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Spearmint
Parenthesis...

Montreuil, Le Chinois - 13 avril 2024

Live-report par Franck Narquin

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« J'aime la pop-music, mais est-ce que la pop-music m'aime ? ». On s'est tous un jour posé cette question sans savoir qui en était l'auteur. Certains l'attribuent à Shakespeare, d'autres à Denim, alors qu'on la doit à Julien Pradeyrol aka Teki Latex, ex-rappeur, producteur à ses heures, disc-jockey à toute heure et éternel genres-fucker. C'est justement ce « To be or not to be » version pop romantique que l'équipe du Paris PopFest s'évertue à faire vivre depuis 2018. Investissant chaque mois de septembre la salle du Hasard Ludique à Paris, leur festival est devenu un événement incontournable pour les fans de Sarah Records, Elefant Records ou Creation Records, pour les anciens qui ont vu au début de ce siècle les tours jumelles du World Trade Center se reconstruire devant leurs yeux lors d'un set homérique du Grand Karl et de Jarvis Cocker dans la moiteur enfumée de la cave aux couleurs du tigre de la rue Amelot ou encore pour les gamins rebelles de la Génération Z s'habillant en Mods et qui savent pertinemment que Paul Weller n'est pas l'acteur principal de Robocop ou du Festin Nu.

Mais attendre un an, en amour comme en prison, c'est toujours trop long. Ainsi quoi de plus logique afin de satisfaire les insatiables appétits des mélomanes élevés aux chansons tristes de Manchester et aux hymnes raffinés de Brighton que de lancer un Mini PopFest au mois d'avril quand le soleil se décide à pointer son nez et qu'on s'apprête enfin à ranger sa tenue de Blue Monday pour revêtir celle de 24 Hour Party People. Cette première édition printanière s'étalant sur deux samedi s'est vue bousculée par la fermeture temporaire de l'International, la salle parisienne où elle était à l'origine programmée. La première soirée a été transférée au Chinois de Montreuil tandis que la seconde du 20 avril sera accueillie par l'équipe en or du FGO Barbara, l'impeccable salle de la Goutte d'Or. Aussi succulente qu'à l'accoutumée, la programmation de ce premier round se révélait particulièrement éclectique. Aux côtés de Spearmint, phénomènes pop UK de la fin du dernier millénaire, venus présenter leur dernier album, trois groupes plus confidentiels nous faisaient découvrir leurs univers musicaux singuliers, des français avec Louis Lingg & The Bombs, des anglais avec Parenthesis... et des franco-anglais avec Astrid & Alexander. Pour dix euros, soit la moitié du prix d'un ticket de métro parisien cet été, vous pouviez ainsi vous offrir un aller-retour en Eurostar assis en première classe.

L'avantage des amoureux de pop anglaise est que bien qu'ils soient en général moins bien habillés que la clientèle du Carmen, une des boîtes de nuit parisiennes aux physionomistes les plus coriaces, leur passion pour la musique se révèle nettement plus sincère et profonde. Ainsi, dès le début du premier concert, le Chinois affiche presque complet. Ce samedi a beau être la journée la plus ensoleillée de l'année, ces afficionados préfèrent se ruer dans la petite salle de la place du marché de Montreuil que de se pavaner en terrasse ou se prélasser à demi-nu sur l'herbe fraîche des parcs ombragés tenant d'une main le dernier roman de Marie Darrieussecq et de l'autre un verre de rosé bien frappé. On félicite donc chaleureusement ce public averti qui, tel Joseph Gordon-Levitt dans le film 500 Jours Ensemble, « se désole de vivre dans un monde dans lequel personne ne connaît Spearmint ».


Acte 1 – Les premiers pas d'Astrid & Alexander
Astrid & Alexander, duo composée au chant d'Astrid, française installée à Berlin et à la guitare de l'anglais Alexander, ancien membre du groupe Baxendale, ont l'honneur d'ouvrir la soirée et nous d'assister à leur tout premier concert. On a salué la ponctualité du public du PopFest, mais si la salle est presque pleine à 19h30, c'est d'une part grâce au statut de petit groupe culte de Baxendale mais surtout grâce aux nombreux anciens du Pop In, le meilleur bar pop de Paris de 1997 à 2023 où Astrid à longtemps trainé ses guêtres, venus la soutenir pour ses tout premiers pas sur scène. On peut désormais l'avouer car il y a prescription, qu'elle est jeune maman et maquée avec un beau-gosse plus beau-gosse et sympa que toi, mais à l'époque nous étions tous un peu amoureux d'Astrid ! Et comme en plus c'est la mif, je serais assez tenté de vous dire que leur prestation était un choc tellurique comparable au premier concert de Joy Division mais mon infaillible déontologie me contraint de rester sur le terrain de la plus parfaite objectivité.

