Faut-il dissocier l'homme de l'artiste ? Avec Kae Tempest la question ne se pose pas tant Self Titled, son dernier album, marque l'aboutissement d'un cheminement aussi personnel qu'artistique. Après des disques empreints successivement de colère, de frustration, de mélancolie et de résilience, celui-ci célèbre l'acceptation de soi. Self Titled, c'est Kae Tempest sans filtre, sans posture et sans métaphore.
En ouverture, on découvre ce soir l'Écossais Jacob Alon, étrangement passé sous nos radars malgré la nomination de son album In Limerence au Mercury Prize 2025. Entre folk queer et pop élégante d'inspiration Nick Drake ou Jeff Buckley, sa voix cristalline et sa sensibilité à fleur de peau subjuguent la salle. Quarante-cinq minutes de pure grâce. Plus qu'une belle surprise, une révélation.
Le concert de Kae Tempest se décompose en trois actes. Le premier, intitulé « I Wasn't Ready Yet », puise dans ses quatre premiers albums. Le second, « If You Wait for the Right Time You'll Never Be Ready », déroule Self Titled dans son intégralité, dans l'ordre du disque. Enfin, la dernière partie « I Think It's Time I Stopped the Show » se clôt sur une reprise aussi dantesque qu'inattendue.
Plus qu'un Best Of, le premier acte agit comme un exorcisme. Composé principalement de morceaux de The Line Is A Curve et The Books Of Traps And Lessons, il replace chaque titre dans une nouvelle lumière. Pas de Europe Is Lost ni de Ketamine For Breakfast car cette rage-là n'a plus sa place chez le Kae de 2025, désormais apaisé, ancré et lumineux. Les morceaux s'enchaînent comme un souffle continu, entre slam, spoken word et hip-hop organique. Priority Boredom ouvre la marche comme une confession intime, Firesmoke enflamme la salle et More Pressure transforme le public en chœur compact. La tension retombe sur People's Faces, toujours aussi bouleversant, la compassion y devient arme politique.
La deuxième partie, entièrement consacrée à Self Titled, révèle la cohérence et la force de ce nouvel album. Kae Tempest s'y tient debout au centre de la scène, visage traversé par une intensité calme, presque spirituelle. Les mots claquent avec précision, mais sans agressivité. On y entend l'urgence du présent, la paix conquise sur le chaos intérieur. Know Yourself, Bless The Bold Future ou Hyperdistillation : chaque titre résonne comme une étape du voyage, de la lucidité à la libération. Kae ne cherche plus à convaincre, ni à dénoncer mais seulement à être.
Et puis vient le rappel. Freedom de George Michael, repris seul, les yeux fermés, comme un mantra collectif. Le public chante, certains pleurent. On pense à South London, à la route parcourue depuis les premiers open mics, à toutes les métamorphoses d'un artiste qui n'a jamais cessé de se chercher pour mieux se trouver.
Avec Kae Tempest, le rétro-acronyme de « rhythm and poetry » retrouve tout son sens. Des rythmes imparables, une poésie viscérale et une humanité à nu. Ce soir, l'Elysée Montmartre n'était pas qu'une salle de concert, c'était un lieu de passage, un rituel et une guérison partagée. Quelle tempête !