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Fryars

Paris, Trianon - 11 décembre 2013

Live-report par Olivier Kalousdian

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La salle du Trianon a su, en quelques années à peine (depuis sa belle réfection) marquer son empreinte d'une programmation musicale bien à elle. Chic sans être ostentatoire, précieuse sans être élitiste et populaire sans être, généralement, ennuyeuse. Dans le cadre du Winter Camp Festival dont c'est la deuxième édition cette année, le Trianon reçoit Jeremy Whistler, Fryars et le crooner du trip-hop suédois, Jay-Jay Johanson. La veille, The Wave Pictures ou Sébastien Schuller arpentaient les scènes du Point Éphémère et de la Maroquinerie, toujours dans le cadre de ce même festival.

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En configuration assise – le Trianon est un théâtre, après tout – le public de ce soir est clairsemé. Jay-Jay Johanson, de retour du restaurant d'à coté, accueille lui même un nombre conséquent de ses amis, notamment issus du gay Paris à l'entrée de la salle quand se termine le set du jeune songwriter parisien Jeremie Whistler. Bien accueilli par le magazine Les Inrockuptibles, entre autres, le premier single du Parisien intitulé Cold Heart est une ballade folk vitaminée par quelques tempos éléctro qui annonce un premier EP aux ambiances souvent plus sombres d'ici la fin de l'année.

Musicien surdoué de la génération DIY, Ben Garrett alias Fryars est l’une des valeurs montantes de l’electro-pop légère anglaise. Pas manchot du coté des mélodies au clavier non plus, il impose le sien au devant de la scène et une grande autorité sur les trois musiciens qui l'accompagnent. Pas avare en terme de photos le mettant généreusement en exergue sur la toile, ni en textes, bien écrits mais légèrement mégalo (« you can be cool, cool like me ») et jouissant d'une présence scénique remarquable pour sa jeune carrière, il faut avouer qu'on ne sait jamais si Fryars masque, avec brio, un second degré glacial tout Anglais ou s'il est naturellement immodeste ?
La même question se pose pour ses compositions tirant presque sur la pop californienne des années quatre-vingt-dix (Randy Newman) et qui sonnent souvent grandiloquentes. Étrange idée que de vouloir déformer une si belle voix au travers d'un auto-tune que l'on aimerait réservé à une catégorie de musiques non présentes habituellement dans les lignes de ce webzine et destiné à perturber des sons qui en deviennent, pour le coup, bas de gamme. Pourtant, des gens comme Dave Gahan se sont invités sur son projet après avoir été charmés par sa voix et ses premiers titres. Une composition comme On Your Own ramène inévitablement aux influences très actuelles qui font, depuis l'été dernier, le succès d'un groupe comme London Grammar sur un renouveau pop anglais vaporeux et où les voix, trafiquées avec plus ou moins de talent, prennent le pas sur une timide instrumentation où prédomine généralement une mélodie au clavier, une nappe synthétique et un rythme simpliste. Un retour aux schémas plus classiques passés à la moulinette d'un laptop siglé qui trône sur le synthé rouge de Fryars.

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Il fait un peu froid dehors et dans les corps bien assis du Trinaon ce soir. Les chansons glucose du crooner anglais distillant douceur, mais paradoxalement, peu de chaleur dans la salle. Il faudra attendre la mise à feu d'artifices un peu plus explosifs, de beats plus enlevés et d'arrangements plus électroniques pour que la machine prenne quelques tours et l'assistance quelques raisons de se réveiller (Cool Like Me) pour donner vie à ce set. Bien que les titres de Fryars laissent sur sa faim, il semble exister une marge de progression dans le style encore mal défini de cet artiste ; artiste jouant l'arrogance à souhait quand il dénonce le Trianon pour avoir demandé cent-cinquante euros de location à son stand de de tee shirt ou pour affirmer : « Merci, même si vous n'êtes pas venus spécialement pour nous. Au fait, j'ai vu Jay-Jay tout à l'heure, il est bien vivant ». The Power, titre dont le texte fait pencher la balance du coté du second degré, tirera son épingle du jeu – bientôt en habillage de pub pour une voiture française ? - mais toujours sur des arrangements qui hésitent constamment entre passéisme et modernité.

Qu'est devenu l'anti crooner Jay-Jay Johanson depuis deux des albums majeurs de trip-hop romantique, Tattoo et surtout Whiskey des années 1998 et 1996 ? Il a pris quelques années (quarante-quatre au compteur désormais), quelques rides aussi mais, du haut de son mètre quatre-vingt, il toise encore le paysage musical Suédois de ses singles à succès passés (So Tell The Girls That I Am Back In Town) et présents (M. Fredrikson, joué avec Kid Loco). Le plus gay des hétéros suédois est un amoureux de la France. Il eut une petite amie Française pendant des années et Valérie Leulliot, du groupe Autour de Lucie, lui donnait la réplique sur le titre Déjà Vu.

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C'est avec une grande confiance et un plaisir non dissimulé que Jay-Jay Johanson entame son tour de chants sur une des plus belles scènes Parisiennes. Constamment hésitant entre jazz (première formation) et trip-hop qu'il découvrit avec Portishead et Alison Goldfrapp, Jay-Jay Johanson plonge l'assistance dans une envoutante léthargie romantique d'une heure et demie. Émouvant sans tomber dans le patos (Hawkeye), réfléchi et gracieux même dans ses compositions les plus rythmiques (I'm Older Now), Jay-Jay Johanson conclut cette soirée Crooner sur des notes de jazz qui n'ont jamais hésité entre passéisme et modernité.