Pantalon blanc, chemise blanche, bretelles, Alexander arbore un look de parfait Droogs, la bande de Malcom McDowell dans Orange Mécanique tandis qu'Astrid en combinaison verte et chaussures dorées a des faux airs de Nina Persson de The Cardigans meets Helena Noguerra meets Lætitia Sadier, faisant ainsi d'Astrid & Alexander, le groupe le mieux habillé de la soirée. Si Alexander, en vieux routier, est à l'aise comme un poisson dans l'eau, il faudra deux morceaux pour qu'Astrid, plus habituée aux planches de théâtre et aux performances d'art contemporain qu'aux scènes de concert, ne prenne ses marques. Nous sommes peut-être trop romantiques, mais on sera toujours plus émus par les touchants petits couacs des débuts que par le professionnalisme trop mécanique de certains groupes plus aguerris. Une fois passée cette petite phase d'adaptation, le groupe déploie sa pop légère mais piquante avec une belle dextérité et un enthousiasme communicatif, prouvant encore une fois avec ce set très réussi que les alliances franco-britanniques, de Stereolab à Mandy Indiana, produisent toujours des belles étincelles. Interprétants huit titres de son premier album Romantic Music Plays Loudly sorti en novembre dernier, dont les excellents I Am A Businessman, Non-Retour et Public Figure, le duo franco-anglais lance cette chaude soirée tout en douceur. Cooler is Louder !


Acte 2 – La folie douce de Parenthesis...
Parenthesis... (qui se prononce Parenthesisdotdotdot) est le projet solo de Tim Benton, ancien chanteur de Baxendale où officiait également Alexander. C'est ici le seul point commun entre les deux premiers groupes de la soirée tant leurs univers paraissent radicalement opposés. La peau diaphane, les yeux cerclés de noirs et les cheveux hirsutes, Tim Benton pourrait être le fils caché de Robert Smith et Kung Fu Panda s'il n'était pas déjà le sosie officiel de Richmond Avenal, personnage aussi énigmatique que gothique de la cultissime et hilarante série anglaise The IT Crowd. Lui préfère se décrire comme « a pan-dimensional pop thing, singer, songwriter, visual artist and synthesised swimmer ». Ça ne vous parait pas très clair ? C'est normal, c'est fait pour. L'anglais possède tous les codes la pop des cinquante dernières années mais sa manière des les restituer peut en déstabiliser certains. Il y a ceux qui adorent son exubérance et son côté grand-guignol à la Erotic Secrets Of Pompeii, comme Lawrence (Felt, Denim, Go Kart Mozart…) qui a repris l'un de ses morceaux sur le récent album de Mozart Estate, et ceux qui sont imperméables à ce folklore très appuyé.

Néanmoins, tous admettent son talent de showman et sa capacité à capter l'attention du public qui nous permettront de passer un agréable moment tout au long de son set même si ses chansons ressemblent parfois à un buffet à volonté saturant nos papilles. Sur Signature Look, il adopte la flamboyance de Jarvis Cocker puis l'hédonisme des Pet Shop Boys avec Your Excellency mais on pense surtout à Denim pour ce côté pop-bricolée aux accents électroniques flirtant entre le génie azimuté et la lose sublime. Si Astrid & Alexander ont remporté le prix du groupe le mieux habillé, lui rafle sans conteste le prix du merchandising. Avec des stickers à son effigie, des badges dotdotdot bien rigolos, des T-shirts stylés et d'autres goodies bien barrés, on a rarement vu marchandisage aussi inspiré. Ne vous inquiétez pas, ce soir, comme à L'Ecole des Fans (toutes mes excuses aux personnes de moins de cent-vingt-cinq ans pour cette référence qui date un peu) tout le monde aura son prix.


