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SPRINTS

Paris, Trabendo - 16 décembre 2024

Live-report par Adonis Didier

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Il est paradoxalement toujours plus compliqué d'écrire à propos d'un groupe que l'on connait par cœur, à propos duquel on a déjà écrit un nombre incalculable (cinq) de fois, et dont la musique occupe une place indescriptible de la vie, une dictature du cœur ayant depuis longtemps mis l'objectivité aux fers, la raison en détention. Alors on cherche des métaphores, des périphrases, adynatons et circonlocutions, toujours plus belles et puissantes, dans l'espoir d'écrire des choses que l'on n'aurait pas déjà écrites quelque part. Alors on complique, on s'applique, on tourne les phrases dans le sens oblique, et sans une bonne réplique, on alambique un alambic qui bout déjà furieusement des vapeurs de rimes frelatées, de ce verre vide de vers s'agitant sans queue ni tête à l'envers. Alors à force de se prendre la tête par la queue on se dit que la réponse n'est pas là, et on efface, on raye, on supprime, on gomme, on oblitère jusqu'à ce qu'il ne reste sur la feuille que le plus simple élément constitutif, le dénominateur commun, le fermion à la base même de l'existence de ce groupe originaire de Dublin que l'on appelle SPRINTS : le rock and roll.


Le rock and roll qui revient au Trabendo à Paris pour le dernier concert d'une année folle, le dernier des 103 donnés par le groupe en un an depuis la sortie de leur premier album, Letter To Self. Un groupe qui a, au cours de l'année, changé de guitariste, arrêté de boire avant les concerts, et décuplé un talent live et une confiance en ce talent qui donne aujourd'hui à SPRINTS une stature d'un tout autre calibre, et la sérénité de lancer leur concert sur un inédit. Loin d'être la seule de la soirée que personne n'a encore entendue, To the Bone s'ouvre sur une longue montée à la guitare acoustique avant la traditionnelle explosion Sprintsienne de mi-chanson, le public est encore tranquille mais tout cela ne durera que les deux premières minutes de Shadow Of A Doubt, et l'ombre d'un doute se lève dès le premier coup de semonce, la foule s'ouvre et se renferme en cadence, les ventricules compriment et détendent au rythme des coups de caisse, le sang s'engouffre et gicle, la sueur perle des fronts, s'élance de la pointe des cheveux par-dessus une foule hystérique criant autant qu'elle Adore Adore Adore.


Sur scène, Karla Chubb se régale du single Feast, nous mâchonne pour dîner, joue sur les mots, tire et retient le rythme, et relâche d'une main tombante la tension du désir de se projeter dans le fracas des corps moites et volontaires. D'un tourbillon des doigts, c'est au tour du bassiste Sam McCann d'indiquer à la fosse qu'il est temps de tourner, tourner en rond jusqu'à ce que la pièce soit lourde, que l'air soit chaud et que l'air soit suant, et ça fait un, deux, trois, ça s'appelle Heavy et ça fait un, deux, trois. Retour deux ans et demi en arrière, I'm In A Band revient au génial EP A Modern Job et relance une fois encore la foule jusqu'au relatif calme de Shaking Their Hands. Karla tombe le pull et dévoile son t-shirt des Osees, Sam en porte un de Chalk en l'honneur de leur première partie au Royaume-Uni, et seul le batteur Jack Callan continue à batailler dans le fond de la scène, car il ne lui sera donné aucun repos, aucun temps mort qui ne requiert qu'on ne le frappe d'un coup de baguette. Alors on roule, on compresse, on aplatit le bitume rouge avec Can't Get Enough Of It, et voici le temps venu de présenter, le jour de son anniversaire, le nouveau guitariste Zac Stephenson, remplaçant d'un Colm O'Reilly parti en milieu d'année et préférant se retirer de la vie des tournées. Une présentation acclamée avec force champagne mousseux et saupoudrée d'un public qui chante joyeux anniversaire, de quoi mettre tout le monde de bonne humeur pour deux nouvelles chansons, Better et Somethings Gonna Happen. Du rock sexy et vaporeux qui se languit dans la chaleur du désert, on voit pour la première fois de notre vie Karla derrière un clavier, les chansons montent jusqu'à exploser, illuminer la nuit d'artifices flamboyant aux couleurs de la distorsion, et comme pour ramener tout le monde sur terre voici Up And Comer qui débarque. Retour à la chaleur du circle pit, des yeux se croisent avec l'intention d'en découdre, un cri dans l'obscurité brise la tension de surface, des coudes et des épaules volent, des mains se lèvent et bâtissent une Cathedral sur laquelle tous se jettent, surfant sur une foule voguant comme la houle, fracassant quelques marins malchanceux contre les marches d'un Trabendo en passe de rompre. Le public demande du rapide, Karla leur donnera du rapide, et voilà que la dernière inédite du soir se jette dans le vide sans filet, qu'importe les roches en contrebas, qu'importe la fatigue et les verres renversés devant la scène, et si d'aucuns pensaient que le prochain album allait être plus calme, méfiez-vous du loup qui dort.

