Il y en a qui disent qu'on a quinze ans qu'une fois dans sa vie. Et puis il y a les autres, ceux qui porteront des Vans jusqu'à la fin même si ça leur flingue le dos, ceux qui ne lâcheront jamais le hoodie Trasher de leur seizième anniversaire, et ceux qui iront aux concerts de Lauran Hibberd jusqu'à ce que plus personne ici n'ait la force de tenir une guitare. Et si vous en êtes, bienvenue au Supersonic un samedi soir, une soirée qui commence comme d'habitude par une demi-heure de file d'attente à partir de 21h. Alors on discute, avec des gens, des gens dans la file qui nous apprennent qu'ils sont fans premier degré de Kyo, puis on regrette d'avoir discuté avec ces gens dans la file, et on prie pour que la porte s'ouvre très vite, pour pouvoir se ruer dedans, se perdre dans la foule, tout ça pour retrouver ces mêmes gens au troisième rang devant le poteau (ndlr : TMTC le poteau du Supersonic), et on se rend compte qu'en fait c'étaient nos potes depuis le début et qu'on est coincé avec eux.
Pour le meilleur et pour le pire, comme on dit, et le pire étant passé il ne restera que le meilleur, et le meilleur s'appelle ce soir Lauran Hibberd. La blonde la plus pop et punk d'Angleterre débarque avec deux couettes et une robe noire en dentelle, accompagnée à sa gauche du batteur James Porter et à sa droite de la guitariste Jess Baker, en solo chez ugly ozo et à la base embauchée comme bassiste, bassiste qu'il n'y aura pas sur scène ce soir, remplacée par des bandes préenregistrées ! Mais pas de quoi décontenancer un trio 100% girlfriend material embarqué dans son « bring your own girlfriend tour », un thème dérivé du nouvel album en promotion auquel on n'aura pas réussi à répondre. Enfin, on est là pour le travail, et comme le dirait Jeanine des RH, no zob in job. Bref, la batterie frappe fort fort, la foule se chauffe doucement dès How Am I Still Alive?, Lauran fait monter sur scène un homme depuis la foule pour tenir la guitare de Honda Civic en séquence semi-improvisée, puis demande des fucks en l'air à chaque refrain, le défouloir d'adulescents thérapisés sur leurs exs toxiques est en marche, jusqu'à Bleugh. Un vrai nom de chanson pour une fantastique ligne de basse sans bassiste, avant que I'm Insecure ne fasse office de seule incursion dans l'excellente premier album Garageband Superstar (sic), et que Lauran ne nous remercie de parler si bien anglais qu'elle n'a pas eu à apprendre le français pour jouer ici.
Car Lauran Hibberd en live, ce n'est pas qu'un concert de pop-punk, c'est aussi un one woman show permanent d'humour de blonde girly, paumée, à la vie remplie d'exs toujours plus évitables. Un one woman show improvisé poussé à l'extrême outre-Manche, ici restreint à la portion congrue pour éviter de perdre tous les français dans la salle, laissant place à jealous, et toute ressemblance avec une chanson un peu compliquée d'Avril Lavigne serait purement fortuite. On poursuit, même la fumée sent la barbe à papa, mary nous raconte le premier crush de Lauran sur une fille, avant de demander si on veut encore plus de chansons sur ses exs. La réponse étant évidemment oui, Charlie's Car et Hoochie lancent très légèrement les pogos (d'accord, c'était moi et trois potes), les trois quarts de la salle s'éclatent quand le dernier quart attend juste la soirée DJ qui va suivre, Lauran propose une reprise de Chappell Roan et une chorégraphie pour continuer la fête de lycée à base de H-O-T-T-O-G-O : on fait les lettres avec les bras et on arrête d'être timide, de toute façon vous êtes déjà sortis un samedi soir dans un Supersonic blindé pour voir du pop-punk, alors vous n'êtes plus à ça près !
Comme les bons moments passent décidément trop vite, c'est parti pour le couple final : i suck at grieving monte en tourbillon sous les claps de la foule pour enchaîner 2nd prettiest girl (in the world), et ne me demandez pas de vous raconter comment c'était, parce que j'étais bien trop occupé à hurler comme une collégienne. Oui, Lauran Hibberd est au sérieux ce que l'ananas est à la pizza, mais souvenons-nous qu'elle est aussi l'une des artistes les plus funs et décomplexées à tourner aujourd'hui dans notre petit monde du rock indé.
Alors dans cette époque si anxiogène que même les Cure sortent un nouvel album, rendons grâce à sainte Lauran d'encore nous abreuver de son slacker rock sans prise de tête, pendant des concerts toujours plus courts que ce que l'on aimerait, des concerts que l'on se repasserait bien chaque matin pour se donner envie de se lever, les majeurs dressés au visage de n'importe qui, parce qu'après tout on a quinze ans, et à quinze ans c'est bien le monde entier qu'on emmerde.