logo SOV

B.E.D

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 15 novembre 2018

Bookmark and Share
Baxter Dury, Etienne de Crécy et Delilah Holliday. Qui aurait misé sur un pareil trio, à mi-chemin entre Paris et Londres, à mi-chemin entre le dandy corrosif, le compositeur électro minimaliste et la riot grrrl ? Réunis dans le studio d'Etienne de Crécy à Paris pour discuter d'un side-project aussi inattendu que passé sous les radars du buzz médiatique, le trio B.E.D s'affiche avec une inhomogénéité telle qu'elle ne pouvait que conduire à un disque attisant la curiosité, entremêlant des titres courts, froids et synthétiques sur une production plus que minimaliste. Et même si la rencontre de Baxter Dury avec Etienne de Crécy remonte à 2015 (Super Discount 3), force est de constater que Baxter Dury parvient toujours à nous surprendre !

Baxter, comment t'est venue l'idée saugrenue d'enregistrer un album d'éléctro-pop en compagnie d'un des représentants de la French Touch et de la leader du groupe de riot grrrls anglais, Skinny Girl Diet, Delilah Holliday ?

Baxter : Avec Etienne nous collaborons souvent l'un et l'autre sur nos projets respectifs. Que ce soit des collaborations visibles ou pas. On partage aussi du temps quand je suis à Paris ou lui à Londres. Comme il m'arrive de passer pas mal de temps dans Paris et qu'Etienne à un très beau studio en plein cœur de la capitale, à un moment donné notre collaboration a franchi le cap de la création d'un album commun. C'est aussi simple que cela.

OK pour Etienne. Mais pourquoi et comment as tu pensé à inviter Delilah Holliday, du groupe punk londonien Skinny Girl Diet, sur ce side-project ?

Baxter : Nous avons des amis en commun à Londres, d'où nous sommes tous les deux. Avec Etienne, nous avions très envie d'inviter une artiste une et voix inattendues sur cet album. Je voulais intégrer des guests différents de ceux que j'avais eus jusque là sur mes albums solo précédents et qui, parfois, pouvaient sembler un peu prévisibles. Il nous fallait un artiste à la forte présence et au fort caractère. Qui de mieux que Delilah, de fait ?

C'est donc un projet qui s'est construit autour de bandes ou de démos qu'Etienne avaient déjà en boîte ?

Etienne : Ça dépend des titres. J'avais, effectivement quelques instrumentaux en boîte sur lesquels Baxter est venu poser ses textes. D'autres fois, c'est Baxter qui a proposé des mélodies sur lesquelles j'ai fini de composer. Il n'y pas vraiment eu de processus défini pour créer B.E.D.

Delilah, as-tu été surprise de l'invitation de Baxter et Etienne à participer à ce projet ?

Delilah : Oui et non. Cet album est une sorte d'invitation au voyage qui fait constamment la navette, au fil des titres entre les atmosphères de Londres et Paris. C'est ce qui m'a vraiment intéressée dans ce projet. Je suis arrivée à Paris en connaissant et en appréciant parfaitement les disques de Baxter et d'Etienne. Et quand Etienne m'a fait écouter les premières démos, j'ai tout de suite su que nous allions beaucoup nous amuser à faire cet album.

Pourtant, on ne peut pas dire que l'électro d'Etienne ou la pop acide de Baxter soit spécialement ta tasse de thé. Habituellement tu officies dans un genre musical légèrement plus brutal, voire sauvage ?

Delilah : C'est vrai. Mais j'ai toujours voulu participer à un album électro et me confronter à la musique électronique. Si ce n'est pas le style musical de mon groupe, j'en écoute beaucoup en revanche.

Baxter, fin 2017 tu as fini de t'imposer comme un grand story teller et song writer avec la sortie et la reconnaissance quasi unanime de l'album, Prince Of Tears. Quand avez-vous commencé l'écriture de B.E.D ?

Baxter : Dès la fin du mixage de Prince Of Tears, mon esprit voguait déjà du coté de chez Etienne et de B.E.D. J'ai un coté assez compulsif quand il s'agit de créer des trucs...

Comment avez-vous fait pour garder le secret autour de B.E.D ? Jusqu'au buzz du single White Coats en septembre dernier et même jusqu'à début octobre, quasiment aucun média n'avait eu vent de votre side-project...

