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Gilla Band
M(h)aol

Paris, La Gaîté Lyrique - 26 novembre 2022

Live-report par Adonis Didier

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Il y a des séries comme ça. Des semaines où on passe tellement de fois dans une salle qu'on en vient à saluer au passage le videur de la sécu, et à ne même plus avoir à donner son nom à l'entrée pour obtenir le précieux sésame qui mène au concert. Nous revoilà donc à la Gaîté Lyrique après un Pitchfork Music Festival bien rempli, pour une soirée dont on nous promet depuis longtemps qu'elle va faire du bruit. Littéralement.


M(h)aol, première partie officielle de Gilla Band sur cette tournée européenne, déboule sur scène, et on ne se demandera pas très longtemps pour quelle raison les cinq énergumènes ont été choisis pour l'occasion. Le groupe irlandais, nommé sur la base de la figure de Grace O'Malley (connue dans le folklore irlandais sous le nom de Grainne Mhaol), leader politique et économique irlandaise du 16ème siècle, tour à tour pirate, corsaire et seigneur, ne fait pas dans la dentelle, que ce soit pour la musique ou pour les prises de position féministes, LGBTQ+, et diversité inclusive en général.
Kinder Bueno, avec ses quarante-cinq secondes de bruit et hurlements, sert d'introduction à la soirée, avant que Laundries ne nous rappelle que le groupe sait aussi faire de la musique. Étant légèrement décalé vers la gauche de la scène, on ne manque rien du fuzz surcompressé sortant de la basse de Jamie Hyland qui nous arrive en pleine tronche, quitte à éclipser tout le reste du rendu sonore. Pour compenser, on enfoncera un petit peu plus le bouchon gauche dans l'oreille. Pour ne pas finir sourd aussi. Proche de ses fans et de son public, Róisín Nic Ghearailt profite de chaque fin de morceau (ou début, c'est selon) pour adresser un petit mot, voire un long mot. Elle commencera donc la soirée en s'adressant à nous dans un français ma foi très correct pour une irlandaise, en véritable discussion avec les premiers rangs, « j'aime votre maquillage », « très beaux ongles », et « c'est une chanson sur un... comment on dit en français... petit chien » faisant office de florilège savoureux des divers échanges.


Le groupe est dans l'air du temps, des jeunes gens gender fluids (ou gender flous, comme on dit chez Tamos le Thermos) pour qui il n'est pas toujours facile de s'intégrer dans la société, qui parle à d'autres gens avec les mêmes problèmes. Le premier rang est donc très queer, d'où les ongles et le maquillage, et pareil pour M(h)aol. Le bassiste Jamie Hyland et son fuzz portent une magnifique robe noire et une teinture blonde, la bassiste moins fuzz Zoe Greenway arbore un maquillage très zombie et un pantalon en cuir, pendant que Róisín hurle, tourne sur elle-même en sautant, avant de finir par terre en déclamant très fort pour conclure Therapy, accompagnée de Zoe, à genoux, le corps courbé en arrière jusqu'à ce que sa tête touche les planches de la scène, jouant toujours de sa magnifique basse-violon Höfner, et nous nous demandant si tout cela est bien du maquillage, et pas un remake de l'Exorciste.
Le concert se poursuit : « des gens LGBTQ dans la salle ? Des gens bi ? Levez la main ! », et voilà Bisexual Anxiety qui part, et Zoe, encore elle, qui cette fois nous sort réellement un archet pour faire gronder son instrument tout au long de la chanson. On reste toutefois sur notre faim, les « longs » interludes de discussions entre des chansons qui dépassent rarement les deux minutes ont tendance à casser le rythme, un rythme pas aidé par une formule live qui semble encore se chercher, et un groupe qui peine à transmettre l'intensité de ses interprétations. Bored Of Men (ndlr : « fatigué.es des hommes ») pallie un peu ce sentiment, alors qu'on reprend le refrain final en hurlant dans le microphone tendu par Róisín. Gender Studies prend aux tripes de par la qualité de la chanson, sa colère furieuse, et l'intensité visuelle et vocale délivrée. Mais le ressenti final reste mitigé, celui d'un groupe encore jeune, dans une salle trop grande, dans laquelle le son semble s'évaporer au lieu de nous asphyxier en rebondissant et en s'amplifiant contre les murs. Un groupe au potentiel certain, mais qui doit encore travailler à remplir l'espace sonore, et à plus investir son public dans l'action. Ça tombe bien, Róisín nous promet un retour en mai 2023, pour défendre leur très attendu premier album, Attachment Styles.


