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I Like Trains

Paris, FGO-Barbara - 29 octobre 2022

Live-report par Adonis Didier

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Vous aimez les trains ? Ça tombe bien, j'en ai pris deux, plus un métro, et ce soir c'est direction Barbès, plus précisément le quartier de la Goutte d'Or. Faisant face à la bibliothèque locale, la FGO-Barbara (comprenez Fleury Goutte d'Or – Barbara, du nom de la chanteuse de l'Aigle Noir), trône fièrement sur le boulevard de la Chapelle, vitres un peu taggées mais pas trop, consciente de son importance vitale dans un quartier trop souvent délaissé culturellement, et généralement qualifié de « craignos ». Est-ce que c'est vraiment craignos ? On ne va pas se mentir, on n'a pas sorti son portefeuille ou son smartphone dans la rue, mais on ne s'est pas non plus fait accoster ou agresser. Un partout, balle au centre, et on entre dans la salle assez moderne en passant d'abord par le bar, plutôt bien fourni, grâce à la brasserie de la Goutte d'Or.

Le temps de se désaltérer, et on part se familiariser avec l'endroit en compagnie des français de Sure. Les mecs font du post-rock, avec de fortes touches d'électro et de musique industrielle, et ils sont bons. Une présence scénique qui pourrait être améliorée, mais de très bonnes chansons pour qui aime le style, et une note de bas de page dans l'esprit si on devait un jour les revoir sur une affiche. Mais ce qui frappe vraiment d'entrée, c'est la qualité de la salle. La musique, sur scène, est un bordel pas possible d'effets, d'instruments, et de samples en pagaille, mais le son reste propre en toutes circonstances, et chaque élément sonore trouve sa place dans le spectre spatiale et fréquentiel. De son côté, la qualité des effets de lumière n'en finit pas de nous éblouir, les enchaînements sont fluides, des couleurs, des flashs, le tout en rythme, et des efforts bienvenus qui rendent cette première partie bien plus plaisante que prévu, en nous faisant miroiter des folies pour la suite.


Une suite qui se fait un peu attendre, mais comme le quintet I Like Trains installe lui-même installe son matériel sur scène, on lui pardonne de nous faire honteusement mariner. Dix petites minutes et les voilà, pendant que la neige et les images brouillées défilent sur la toile derrière eux. Qu'est-ce que dix petites minutes, quand cela fait près de huit ans qu'I Like Trains ne sont pas revenus nous voir à Paris. Et qu'est-ce que dix petites minutes, lorsque cette attente est récompensée par l'enchaînement introductif A Steady Hand, Desire Is A Mess, et Dig In. Car oui, cette tournée est bien celle de KOMPROMAT, même si l'album est sorti il y a deux ans déjà. KOMPROMAT, album post-rock industriel, frontal, engagé, et tout simplement sublime, faisait, en 2020, d'I Like Trains au post-rock ce que les IDLES sont au punk anglais, et remettait un groupe presque oublié au sommet de la chaîne alimentaire underground. Reprenant donc les trois premiers titres de l'album comme première salve, pour un concert qui s'annonce tout de go comme un brûlot adressé aux travers politiques et sociaux d'un royaume pas si uni, David Martin ne se fait pas prier et déclame déjà les yeux exorbités, le visage rouge, tendu, de sa voix grave et mate, les paroles froides et sans artifices de A Steady Hand et Desire Is A Mess, sur fond de signaux brouillés et de sinusoïdes déphasées.

Les vidéos s'enchaînent derrière les cinq musiciens, et Dig In accable directement les classes dirigeantes, des images du juste prix sont mélangées à diverses captations de Boris Johnson, Mark Zuckerberg, Aaron Banks, et autres PDGs et dirigeants politiques affiliés ou non au Brexit, pour un rendu des plus saisissant et compromettant, alors que les guitares ne produisent plus de notes ou d'accords, mais seulement des sons perçants, crépitants, tranchant à travers les mensonges des gens de pouvoir.


Petit changement d'ambiance, Mnemosyne revient plus loin dans l'histoire d'I Like Trains, l'espace géométrique défile, des carrés dans des carrés transformés en losanges dans des ronds, le tout sur fond noir étoilé, pendant que la musique plane, puis se fait légèrement électro, dansante et sautillante. Une parenthèse de courte durée, car PRISM revient poser son ambiance oppressante, pesante, David Martin entame la chanson seulement accompagné du kick de la batterie et d'une discrète mais insidieuse nappe de synthé, avant de se faire catapulter vers de nouveaux sommets musicaux par l'entrée d'une basse à la lourdeur presque équivalente à celle d'un commentaire de bureau sur de belles jambes et une jupe.

