Le 72ème article de l'année, déjà la mi-octobre, il fait moche, il pleut, et forcément l'inspiration ça va ça vient, alors on regarde par la fenêtre rouler les gouttes d'eau, comme si le reflet tremblotant d'un nous pas coiffé en pyjama allait magiquement raviver la flamme de l'écriture. Sinon, ça vous dit une blague ? Alors c'est du cacao en poudre, un homme, une femme, et une tronçonneuse qui rentrent dans un bar à Bastille. Bienvenue au Supersonic un mercredi soir pour une affiche 100% nouveaux talents venus d'Angleterre, alignant consécutivement deux très grands espoirs de l'année en cours : Van Houten et Man/Woman/Chainsaw.

Les premiers ont eu droit en mars à un coup de cœur sur ce site pour leur premier album
The Tallest Room, quand les seconds auront bientôt droit au même honneur pour
Eazy Peazy, leur premier EP à paraître le 8 novembre chez Fat Possum. Et ce seront donc les Loiners cacaotés de
Van Houten qui lancent les hostilités tant musicales que vestimentaires, à coups de shoegaze post-punk et de maillots de foot rentrés dans le pantalon. De belles dégaines d'anglais, et une musique oscillant entre Leeds et l'autre côté de l'Atlantique, révélant surtout en live l'aspect vaporeux et nineties de leurs productions studio. En même temps, trois guitares sur scène, ça en fait de la fumée, d'autant plus quand
Black And White et
Never Did Come Back montent lentement jusqu'à retomber en poudre sur un public rêveur et embué de lueurs violettes, croisant le chant tantôt post-punk tantôt grunge de Louis Sadler, tel un naufragé dans la brume hurlant pour se faire entendre.
Comprenez par tout ça que Van Houten c'est du shoegaze en moins chiant, sans toutefois éviter une majorité de ses défauts. La communication est timide, minimale, le show souvent statique et composé de guitaristes qui regardent leurs pieds, tout ça jusqu'à un emballage final avec
Porcelain et
Only Wanna Be With You remettant du gros dream-rock grunge dans la balance, sonnant l'heure du réveil pour un public parfois léthargique mais toujours de bonne volonté. Du grungegaze, du shoegrunge (copyright Laëtita Mavrel), appelez-ça comme vous voulez, en tout cas le style enfume et râcle la gorge, crame une à une les pédales alignées en rang sur le rack, et nous aura fait passer un vrai bon moment conclu par la chanson fleuve
I Let You, huit minutes de ballade dans des nuages réverbérés avec en contrebas la ville de Paris. Un voyage sans trop de pirouettes mais indéniablement ravissant, typique d'un concert dans lequel on s'attendait à chavirer, mais qui aura finalement plutôt eu tout d'une belle amitié.
Oui, quelque part on a un peu friendzoné Van Houten, ce qui n'arrivera évidemment pas avec
Man/Woman/Chainsaw, gigantesque crush d'un rédacteur dont on taira le nom, mais sachez qu'il écrit actuellement ces lignes. Un concert dont la réalité dépassera la fiction, propulsé bille en tête par l'introduction bruitiste
Meagan, suivie de l'un des plus grands singles de l'année musicale,
What Lucy Found There. La basse de Vera Lepännen enclenche le tempo, les notes de piano d'Emmie-Mae Avery projettent dessus perles et diamants que le violon de Clio Starwood rattrape au vol, tissant en tournoyant une robe qui ne finira pas dans un bal mais dans un pogo, la faute à la guitare de Billy Ward et la batterie de Lola Cherry. Un quintet original augmenté d'un deuxième guitariste pour démarrer le lourd moteur de
Sports Day, les cylindres claquent par mesures arithmétiques mais le camion dévore la route, enfonce un asphalte brûlant que ne refroidira pas le sublime chant d'opéra d'Emmie-Mae sur ce qu'on imagine être
Get Up And Dance.
Une longue liste de chansons inconnues s'annonce, débutée par
God Damn Lizard Man, lourde, massive, lascive, exactement ce que l'on imagine d'un homme lézard, enchainée par thème avec
Snake Eyes, imbroglio improbable de douces montées et d'explosions polyrythmiques impossibles à pogoter.

Un truc noté
OMPPU sur la setlist se révèle être une folie tournoyant jusqu'à la planète Mars dans le sillage de l'archet de Clio, avant que
The Boss ne nous ramène en terrain connu, un terrain connu hurlé en parfaite harmonie par Vera et Billy, car ici tout le monde chante, tout le monde groove, et tout le monde maîtrise une théorie musicale de conservatoire. Preuves en sont les sublimes couplets en équilibre instable de
EZPZ débouchant sur un refrain grandiloquent, gargantuesque, construit comme une cathédrale dans la sueur et dans le sang de milliers d'hommes sacrifiés à une ambition divine trop grande pour eux. Le violon, les guitares, et les claviers s'entrechoquent, la scène, la salle sont déjà trop petites pour un groupe énorme et visiblement pas encore assez respecté, au vu des pignoufs qui trouvent que se raconter leur journée en criant au milieu du bar vaut mieux qu'écouter cette douce merveille qu'est
Grow A Tongue In Time.
Une synthèse des soirées au Supersonic de Paris dès qu'il y passe un groupe un tant soit peu raffiné, mais ce n'est pas ça qui nous empêchera de nous laisser bercer par le sublime de
Ode To Clio, Clio la violoniste à qui l'on aura laissé la plus belle des chansons pour conclure à trois cent à l'heure cette belle soirée de découvertes, en compagnie des promesses que sont aujourd'hui Van Houten et Man/Woman/Chainsaw. Des premiers dont on attendra dans le futur des prestations live plus assurées et dynamiques, et des seconds dont on attendra seulement de les revoir encore plus beaux deux jours plus tard à Rotterdam, Pays-Bas, dans la très jolie église d'Arminius. Mais ceci est une autre histoire, une autre ode à ce splendide groupe au potentiel énorme qu'est Man/Woman/Chainsaw, tout ça dans un bar saupoudré de cacao amer.