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Factory Floor
Four Tet
Jon Hopkins

Paris, Festival Villette Sonique - 5 juin 2014

Live-report par Julien Soullière

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Depuis 2006, Villette Sonique a toujours su proposer des affiches de première fraicheur, alléchantes pour ne pas dire carrément ragoutantes, et la soirée organisée en ce 5 juin 2014 en faisait assurément partie. Direction donc la Grande Halle de la Villette à l'aune d'une belle soirée de printemps pour se frotter à des festivités placées sous le signe de l'électronique made in UK.

Arrivé dans la salle peu après l'ouverture des portes, on patiente dès lors comme on peut, naviguant entre les murs d'une salle encore peu pourvue en âmes humaines, et des extérieurs plutôt agréables et offrant de quoi se sustenter dans l'attente de l'ouverture du bal.
Ça y est, les lumières s'éteignent, les haut-parleurs cessent de s'exprimer et la salle commence à se remplir comme une baignoire équipée de plusieurs robinets. De part et d'autres de la pièce, des flots ininterrompus d'hommes et de femmes partent ainsi en transhumance, se pressant aux abords d'une scène bien étriquée au vu de l'espace de vie que propose la Grande Halle. En tout cas, ils l'atteignent juste à temps pour accueillir les petits protégés de DFA Records, qui viennent tout juste de sortir des back-stages. Je suis du regard les artistes jusqu'à les voir atteindre leurs places respectives, et ce que j'observe en bout de chaîne me plait bien : sur scène, des consoles bien sûr, mais également une six-cordes et une batterie, de quoi donner un peu plus de volume et d'humanité à une musique essentiellement électronique.



Enfin, à dire vrai, pas sûr qu'humanité, chaleur ou émotion soient les termes les plus judicieux pour caractériser la musique de Factory Floor. Car ce que le trio va proposer ce soir, c'est un véritable huis-clos, bruitiste et froid comme la cold-wave dont le groupe s'inspire. Sans jamais s'arrêter, ou presque, les Londoniens vont balancer une heure durant des compositions binaires qui ne semblent en faire qu'une, émaillées jusqu'à plus soif de sonorités industrielles et emmenées par une batterie implacable comme le punk. Et pour être sûr de nous abrutir complètement, le groupe s'est adjoint les services de faisceaux lumineux plutôt nerveux, et d'un écran parsemé de couleurs criardes à vous en brûler la rétine. Autant dire qu'on est plus proche de l'expérience que du concert, et qu'il faut avoir le cœur bien accroché pour ne pas battre en retraite. D'autant plus que si musicalement, la chose se défend amplement (c'est un peu répétitif, certes, mais c'est le jeu), les beuglements répétés et bardés d'effets de Nic Colk sont plutôt désagréables, ce que n'arrange pas un niveau sonore plutôt élevé. Pour ne pas amplifier notre mal de crâne, on se sera donc éclipsé un peu avant la fin du set pour profiter encore un peu du soleil qui inonde de ses rayons la terrasse extérieure.

Et voilà maintenant l'heure de Jon Hopkins, le héros de la soirée. J'ai conscience de dire là quelque chose de tout à fait subjectif, mais le très bon album sorti par le bonhomme l'an passé (Immunity), de même que les captations live glanées ici et là sur Internet m'ont convaincu d'une chose : c'est un gros, très gros set qui est en préparation ce soir, un show total fait de sons, d'images (Hopkins fait partie de ces artistes qui aiment à projeter des images sur écran géant) et de lumières.
C'est tout sourire et sous une salve d'applaudissements nourris que le Londonien fait son entrée en scène. La main droite levée aux cieux, Hopkins se glisse délicatement derrière sa console alors que l'écran installé derrière lui commence déjà à prendre vie, laissant apparaitre le nom de l'artiste en grandes lettres blanches, puis le visage d'une femme prisonnière de ce qui semble être un scaphandre de cosmonaute. Et c'est ce visage, à la fois apeuré et apaisé, comme témoin d'une révélation trop lourde pour totalement l'assimiler (j'ai tout de suite pensé au film « Sunshine », et à la fascination exercée par le soleil sur l'équipage d'Icarus 3), que l'on va suivre le temps d'un enchaînement Breathe This Air/We Disappear du meilleure effet, deux morceaux retranscrivant parfaitement l'univers du DJ anglais, entre agressivité et poésie fine. Alors c'est évident, l'heure est au dancefloor, et ça n'est pas le morceau suivant, un Insides absolument démentiel et empreint de dubstep (c'est dansant, certes, mais c'est bien moins dégueulasse que du Skrillex), qui va argumenter pour la parte adverse.
D'une certaine manière, on aurait adoré voir Jon Hopkins nous gratifier de ces morceaux plus doux dont il a le secret, mais il a choisi de s'adapter au contexte, et le fait de fort belle manière. Le public, bouge, saute, crie, exulte, pendant près d'une heure, et se donne autant que cet artiste d'une dextérité décidément incroyable, en recherche constante d'un bouton sur lequel appuyer ou d'un effet à rajouter à la tambouille. Sublimée par un jeu de lumières impeccable et de images qui pour beaucoup fleurent bon le cinéma, Jon Hopkins a fait ce qui ressemble à s'y méprendre à un sans faute. Ceux qui ne le connaissaient pas vont à coup sûr se souvenir de lui.



On se remet à peine de nos émotions que déjà, Kieran Hebden, aka Four Tet, prend pleine possession de la scène, dans une configuration proche de celle de son prédécesseur. Un tee-shirt rouge sur le dos, l'anglais débarque dans son plus simple appareil, sans autres armes que sa modestie et sa console.
Alors que notre corps vibre encore de milles notes, Kieran Hebden charge les enceintes de cracher vers le public ce qu'on appellera de l'électrolounge, soit une musique plus à l'aise quand il est question de faire patienter la foule que quand il faut accrocher un auditoire. Certes, le niveau sonore est toujours aussi élevé, difficile donc de passer à côté de ce qui se joue devant nous, mais après Jon Hopkins, on aurait volontiers pris un nouvel uppercut en pleine poire. Fort heureusement, l'ancien membre de Fridge va rapidement changer son fusil d'épaule, orientant son set vers quelque chose d'autrement plus stimulant, bien que trop classique venant de quelqu'un que l'on sait aussi rare sur nos scènes.

Dans la salle, il y des sourires, des danses, probablement des substances X et Y au vu de l'état de certains, et si nombreux sont celles et ceux à avoir choisi de tirer leur révérence, les choses suivent assurément bien leur cours.
L'adrénaline étant retombée, nous rejoignons la sortie. Les plus motivés n'ont de toute façon plus besoin de nous pour continuer la soirée.