo avec les irlandais mais chut). Zo Lief, si charmant dans la langue de Rembrandt, Laura Chen et James Attwood accompagnés d'un batteur pour une escapade de trente minutes dans le temps et l'espace, suppléments santiags et fumée violette de rigueur. Un groupe que l'on avait déjà vu ici même deux ans plus tôt et qui a lui aussi bien grandi : Pinch Me dynamise d'emblée l'intro de concert alors que You (A Burden) nous subjugue de ses volutes années 60 et de sa pétarade finale. Le duo a gagné en assurance, en puissance, le calme hypnotique de Why You Should et Hypnosis passe magnifiquement bien, et She Makes You Look Twice nous fera regarder trois ou quatre fois en arrière alors même que la pression du prochain concert se fait déjà sentir, et que l'on quitte à grands regrets l'oasis de douceur et de romantisme arrosée par Zo Lief, perle trop bien cachée de cette pop brillante qui fit un jour la renommée mondiale de l'Angleterre.


Et vous savez ce qui a aussi fait la renommée de l'Angleterre ? La britpop ! Retour dans la cave de la Seine Café pour l'unique set de SOLAR EYES de ce weekend, un set qui a failli ne jamais avoir lieu parce qu'un certain chanteur a pris la passeport de sa copine à la place du sien, et on remerciera sa mère de l'avoir conduit de Birmingham à Manchester pour prendre le dernier avion disponible pour Paris. Bref, Glenn Smyth est arrivé seulement trente minutes avant le début du concert mais fera comme si de rien n'était, pour une demi-heure de musique dans un renfoncement de mur désormais constellé de guirlandes pendues comme des lianes, et si le concert ne rendra pas hommage au talent musical du duo, cette fois-ci en configuration à trois avec un bassiste parce que c'est moins cher, il nous rappellera au moins que SOLAR EYES ont sorti l'un des meilleurs albums de l'année 2024. Enfin ça, et le fait que les anglais et la mode ça fait toujours deux, au vu du complet bob – lunettes de soleil fumées d'un Glenn Smyth avec la tête du parfait touriste tout juste débarqué des Midlands. En espérant très fort les revoir dans une meilleure salle avec un set complet et un taux d'humidité de moins de quatre-vingt-quinze pourcents.

Et voici l'heure de retourner à l'air libre et au Supersonic pour la totale découverte de Bucket. Trois jeunes dublinois rapides et furieux, ça part dans tous les sens, parfois trop mais c'est aussi pour ça qu'on est là, le groupe déballe son noise-punk industriel sans se préoccuper de ce qu'il se passe autour de lui, on passe de mélodies accrocheuses en gros riffs en moments de pur « bruitalité », on ne sait où commencent et où finissent les chansons, des bouteilles de bière glissent sur des cordes de guitare, des micros sont à moitié avalés par un chanteur au visage adolescent, et on trouve que tout ça est quand même bien bourrin jusqu'aux dix dernières minutes de show. Des dernières minutes qui repassent sur l'unique EP de Bucket, Muck, et qui lâchent le format hybride et bordélique pour une cavalcade effrénée et sanglante de punk ravageur sur fond noise et industriel. Si vous en doutez allez donc écouter Living Bridge et Hash Browns. Le possible futur du noise irlandais n'a probablement pas vingt ans et déjà la tête dans le seau, mais attendez seulement que Daniel Fox leur tombe dessus car personne n'est prêt pour ça, et pas même un Franck Narquin qui ressort déjà de la fosse avec trois côtes cassées et un lumbago.


Ça ne fait donc que deux heures que cette nouvelle Block Party a commencé et on est déjà trempé de sueur, collant dans un t-shirt qui mélange les torchons et les serviettes, alors le mieux à faire est probablement d'aller danser dans un bunker sur du Joy Division. Le nouveau virage des Irlandais de Scattered Ashes à la Mécanique Ondulatoire, deux cents pourcents d'humidité, une jolie odeur de moisi, et un duo qui a pris le parti de revenir quarante-cinq ans en arrière, aux origines du post-punk, dans une musique aussi mortifère et claustrophobe que la salle dans laquelle on la vit. Une expérience hors du temps et du code du travail menée par un Robert Dalton qui se plaindra d'avoir chaud sans transpirer une goutte, et que l'on aura du mal à juger tant leurs nouvelles chansons et leurs attitudes sont hyper référencées au groupe de Ian Curtis. Si vous aimez le style allez-y, mais on préférera personnellement le final Kingdom tiré de leur premier EP All That Is Solid Melts Into Air, une chanson et un EP qui avaient au moins le mérite de chercher à aller au-delà de leurs inspirations évidentes, plutôt que nous ressusciter Joy Division en 2025 alors que tout le monde est déjà en burnout.

