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Opus Kink

Paris, Supersonic - 28 avril 2023

Live-report par Adonis Didier

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WAAAAAAAGH ! Voici à quoi aurait pu se résumer ce live report, un texte simple et concis, qui transperce l'âme par sa pureté, son caractère essentiel. Une ode à la mesure des pièces les plus émouvantes des plus majestueux des poètes orks, et une ode dédiée à Opus Kink, tant les six anglais de Brighton ne déçoivent jamais dès lors qu'une scène et un public leur sont offerts.

Mais étant bien évidemment payé au nombre de mots, et sortant d'une conférence de rédaction recelant moults menaces et intimidations impliquant l'écoute prolongée et chroniquée du prochain album d'Ed Sheeran, je m'en vais en ce jour et de ma propre initiative vous narrer les trépidantes tribulations triomphales des enfants prodiges du ska-punk-swing loin de leur perfide Albion, en lumineuse et accueillante Paname.

Une Paname plus accueillante que lumineuse cela dit, et ce n'est pas l'armoire électrique du Supersonic qui dira le contraire. Des plombs capricieux qui nous feront passer quelques minutes dans le noir en compagnie des Naked Soft Men (oui, cette chronique a viré érotique beaucoup plus rapidement que prévu). Des Lillois très sympathiques, dont le rock bluesy bravera les ténèbres, mais quel dommage que la lumière nous fasse défaut alors même que le velu batteur au mulet blond et frisé venait de se mettre en slip. Erotisme quand tu nous tiens, nous tairons les métaphores faites de moules-frites et de crème fraîche, pour en arriver directement au plat de résistance, Opus Kink.


Des Brightoniens dont le premier EP avait été vivement salué par nos soins, dont la première date en France fut décrite dans ces mêmes pages il y a de cela quelques mois, déjà au Supersonic, et dont le deuxième EP s'annonce pour le 19 mai de la présente année 2023. Autant dire qu'ici, on les aime bien, et que l'on attendait avec très grande impatience de revoir la bande de grands malades menée par Angus Rogers enflammer la très britannique scène du Supersonic. Mais chut. La musique s'arrête, les musiciens montent les marches, Angus bien sûr, chanteur et guitariste, puis Jazz Pope, le beau claviériste imberbe et torse nu, suivi de Sam et Fin Abbo, frangins et respectivement bassiste et batteur de la formation. Des frangins qui lancent Chains dès leur entrée en scène, première chanson du set, et première chanson du futur EP My Eyes, Brother!. « Mais dites-donc, il en manque au moins deux là dans votre histoire ! », vous dites-vous, vous le fan absolu d'Opus Kink, vous qui savez ce qui est bon dans la vie et dans la chaîne hi-fi. Deux comme deux minutes, c'est le temps qu'il faudra à Jed Morgans et Jack Banjo Courtney pour entrer à leur tour en scène, lunettes de soleil retro-futuristes vissées sur le nez, alors que vient le tour du saxophone et de la trompette.

C'est la spéciale d'Opus Kink, et sous l'impulsion du capharnaüm de cuivres, le Supersonic prend déjà des airs de bar-mitzvah ska-punk célébrant la maturité musicale du groupe à l'imagerie baudelairo-victorienne torturée. Maturité, vraiment ? Non, on blague, c'est encore plus le foutoir qu'avant, mais bon dieu ça marche toujours autant ! « Je t'aime bébé », envoie Angus dans les airs, I Love You, Baby débarque à 300 à l'heure sur une sombre route bordée de platanes par une nuit sans lune. Les Anglais étaient attendus, la foule hurle avec eux les paroles, et le pogo devient vite incontrôlable pour les quelques-uns à avoir sous-estimé l'ampleur du magnum Opus Kink. On alterne entre ancien et nouvel EP, Dust est le premier single à tomber, les breaks sont apocalyptiques dans la fosse, la fin est quant à elle une chanson de bar, et on chante les pieds sur le comptoir, bras-dessus bras-dessous en descendant une nouvelle bouteille de scotch, avant d'aller joyeusement vomir sur le pianiste. Dog Stay Down conclut le lancement du concert, et soudain Angus demande à baisser les lumières. La pénombre revient dans le Supersonic, un seul spot blanc, la lumière divine se pose sur le crâne rasé d'Angus Rogers, prophète en un pays qui n'est pas (encore) le sien, poète damné déclamant devant une foule à la tête ahanant d'avant en arrière au rythme pesant des grondements caverneux de la basse. Malarkey est la chanson la plus habitée, la plus maudite du répertoire d'Opus Kink, une litanie surnaturelle glissant des sueurs froides le long du cou d'Edgar Allan Poe.


Mais le temps est au combat, à la guerre dans les tranchées suantes de la fosse, alors suivons le Unrepentant Soldier et les Piping Angels pour mouiller la chemise d'une transpiration qui n'est pas complètement la nôtre. La récompense est au bout du chemin, montre-nous la lumière St. Paul Of The Tarantulas, et ô, que la lumière est belle. Rarement l'on aura vu pareille agitation pendant un solo de trompette, rarement l'on aura vu un chant aussi touchant être suivi par un tel bordel, le retour de la bar-mitzvah du démon sur des motifs traditionnels d'un certain orient, et l'on entend à peine ce qu'il se passe sur scène tant ça hurle tout autour. Pa pa-lam, pa pa-lam, pa pa-lam pa palala pam pour vous mettre dans l'ambiance.
Angus demandera un grand cercle sur 1:18, qui sera successivement refermé puis reformé, sans oublier de garder ses coudes le long du corps plutôt que dans mes côtes merci. On est heureux, on est épuisé, physiquement et mentalement, et déjà le train vient nous ramasser sur le quai pour un dernier tour de piste. This Train, single historique sorti il y a déjà deux ans, quelle éternité, fera monter la sauce pour que tous les instruments s'envoient en l'air, Jazz Pope le prend littéralement, lâche le clavier, et vient surfer sur la foule, alors qu'Angus termine la chanson dans le public et dans un maëlstrom de free-jazz qui signifie l'extinction de l'un des meilleurs concerts de l'année 2023.

Il y a un vieux proverbe vosgien qui dit : « les chroniques les plus dures à écrire sont celles de concerts dont on aurait souhaité qu'ils ne se terminent jamais ». Je vous laisse donc imaginer la difficulté de la tâche qui se présente à présent, mais le plus dur reste à venir, à savoir l'attente interminable menant au prochain concert des six cavaliers du ska-punk-swing baudelairo-victorien. Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! Combien de mois à vivre sans revoir Opus Kink ? Alors on vit chaque concert comme le dernier, parce qu'ils viennent de loin, et surtout on ne trouve aucune excuse pour ne pas venir au prochain ! Sur ce, à la revoyure, et comme on vient de presque-citer deux fois Corneille, espérons prompt renfort pour se voir 3000 à la prochaine date française des enfants terribles de Brighton !
setlist
    Chains
    I Love You, Baby
    Dust
    Dog Stay Down
    Malarkey
    Unrepentant Soldier
    Piping Angels
    St. Paul Of The Tarantulas
    Children
    1:18
    This Train
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