Cinq chansons, c'est donc ce qu'ont attendu le groupe et David Martin avant de nous adresser directement la parole. Le message est passé, la claque déjà à moitié prise, et on fond littéralement lorsque le frontman nous adresse un « bonjour Paris » de sa voix de basse, à la fois grave, caverneuse, sérieuse, posée, et un peu sexy, on doit bien le dire. Celui-ci, en veste de costume bleue, sosie d'Ewan McGregor avec la voix de Barry White, discute avec nous du temps qu'il fait à Paris. Jamais small talk ne nous aura donné tant d'émois, mais il faut bien avouer que sortir en t-shirt fin octobre reste quelque chose que l'on espère ne pas trop revivre dans les années à venir, même si David le confesse, c'était « une parfaite après-midi de fin octobre à Paris ». Une parfaite occasion aussi d'annoncer les deux chansons à venir, attention, deux nouveautés au répertoire.
The Spectacle, nouveau single sorti courant septembre, raille en bondissant la mauvaise gestion du COVID-19 et du Brexit par Boris Johnson et le gouvernement britannique, alors que la vidéo superpose des images de clowns blancs par-dessus celle de l'ex-premier ministre à l'air de Benny Hill décoiffé. Le film se poursuit, et Helsinki, inédit total, porte cette fois le regard vers Donald Trump, et couple un étrange mariage avec des archives de Saturn V en vol. La chanson est calme, planante, entre la hargne glacée de KOMPROMAT et les productions plus anciennes et éthérées du groupe, et nous fait déjà saliver à l'idée de goûter à leur futur album, dont on se dit qu'il ne devrait plus tarder tant que ça. En ce sens, David nous promet qu'ils essayeront de revenir en moins de huit ans cette fois-ci, et croyez-bien qu'on n'oubliera pas cette promesse.


Suite de la partie plus calme du set avec The Beeching Report, mais le calme n'est pas fait pour durer, et A Man Of Conviction laisse Guy Bannister et Ian Jarrold se lâcher sur les solos de guitare, alors que David nous fait carrément flipper, totalement habité par sa litanie finale, tout habillé de lumière rouge projetée par le dessous, hurlant à qui veut l'entendre comme un homme brisé et mentalement instable. Petit saut en avant, Terra Nova s'habille d'arpèges sublimes à faire geler et tomber les extrémités, un bleu glacé parcourt les murs, puis New Geography fait refleurir la salle, qui jaunit de la couleur chaude des champs de tournesol s'étendant à perte de vue dans les pupilles et les esprits de chacun.
Mais le meilleur est encore à venir. Le pinacle de la soirée, le genre de moment qui marque et dont on reparle avec des étoiles dans les yeux bien des années plus tard. Le code couleur revient à celui de KOMPROMAT, la rangée haute à l'arrière éclaire en bleu sombre, la rangée basse éclaire de rouge sanglant en contre-plongée, et la basse doum-doum en rythme pour nous faire froidement bouger le popotin. Voici The Truth, et dans toute sa mansuétude, David va sortir de sa veste une vingtaine de fiches blanches, rectangulaires, sur lesquelles est écrite la vérité, vérité que David déroule, comme Moïse rapportant les tables de la loi, comme tout bon politicien devant son oratoire subjugué. Chaque fiche lue finit broyée ou non dans sa main avant d'être jetée dans le public, avide lui aussi de pouvoir lire la vérité de ses propres yeux. La chanson s'étend, David hurle qu'il est la vérité, serre les mains dans le public, il est en campagne, et dans la campagne il y a des salades, comme tout ce qui est raconté ici. Alors David retourne en coulisses, nous ramène une salade, qu'il dépèce comme il a plus tôt dépecé ses fiches, et nous la lance feuille par feuille, car la vérité est autant dans les fiches que dans les salades. Au bout de dix minutes à l'intensité mentale démente, David conclut pendant que le groupe sort de scène, au nom de la vérité : vous ne me verrez plus jamais, et même si c'était le cas, vous ne me reconnaîtriez pas.
On est heureux d'avoir été trompé par l'annonce, quand le groupe revient nous voir sous une standing ovation, toujours parfaitement reconnaissable. Speech final de David qui rit jaune d'un Brexit qui, étonnamment, ne se passe pas si bien que ça. Il nous rappelle qu'il est bon d'être de retour en Europe, et espère très fort que le Royaume-Uni revienne lui aussi en Europe, « si vous voulez bien de nous ». Enfin, Spencer Perceval finit une soirée folle, le son est dantesque, la disto mammouth, on headbang et on ferme les yeux pour se laisser porter jusqu'à la fin d'un set qui restera longtemps en mémoire. Alors oui, la communication du groupe est minimale, et passe bien plus par la musique que par des interactions directes durant les chansons, mais nul doute que le public de connaisseurs présent ce soir à la FGO-Barbara a su apprécier un show son et lumière de très haut niveau, bien aidé par la qualité aussi impressionnante qu'inattendue de la part des équipes d'une salle qui restera comme une excellente découverte.

Je dirai donc ce soir, bien volontiers et sans aucune pression de la part d'agents SNCF, que oui, j'aime les trains. Et vous, est-ce que vous aimez les trains ?
setlist
    A Steady Hand
    Desire Is A Mess
    Dig In
    Mnemosyne
    PRISM
    The Spectacle
    Helsinki
    The Beeching Report
    A Man Of Conviction
    Patience Is A Virtue
    A Rook House For Bobby
    Terra Nova
    New Geography
    The Truth
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    Spencer Perceval
photos du concert
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