Après la déprime, la plage, on ressort prendre l'air et faire un saut au Badaboum pour Dews Pegahorn, un allemand seul qui chante par-dessus son techno-rock enregistré devant les quelques gars déjà bourrés de la journée, une expérience amusante qui nous convaincra d'aller voir vingt minutes le rock sautillant des hollandais de Bongloard et de se Get Fucked pour la peine ! Ça se met à pogoter et à slammer dans la salle des Disquaires, une salle vraiment pas prévue pour ça mais personne n'est mort et tout le monde s'est bien amusé, alors on reprend une grande inspiration et on retourne dans le bunker, re-bienvenue à la Mécanique Ondulatoire pour le punk californo-irlandais d'Adore.

Un groupe qui nous rappelle que la batterie n'est pas sonorisée à la Mécanique Ondulatoire, donc évitez d'aller tout devant si vous voulez entendre quoi que ce soit d'autre dans le mix, et si le trio est seulement irlandais d'origine, c'est bien le punk californien des années 80 qui coule dans leurs veines, le son cassette lo-fi déglingué en cadeau. Un concept un peu particulier qui fera mouche sur les quelques fans encore en vie d'Hüsker Dü ou des Dead Kennedys, mais il suffit qu'on dise ça et voilà que la salle affiche complet et qu'on peine à ressortir en zigzaguant dans la file d'attente. Et plutôt qu'adorer, on va dire qu'on a passé un bon moment amical avec Adore, même si la chanteuse et guitariste Lara Minchin aura eu la bonne idée d'envoyer un petit « Allez les Bleus ! » de circonstance pour se mettre le public dans la poche.

Allez les bleus quand on est irlandais, un comble, mais comme ici on traite exclusivement des nations du rugby, direction Tayne et le quinze de la rose, et sortir du bunker pour aller dans la cave, en voilà un autre comble. Non, pas un grenier, une cave, et toujours celle de la Seine Café, pour accueillir le probable seul groupe d'électro-stoner de toute l'Angleterre, composé d'un frontman tatoueur à Londres et d'un bassiste qui porte un t-shirt avec des boobs, des mecs bien fins qui jouent une musique toute aussi fine, et de toute façon retranscrire la subtilité n'a jamais été le fort de la « salle » de la Seine Café. On aura donc encore droit à une belle bouillasse là où la musique de Tayne sait se faire beaucoup plus variée et éclectique en studio, de ce qu'on en a vu sur leur premier EP LOVE en tout cas, alors bon autant headbang toute la soirée et se déboîter les cervicales, dans le sillage des longs cheveux qui tournoient dans la salle et sur scène. Tayne, une vraie belle découverte dans le paysage musical anglais, à la croisée du métal et de l'électro, et un nom à surveiller pour tous les fans de grosse lourdeur (sonore).


Changement radical d'ambiance et de contexte, nous voici pour la première fois du weekend au Café de la Danse pour le retour de Do Nothing à Paris. Une salle où on respire avec un son nickel, alors jamais l'idée ne nous viendra de nous plaindre de ce très beau concert des boys de Nottingham et de leurs nouvelles chansons. Des chansons de leur futur album aux airs toujours plus disco-funky, dans la lignée de l'évolution récente de Yard Act sur l'enchaînement Smile et Act Natural, mais soyons honnête, si on est là, c'est pour LeBron James, le meilleur joueur de basket de l'histoire devant Michael Jordan, et la meilleure chanson de l'histoire de Do Nothing pour l'instant. Le Café de la Danse se pare de sa plus belle affiche de la Block Party projetée sur le mur de briques derrière le groupe, le bassiste Charlie Howarth passe aux claviers pour tapoter le groove de Stars, alors que Chris Bailey alterne cris de psychopathe et crooning endiablé jusqu'à Nerve, probablement la deuxième meilleure chanson de l'histoire de Do Nothing pour l'instant. Un concert solide qui nous en dit un peu plus sur l'orientation à venir du groupe, mais qui nous laisse dans l'indécision quant à savoir quelle est la place du groupe dans la cosmogonie du post-punk anglais. Moins fun et remuant que Yard Act, moins possédés que The Murder Capital, moins perchés que Squid, moins brillants que Hotel Lux, Do Nothing semblent condamnés à rester bloquer dans le ventre mou du championnat, et en même temps un petit Toulouse-Brest du dimanche après-midi ça fait toujours plaisir !