Un loup qui s'adresse consciencieusement des lettres à lui-même, Letter To Self vole toujours plus d'oxygène à la foule en nage, avec en post-scriptum une courte instrumentale maison pour laisser Karla boire de l'eau. De l'eau sortie d'une fontaine de jouvence rappelant The Cheek à la vie, le deuxième single de l'histoire du groupe, que l'on avait plus entendu depuis un concert au POPUP! en 2022 (et si vous étiez des quinze personnes présentes ce soir-là, bravo à vous !). Karla pose la guitare, dédie la chanson à ses meufs et à ses gays, fait du lasso avec son microphone, monte sur les retours, mime ses paroles, monte et saute depuis le haut de la grosse caisse, Karla la rockstar au charisme solaire, un astre si rare en Irlande qu'il ne brille désormais plus que pour la chanteuse de son meilleur groupe de rock. Et alors que les chansons s'égrènent, la tête embrumée de vapeur et d'effort on réalise qu'il n'en reste à priori que deux, deux chansons qui ont marqué l'histoire du groupe et expliquent comment SPRINTS sont passés en deux ans de la minuscule salle du POPUP! à celle du Trabendo.


Mais avant cela il est temps de remercier, de faire une spéciale dédicace au mec qui a ramené vingt de ses potes au concert au premier rang, de dire merci à tous ceux qui ont accompagné ce premier album, ces 103 concerts de l'année, ce changement de vie complet pour ceux qui l'année dernière devaient encore rentrer de Glastonbury au milieu de la nuit pour travailler le lundi matin. Des remerciements que Karla aura du mal à terminer sans pleurer, des sanglots dans la voix et des images plein la tête, une tête très littéraire, alors revenons-en une dernière fois au rock and roll, Literary Mind dégoupille et secoue la bibliothèque avant que Little Fix ne se déclame sur fond noir, performance artistique torturée laissant place à une folie sans nom, Zac sur la baffle de basse et à côté de lui Karla qui plonge sur la foule, dernier blizzard de l'année avant de dresser le sapin et de sortir le chapon du four. Tout ça avec une petite bouteille de Bailey, le groupe revient sur scène avec leurs amoureuses pour entonner Fairytale of New York, avec un public français qui ne connaît que de très loin les paroles du chant de noël irlandais made in Pogues, mais l'esprit de noël et le yaourt feront le reste, Zac joue de la flûte, tous se prennent dans les bras, et enfin il est le temps des vacances, le temps des rires et des chants, pour les chroniqueurs musicaux comme pour les groupes de rock.

La fin, aussi, d'un concert de SPRINTS qui sonne comme un jalon, une borne kilométrique gravée au burin sur les pavés de Dublin, le passage à l'âge mûr du plus beau des fruits du rock irlandais, qui aura ce soir établi que leur course est faite pour durer, et que du lièvre et de la tortue ils sont les deux. SPRINTS comme un marathon, un iron man, un tour du monde d'un an terminé par un couronnement arrosé de crème de whiskey, car cette année était la leur, comme toutes celles à venir, on en est maintenant sûrs.
setlist
    To The Bone
    Shadow Of A Doubt
    Adore Adore Adore
    Feast
    Heavy
    I'm In A Band
    Shaking Their Hands
    Can't Get Enough Of It
    Better
    Somethings Gonna Happen
    Up And Comer
    Cathedral
    New song
    Letter To Self
    The Cheek
    How Does The Story Go?
    Literary Mind
    Little Fix
    ---
    Fairytale Of New York (The Pogues cover)
photos du concert
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