Baxter : Nous n'avons rien fait pour garder B.E.D secret ! Au contraire, nous avons tout fait pour que les médias en parlent, mais apparemment ça ne les a pas intéressé (rires) ! Je crois que cela vient du fait que nous ne savions pas vraiment dans quelle direction nous allions, jusqu'à la conclusion du tracklisting. Jusqu'à ce soir de beuverie à Londres où, à travers mon smartphone j'ai fait écouter quelques titres de B.E.D à trois personnes du label qui me représente à Londres ; c'était la première fois que je faisais écouter B.E.D à quelqu'un. Après cela, ils n'ont pas arrête d'en parler en termes positifs et nous avons su que cette non-direction en prendrait une, finalement. Il n'y a jamais eu de plan marketing ou de stratégie en place autour de B.E.D.

Avec la ligne claire du piano électronique et ce duo de voix grave/aiguë, le titre White Coats, premier single de B.E.D, s'est très vite distingué lors de sa découverte après l'été 2018...

Baxter : Je crois qu'il est surtout très en vogue en Angleterre actuellement...

Il l'est aussi en France et les bars comme les clubs le jouent de Paris à Marseille depuis deux mois...

Baxter : Sérieusement ? J'adore Marseille.
Etienne de Crecy : On ne m'avait pas dit que le titre avait déjà fait le tour de la France ! Baxter, il faut qu'on aille à Marseille dans les semaines qui viennent.
Baxter : Il faut faire attention à Marseille (rires). Une fois j'étais dans un club et j'ai ramassé une balle de revolver sur la piste de danse (au sens propre) ! Ceci dit, à Londres les balles finissent de plus en plus fichées dans le corps de jeunes dans les banlieues pauvres...

Nous sommes dans le studio totalement rénové d'Etienne de Crecy, quelques part dans dixième arrondissement à Paris. Est-ce là que B.E.D s'est construit ?

Baxter : Nous avons tout fait nous-mêmes dans ce studio.
Etienne : Le studio n'était pas encore totalement rénové quand nous avons enregistré B.E.D mais tout l'album, voix et mixages compris, a été créé ici.
Baxter : Ce studio peut paraître petit (et il l'est), mais il est très bien équipé. C'est aussi ce qui fait le son et le particularisme des compositions de B.E.D.

C'est un album quasiment auto-produit donc ?

Baxter : Il n'y a pas vraiment de producteur sur cet album. Etienne est capable de composer, de mixer et de produire d'une seule main (rires). Etienne est un peu le « papa » de ce disque.

A la fin du tracklisting, il y a ce titre nommé Eurostars. Toi qui parlais d'invitation au voyage entre Londres et Paris, Delilah, et étant donné l'époque eurosceptique que nous traversons et que vous, Anglais, allait bientôt expérimenter grandeur réelle, ai-je tort de penser que ce titre est une prise de position déguisée concernant le Brexit ?

Baxter : Pas du tout ! C'est au sujet d'un mec qui se réveille dans un Airbnb avec des miettes sur la gueule et qui s'en retrouve un peu déprimé (rires).

J'y ai vu une autre lecture de ton texte...

Baxter : Vraiment ? J'aime ça aussi. Je n'ai jamais aimé qu'un texte n'ait qu'un seul sens qui force l'auditeur à le suivre. Et si toi tu l'entends comme ça, alors oui, c'est à propos du Brexit (rires) !

Et si je dis que la réunion de vous trois est, également, une sorte de prise de position anti-Brexit, j'en ai le droit ?

Baxter : Pour moi le Brexit n'existe pas. Mais pourquoi pas...
Delilah : Je crois que tu n'as pas tort. Le fait que nous nous soyons réunis tous les trois en faisant constamment la navette, physiquement ou mentalement entre Londres et Paris, c'est une manière de dire aux partisans du Brexit : Allez vous faire foutre !

White Coats a donc déjà enflammé les dancefloors de Londres à Marseille... mais y aurait-il un sens caché à ce titre ?

Baxter : C'est un titre à propos d'infirmière en blanc, vues d'un angle sexuellement fantaisiste. Elles sont confrontées à des nones qu'on pourrait placer à la période Victorienne de l'histoire d'Angleterre et... et merde. Je ne sais pas où je vais avec cette histoire (rires) ! Plus sérieusement, c'est l'histoire d'une romance que des infirmières tentent de stopper au sein d'un hôpital. Et les patients de cet hôpital dansent autour de cette romance en tentant de s'approprier le bonheur.
Delilah : Est-ce là une métaphore Baxter ?
Baxter : Probablement... A propos du Brexit (rires) !