Acte 3 – La furie louche de Louis Lingg & The Bombs
Louis Lingg & The Bombs, les autodéclarées stars parisiennes de l'anarcho-pop-punk, sillonnent les scènes depuis plus de dix-sept ans avec comme principales ambitions celles de foutre le bordel, d'envoyer la sauce en s'éclatant un maximum tout en exprimant leurs convictions politiques qu'on pourraient qualifier d'un peu plus à gauche que celles d'Emmanuel Macron. Ils sont trop nombreux et trop dissipés pour vous les présenter un par un. On précisera juste que Louis Lingg n'est pas le leader du groupe, mais un anarchiste allemand qui se suicida en 1887 dans le couloir de la mort après son arrestation comme agitateur dans l'affaire du massacre de Haymarket Square. Celui qu'on surnomme le martyr de Chicago confectionnait des bombes faites de dynamite. T'as compris, ça va faire un peu de bruit et crois-moi, ils sont pas venus pour pas te voir souffrir ok ?

Programmer Louis Lingg & The Bombs à un festival pop c'est un peu comme inviter Django Edwards à un diner chez Nadine de Rothschild (les gamins de moins de deux-cent-cinquante ans, encore désolé pour celle-là), on sait qu'on va bien se marrer mais qu'il y aura inexorablement des taches de vin rouge sur la nappe et qu'on sera à un moment bien embarrassé quand on nous demandera avec qui est venu ce monsieur tout-nu, debout sur la table en train de faire l'hélicoptère. En général on s'en sort avec un « attention il est en train de vous pisser dessus », tout en se disant qu'on aurait mieux fait d'inviter Neil Hannon. Le groupe débute son concert avec seulement cinq membres sur scène car le sixième est déjà dans la fosse, micro au poing, prêt à embraser le mosh-pit en prenant les spectateurs mi-amusés mi-effrayés dans ses bras. Mais ceux-ci ont pour la plupart passé l'âge de pogoter et quand ils l'avaient ils préféraient pleurer dans leur chambre en écoutant les Smiths ou les Moldy Peaches. Habitués à un public plus virulent, Louis Lingg & The Bombs ne vont pas pour autant y aller plus doucement et balancent à toute berzingue et à un volume sonore que tout bon ORL jugerait excessif treize morceaux bien énervés entrecoupés de quelques mesures de titres de The Prodigy, des Beastie Boys et d'AC/DC. Comme prévu, Nadine fait la tronche car sa belle nappe est toute salopée mais nous on a bien rigolé. Est-ce que ça valait la peine de perdre deux points d'audition ? Cela est une autre question. Bien évidemment, c'est à Louis Lingg & The Bombs que revient le prix qu'on réserve aux cancres sympathiques, celui de la Camaraderie.


Acte 4 – We're going out pour voir Spearmint
Il est plus de vingt-deux heures quand arrive le clou du spectacle, le tant attendu concert de Spearmint, six ans après leur premier passage au Paris Popfest. Nous sommes là depuis trois heures et certains se font déjà appeler par leur prénom par les barmen du Chinois. Espérons que ces quelques lignes leur rafraîchiront la mémoire car leurs souvenirs ont peut-être été altérés par quelques pintes ou gins-tonics de trop. Commençons par une petite séance de rattrapage car Spearmint est un peu comme ce pote de lycée (ou de nos années Pop In) qu'on adore mais qu'on a perdu de vue. Le groupe a sorti neuf albums depuis que Sound Of Violence existe et aucun n'y a jamais été chroniqué. Ne nous jetez pas la pierre car à la vue de leurs nombres d'écoutes sur les plateformes de streaming, nous sommes loin d'être les seuls à les avoir ainsi négligés. On remercie donc Another Sunny Night, les organisateurs du Paris Popfest, de remettre Spearmint à l'honneur et de nous donner l'occasion de nous replonger dans la discographie de ce groupe qui est à l'image de ses membres, discret mais sacrément cool. Si cool que sa formation reste inchangée depuis 1995 avec Shirley Lee (chant et guitare), James Parsons (guitare, basse), Simon Calnan (chant, clavier) et Ronan Larvor (batterie), accompagnés ce soir par un cinquième musicien.