Et vous savez ce qui fait aussi plaisir ? Aller se la coller dans le pogo de Soapbox à la Mécanique Ondulatoire : retour rapide et en trombe dans le bunker, les petits génies fous furieux de Glasgow font exploser le souterrain jusqu'à le rendre invivable, le chanteur chauve et asthmatique Tom Rowan conclut Fascist Bob et sort en courant torse nu reprendre son souffle, et on en parlera plus abondamment au jour 2 mais sachez que Soapbox, avec seulement deux EPs, sont déjà dans le très haut du panier de ce qu'il se fait en musique énervée outre-Manche, le genre de groupe à ne manquer sous aucun prétexte. Et c'est ainsi que se termine cette première journée qui n'avait pour but que de mener au concert du meilleur groupe de punk-ska-swing-jazz-électro-folk de toute l'histoire de l'Angleterre, un groupe dont on n'aura manqué aucun concert parisien depuis leur tout premier en 2022, déjà dans ce même Supersonic Club : Opus Kink.


Et pour toutes ces soirées et ces nuits que l'on passe au Supersonic, rarement on aura vu le club aussi blindé, quand se lancent dans la chaleur moîte les notes introductives à Come Over, Do Me Wrong, premier inédit du soir et probable aperçu du premier album à venir des plus débauchés des lads de Brighton. A cinq de front avec leur batteur derrière, la ligne offensive comprend clavier, guitare, basse, saxophone, et trompette pour le plus grand délire d'une foule à rien de crier « mais qu'est-ce qu'on est serrés au fond de cette boîte », une foule de sardines à l'huile suantes et puantes qui reprend en chœur toutes les chansons déjà connues : I Love You Baby, Dust, I Wanna Live With You, avant de découvrir la très belle et légèrement pop Sweet Goodbye. Une chanson conclue par une valse, et une valse de gens qui slamment par-dessus la foule, le merdier est total, Malarkey fait tomber une ambiance de catacombes sur la ville, les dernières inédites Will It Come For You et I'm A Pretty Showboy lancent un pogo continu sur lequel surfera très littéralement St. Paul Of The Tarantulas, un claviériste et un saxophoniste à la mer sur la fosse, il est 23h35 et on se dit que c'est fini, et que putain c'était vraiment incroyable. Mais avec Opus Kink ce n'est jamais fini, et le public trépigne dans son jus et ses douze centimètres carrés de la folie de 1:18, les cuivres éclatent, les trompettes de l'apocalypse annoncent le chant maudit d'Angus Rogers, ça monte et ça descend comme le déluge et personne ne viendra nous sauver si ce n'est un train, This Train, conclusion cintrée à une heure de folie autant physique que mentale, un concert extrême dans tous les sens du terme qui nous ressort lessivés, essorés, pliés et rangés avec les chaussettes dans l'armoire, et dire qu'il reste encore deux jours comme ça !

Bref, entre tradition et modernité, entre découvertes et confirmations, on finit cette première journée avec des noms plein la tête, on imagine le brillant avenir de Zo Lief, Bucket, Tayne, Soapbox, on en veut toujours plus de PROJECTOR, Solar Eyes, et Do Nothing, et dans le reflet des portes du métro on attend plus que tout au monde le premier album du meilleur groupe de punk-ska-swing-jazz-électro-folk de toute l'histoire de l'Angleterre : Opus Kink. Des groupes dont on reparlera, d'autres que l'on ne reverra plus, mais dans le tourbillon de la vie il n'est assurément qu'une certitude, on sera là demain, alors j'espère que vous aussi, parce que croyez-moi je n'ai pas écrit tout ça pour rien !
artistes
    Adore
    Aqualine
    Arse
    Basht.
    Big Sleep
    Bongloard
    Bucket
    CQ Wrestling
    Dews Pegahorn
    Do Nothing
    DREAMWAVE
    ELLiS·D
    Fiep
    Funhaus
    Graywave
    Honeyglaze
    L'orne
    Lemondaze
    Lezard
    Lip Filler
    No Cigar
    Opus Kink
    Post-Party
    PROJECTOR
    Scattered Ashes
    Sharktank
    Soapbox
    Solar Eyes
    Sorry Girls
    Sunday (1994)
    Tayne
    The Youth Play
    Van Houten
    Venus Grrrls
    Yndling
    Zo Lief