Wolf Alice

Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas, et si le loup y était, il nous mangerait.... Alors prévenez les chaperons, les cochons, et tout le pays des merveilles, le loup est de retour sur le continent après trois ans d'absence, et il a faim, très faim. Un nouvel album The Clearing à venir fin août, enchaîné par une tournée de quarante-cinq dates couvrant l'Amérique du Nord puis l'Europe, et avant ça l'amuse-gueule, l'apéro, les petits fours, appelez-ça comme vous voulez mais Wolf Alice a besoin de s'ouvrir l'appétit, et ça commence ce soir au Nouveau Casino, rue Oberkampf à Paris.


A deux pas du regretté International, une salle de trois à quatre cent personnes qui affiche évidemment complet pour un évènement rare et précieux, d'autant plus rare et précieux que le groupe a passé la vitesse supérieure et réserve désormais le Zénith pour son futur passage parisien de novembre. Une préchauffe française qui prépare le Primavera Sound Festival et Glastonbury, et qui démarre pied au plancher par le Formidable Cool qui caractérise en toutes circonstances Wolf Alice. Ellie Rowsell porte un body et des bottes comme sur toutes les photos de promo, Joff Oddie et Theo Ellis complètent de part et d'autre la ligne de front, le groupe a ajouté un clavier pour le live, et si Play The Greatest Hits n'arrivera qu'un peu plus tard dans la liste, le titre résume assez bien ce à quoi l'on va assister ce soir.

Car pour ceux qui pouvaient s'attendre à un tour de chauffe des chansons du nouvel album et à une prestation Taratata, la réalité sera toute autre et c'est bien un monstrueux concert de Wolf Alice en comité réduit qui va nous être présenté, un concert évidemment dominé par le dernier album en date, Blue Weekend, et n'est-ce pas Delicious Things qui sort des enceintes devant moi ? Le son est impeccable, puissant et clair, maîtrisé à la perfection dans la douceur comme dans les explosions de pop brillante et sensuelle qui forment la récente DA du groupe. Une DA en constante évolution, et pour le prouver, l'unique single pour l'instant disponible de la suite, Bloom Baby Bloom : un piano et une basse trampoline, un délire rock-funky seventies projeté par des bras puissants sur un refrain pop lyrique grandiloquent, suivi de la seule inédite du soir, The Sofa. Une très jolie ballade acoustique, un public qui fait des vagues avec les bras, et une première mondiale en live qui renforce encore la rareté d'un moment qui n'en sera que plus magique avec Bros.


Ça hurle dans tous les sens, les fans sont aux anges, Ellie passe le pont a capella avec la foule avant l'habituelle explosion finale des chansons de Wolf Alice, un gimmick bien différent de la folie libératrice de Yuk Foo, extrait punk du deuxième album du groupe entièrement chanté au mégaphone par la diva grunge du soir. Et ça fait woop woop dans la salle, le Nouveau Casino déclare l'état d'urgence et au centre de la fosse, ça se pousse et ça s'envoie contre les murs de boucliers estampillés CRS. Play The Greatest Hits continue sur sa lancée punk, la foule se sort les tripes et les cordes vocales, un soutien-gorge est jeté sur scène après Silk, The Last Man On Earth rappelle les manifestants à l'ordre de la douceur de sa lumière, mais ce qu'on veut maintenant c'est du gros rock crade, et ce que le public veut le public aura. Giant Peach démonte les sorties son, ça sent la lampe cramée jusqu'au salon VIP, l'atterrissage final pèse trois A380 et fait escale à Seven Nation Army, et voilà qu'on se rappelle comment c'était en 2015, quand on avait même pas vingt ans et qu'on buvait du Passoã.

Mais on a grandi, mûri, et Wolf Alice aussi, retour vers un futur calé sur le bout des ongles, la manucure parfaite de l'album Blue Weekend revient sur scène dans toute sa complexité, Safe From Heartbreak (If You Never Fall In Love) pour la mélancolie folk, Smile pour le glam-rock dévastateur, Lipstick On The Glass pour la grande pop classieuse, tout ça jusqu'à la chanson à l'origine de notre amour pour le groupe, un amour qui s'était un peu oublié, étiolé, mais qui ce soir va rejaillir en une gerbe de confettis en fusion sur la base d'un seul sourire. Moaning Lisa Smile lance la roulette du Nouveau Casino, trois accords de guitare et bang le croupier s'est pris une balle dans la tête, une bille fendue en deux retombe de concert sur le rouge et le noir, tout le monde a gagné et crie, le groupe sort de scène mais les lumières ne se rallument pas, et à un concert de Wolf Alice du premier jusqu'au dixième rang on sait exactement ce que ça veut dire.


Don't Delete The Kisses comme unique rappel, Chappell Roan avant Chappell Roan, Chloe Slater avant Chloe Slater, une chanson en avance sur son temps qui fait aujourd'hui plus sens que jamais et qui passera comme dans un rêve. Un rêve éthéré, lointain, un nuage de ouate et de marshmallow qui conclut le rêve éveillé de revoir Wolf Alice dans le contexte d'une salle comme le Nouveau Casino, tantôt punk, tantôt douce et intimiste, toujours dense, compacte, et passionnée, et si certains seraient tentés d'en appeler à des souvenirs de 2015, sachez que le groupe a depuis bien pris en muscle et en confiance. En poignées d'amour diraient aussi les autres, et c'est bien le fait de prendre de l'âge, l'important c'est de s'aimer soi-même et d'en être sûr, une confiance en soi que Wolf Alice n'ont désormais à envier à personne, quand ils viennent de prouver en seulement une heure et dix minutes qu'ils sont l'un des groupes de pop-rock les plus solides et complets de la décennie fiscale.

Une valeur sûre qui n'a plus peur de rien et qui s'apprête à prendre sa juste place dans la hiérarchie britannique, au cours d'une année 2025 qui, en plus du serpent, promet d'être celle du loup, un loup nommé Alice qui vient à peine de se mettre à table, et laissez-moi vous dire qu'il est affamé.