Spearmint considèrent leur dernier album, This Candle Is For You, comme leur meilleur et en joueront huit titres. Sur les quatorze morceaux de leur setlist, quatre sont issus des deux précédents LP, il n'y aura donc que deux places pour les vieilleries avec Scottish Pop et l'inévitable We're Going Out. Avec leurs looks d'éternels geeks, t-shirt Star Wars et chemise à carreau boutonnée jusqu'en haut, ils délivrent leurs morceaux en toute décontraction, visiblement très heureux de se produire à Paris mais sans en faire des tonnes. Nous sommes à des années lumières de l'exubérance des deux précédents groupes et si leur sérénité fait plaisir à voir, ils restent à notre goût un peu trop sages. Tout est super mais tout est un peu linéaire car Spearmint jouent avec la même intention un titre lent de leur nouveau disque et leur tube We're Going Out qui aurait pu être un véritable feu d'artifice. On ne peut pas reprocher à Spearmint de nous éviter un trop évident concert Best Of, mais il faut avouer qu'on aurait bien dégusté quelques madeleines de plus grâce à deux ou trois singles issus de A Week Away, leur magnifique album de 1999. Ce disque, resté étonnamment confidentiel et sous-coté, aurait dû faire de Spearmint un poids lourd de la pop anglaise mais comme le souligne très justement Christophe Basterra, l'ancien rédacteur en chef de Magic, désormais professeur d'espagnol dans le Massif central et rédacteur pour Section 26, celui-ci est sorti soit trop tôt, soit trop tard. En 1995, il aurait été dopé par l'effet Britpop et en 2001 il aurait bénéficié de l'engouement autour de la nouvelle scène rock portée par des groupes comme Franz Ferdinand.

Spearmint se déclarent farouchement indépendants sans se considérer comme Indie ou affilés à une quelconque scène ou genre musical. On a toujours pensé que ces derniers auraient pu être beaucoup plus grands, beaucoup plus importants, alors que le statut et la trajectoire du groupe semblent parfaitement leur correspondre. Leur principal souci est d'écrire, jouer et enregistrer entre amis la musique qu'ils aiment, au rythme qui leur convient, sans se soucier des tendances et sans suivre de plan marketing. Cela fait d'eux un vrai groupe indé qui a le bon goût de ne pas se la jouer artistes maudits ou rebelles enragés et qui semble en accepter le prix à payer, à savoir laisser dans l'ombre de la confidentialité de si belles pop songs. En parlant de leur potentiel sous-exploité, on note la troublante quasi-homonymie entre Shirley Lee, leader d'un groupe aux débuts étincelants, voué au succès public et à la reconnaissance artistique mais tombé dans un relatif anonymat malgré une production régulière depuis plus de vingt ans, et Sheryl Lee, révélée au monde entier à vingt-deux ans grâce à son interprétation de Laura Palmer dans Twin Peaks mais dont la suite de la carrière ne sera composée que de rôles ou films anecdotiques malgré un réel talent d'actrice. Le succès ne frappe pas toujours à la bonne porte, ce qui n'empêche pas Spearmint de recevoir de notre part le prix de l'Indépendance.

Il est maintenant minuit, le Chinois va se transformer en night-club électro et après avoir vu quatre groupes offrant chacun un versant différent de la pop et s'en être mis pleins les oreilles, on saute dans un métro pour trouver un restaurant encore ouvert avant d'improviser un petit aftershow avec quelques musiciens de la soirée. Des jeunes pousses, des vétérans, de la pop légère, du punk bruyant, des vieux amis, des nouveaux potes, voilà autre ce que nous a offert ce soir l'équipe d'Another Sunny Night. Pour le MiniPopFest, je vous demande de faire un maximum de bruit !
setlist
    Parenthesis...
    The GPS+1
    Signature Look
    Open Up
    For The Time Being
    One Of The Lost Boys
    The A.R.T
    Sixteen Weeks
    Your Excellency

    Spearmint
    Rock n Roll Never Was
    24 Hours In A&E
    Scottish Pop
    The Streets of Harlesden
    Smack of The Pavement
    Tell Me About My Sister
    Melody's Mother's Jam
    Prince And Joni
    Three More Songs On The Jukebox
    Into The Darkness
    We're Going Out
    Older Cats2
    Flowers On The Bandstand
    Back In The Middle
photos du concert
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