Et maintenant, le main event, le show bruit et lumière tant vanté qui nous fait saliver depuis quelques semaines, Gilla Band. Beaucoup moins girly que M(h)aol, l'anciennement Girl Band entre en scène tout de noir vêtu, sobre, leur dégaine de CSP+ hipsters assumée faite de vestes noires et de pulls à col roulé. Je suis cependant au regret de vous annoncer que cette chronique ne sera pas tout à fait comme les autres. Car il est quelque part impossible de séparer les éléments constitutifs d'un concert de Gilla Band, comme il est impossible d'en faire un résumé chronologique, tant le temps et les chansons semblent se mélanger selon la même loi qui produit leur musique folle et incomparablement bruitiste.
Autant le dire, si vous êtes complètement insensibles à ce que propose la bande à Dara Kiely en studio, et qu'en écouter deux chansons à la suite est déjà insupportable à vos oreilles, le concert ne va sans doute que vous rebuter d'autant plus. Si par contre vous trouvez un intérêt à la musique si particulière de Gilla Band, que vous soyez fan ou pas, le concert est un incontournable qui ne fait que sublimer ce bordel improbable et pourtant particulièrement bien calculé. Un incontournable bruyant et remuant que l'on découvre alors que la fosse se met à remuer et suivre l'intro bourdonnante de Lawman. Le pogo se lance au premier hurlement de Dara Kiely, ce sera donc bien la foire ce soir. Et tant mieux, car on se serait mal vu rester sans bouger devant cet irlandais hurleur, mélange détonnant entre un visuel de Frédéric Beigbeder légèrement bedonnant (Frédéric Beigbeder, quoi !) et une âme de chanteur de punk hardcore jouant toujours dans la même cave underground sans porte aux toilettes.


La montée lente et tendue de Fucking Butter chauffe le public au bain-marie, le pogo devient toujours plus violent, toujours plus suant, Daniel Fox gratte sur sa basse avec une bouteille de bière, Alan Duggan joue autant de la guitare pendue à son cou que de celle posée sur une malle et reliée à un rack de pédales complètement à part, nous envoyant à travers la boite crânienne une déflagration sonore vibrante, tranchante, oscillant d'un bout à l'autre des fréquences humaines. On en vient vite à ne plus très bien savoir quel instrument fait quoi, les flashs nous tournent la tête, l'ombre de Dara Kiely s'étend le long des murs, le pied de microphone trace une ligne noire à travers la fumée, coupant la salle en deux, et l'on tombe nez à nez avec un mec portant des lunettes de soleil, des rouflaquettes blondes décolorées, et une chemise blanche de riche cow-boy.
Les substances présentent dans l'air, dans les vaisseaux sanguins, et dans la sueur ont visiblement pénétré notre organisme, mais tout cela n'a plus vraiment d'importance, car il est temps de reprendre en chœur les paroles de Backwash et Eight Fivers. Une partie du public semble en effet bien jeune, et au vu de l'impact des derniers singles sur la foule, on imagine que beaucoup ont découvert le groupe avec leur nouveau nom et les impressionnants singles sortis au cours de l'année. Le pogo redouble suite au phénomène bien connu de « oh c'est trop ma chanson ! », tout le monde hurle « I spent all my money on shit clothes », et la communication du groupe se fait là, car mis à part un ou deux mots pour occuper l'espace, Gilla Band n'est pas un groupe qui parle, c'est un groupe qui vous dit son bonheur d'être ici dans le bruit, la fureur, et les hurlements.
Et tiens, nous y voilà. Why They Hide Their Bodies Under My Garage?, reprise de Blawan ayant lancé la dynamique du groupe il y a quasi dix ans, sert de point final à un concert de fous, en format grand huit, une longue montée, hypnotique, suivie par deux fois, sans prévenir, d'une descente à la verticale façon saut à l'élastique. On est baladé dans un pogo possédé, il se passe sans doute des choses sur scène mais on s'en fout, et il est proprement impossible de résister à la folie qui s'empare de la foule, une folie qui nous envoie d'un bout à l'autre de la salle dans un tourbillon d'êtres humains, de flashs lumineux, et de substances hallucinogènes.

On termine donc le concert suant, puant, à même de choper un gros rhume en rentrant, mais dieu que c'était bon. Alors la prochaine fois que Gilla Band passe en ville, envoyez-vous Lawman¸ Backwash et Why They Hide Their Bodies Under My Garage?, et si vous avez remué la tête, alors vous n'avez plus aucune excuse pour ne pas vous jeter sur les places en fosse.
setlist
    M(h)aol
    Kinder Bueno
    Laundries
    Kim Is A Punk Type Dog
    No One Ever Talks To Us
    Therapy
    Bisexual Anxiety
    Clementine
    Bored Of Men
    Gender Studies
    Jack Douglas

    GILLA BAND
    Going Norway
    Lawman
    Post Ryan
    The Last Riddler
    Heckle The Frames
    Fucking Butter
    The Weirds
    Gushie
    Bin Liner Fashion
    De Bom Bom
    Laggard
    Pears For Lunch
    Almost Soon
    Backwash
    Eight Fivers
    Shoulderblades
    Why They Hide Their Bodies Under My Garage? (Blawan cover)
photos du concert
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