Un autre titre se nomme Centipedes et dit : « I want you to be full of centipedes ». Je ne suis pas certain d'avoir bien compris ce texte...

Baxter : Ça c'est l'oeuvre de Delilah.
Delilah : C'est au sujet des relations amoureuses qui incluent un partenaire très toxique. C'est une métaphore pour dire que ces personnes, manipulatrices sont pleine de toxiques à l'intérieur. Baxter aimait bien le mot Centipedes pour illustrer ces toxiques.
Baxter : J'aimais beaucoup l'image du centipède également. De plus, je trouvais que cela entrait en résonance avec d'autres textes d'autres titres de l'album.
Delilah : On a une écriture qui, souvent, se dirige en lignes parallèles et c'est pour ça que l'album est aussi homogène dans ses textes.

Toi et Etienne avez déclaré que cet album devait être aussi simpliste, honnête et court que possible. Le dépouillement serait-il devenu le comble du luxe ?

Baxter : Oui. Je le pense vraiment. Si tu parviens à ce que cela fonctionne, ce qui n'est pas gagné par avance, cela te rappelle que, le mieux est parfois l'ennemi du bien...

C'est quelque chose que tu connais bien toi aussi Etienne ?

Etienne : Je pense que ma musique est, souvent, moins minimaliste que ce que nous avons produit sur B.E.D. Je me surprends même, aujourd'hui à penser que certains de mes anciennes titres comportaient trop d'arrangements. Baxter, d'une certaine façon, m'a amené à plus de simplicité dans ma musique. De plus, pour la première fois ou presque j'ai du adapter mon travail sur des machines en laissant de l'espace aux humains, à leurs caractères, leurs textes et leurs voix.

Baxter, avec l'album Prince Of Tears en 2017, tu nous es apparu très convaincant, mais au bout du rouleau et très dépressif sentimentalement parlant. Tu as l'air d'aller mieux en 2018 ?

Baxter : C'est vrai. J'ai choisi d'écrire un album sur un moment et une situation très difficiles. Prince Of Tears était une quasi confession. Mais, avec plus de 120 concerts donnés en 2017 et 2018, j'ai pu me débarrasser, en quelque sorte de cette situation en la partageant avec un public nombreux. C'était vraiment un sale moment tel que je le décris dans Prince Of Tears, mais à chaque fois que je montais sur scène, je faisais une psychothérapie de groupe, pour moi même.

B.E.D aura-t-il un avenir ? Une mise en scène live ?

Baxter : Ce n'est pas certain. C'était une chouette réunion et un beau disque, mais nous n'avons rien planifié au-delà. Nous avons toutes et tous pas mal de matières à exploiter avec nos projets respectifs. Jouer live c'est beaucoup de boulot et pas mal de moyens à réunir.
Delilah : Cela dépendra de la demande... (rires)
Baxter : Si la demande est massive, alors nous en parlerons à nos avocats (rires).

Et l'avenir proche de Baxter Dury ?

Baxter : Je travaille sur mon prochain album...

Tu ne t'arrêtes jamais en fait ?

Baxter : On aimerait bien faire une pause. Prendre quelques vacances bien méritées. Faire du vélo ou je ne sais quel autre truc qu'on fait en vacances... Mais non. On est pratiquement prêts à enregistrer un autre album. J'ai la sensation qu'il me faut continuer tant que je le peux, c'est ma façon d'avancer dans la vie. Je ne peux pas encore vivre sur le dos de centaines de milliers de fans, donc il faut que je continue à travailler. En plus, j'ai une très grosse maison à payer et entretenir (rires).

On t'interroge encore beaucoup à propos de ta filiation lors des interviews ?

Baxter : En France, quasiment jamais. Mais, tu sais comment je suis. Si on me questionne sur mon père, je les envoie chier. Et si on ne m'en parle pas, c'est moi qui commence à en parler (rires) ! Je sors d'une période où je n'avais vraiment pas envie qu'on m'emmerde avec mon père. Aujourd'hui, ça ne me dérange pas d'en parler. Donc tu peux y aller (rires). Je te lâche un scoop : au prochain concert, d'ici deux semaines, nous allons jouer une reprise d'une de ses chansons nommée My Old Man. Une chanson qu'il avait écrite pour son propre père. Ce sera sur la scène du Shepherd's Bush Empire à Londres. Une scène sur laquelle il s'est produit des dizaines de fois... Cela va sûrement être très émouvant pour moi.