logo SOV

Kae Tempest

Paris, Cigale - 29 novembre 2022

Live-report par Franck Narquin

Bookmark and Share
Entre annulation de dernière minute et confinement, cela fait déjà trois ans que Kae Tempest n'avait pas donné de concert à Paris, depuis une soirée mémorable au Trianon pour la tournée de The Books Of Traps And Lessons. Entre temps, nous avons fait tourner en boucle The Line Is A Curve, album impressionnant de modernité, où la plume et le flow de l'anglais se frottent à des productions plus amples et plus électroniques. Nous attendions donc avec impatience cette venue, inscrite au fer rouge dans nos agendas. Comme souvent, Kae Tempest aime fractionner ses concerts en deux parties, l'une dédiée à son dernier album et l'autre au reste de son catalogue. Si ce format faisait particulièrement sens lors de la tournée de The Books Of Traps And Lessons, où il était difficile de mélanger la poésie-musicale du projet avec des titres tels que Ketamine For Breakfast, celui-ci semblait à priori moins opportun pour The Line Is A Curve. C'était toutefois vite oublier l'importance portée par Kae Tempest au concept même d'album, projet autonome devant être présenté, tel une pièce de théâtre, dans son intégralité et en respectant sa chronologie. Nous aurons donc droit ce soir à une interprétation dans l'ordre des douze titres du disque suivie d'un mini best-of et même de quelques inédits. Premier signal positif, la setlist du soir fait sacrément envie.

En attendant, Ivy Sole, artiste de Philadelphie, assure la première partie et présente son hip-hop délicat qui n'hésite pas à mélanger rythmiques boom-bap et samples d'indie-rock, rn'b lascif et orchestrations jazzy. On la découvre ce soir bien qu'elle ait déjà trois albums au compteur et on conseille l'écoute aux fans de No Name, Kari Faux ou Tierra Whack ainsi qu'à tous ceux qui se réjouissent quand le hip-hop, ce vieux macho, ose enfin porter du queer.


Affichant complet depuis plusieurs semaines, la Cigale est pleine à craquer, mais le public parait bien sage en cet avant concert. Pourtant, à peine monté sur scène, accompagné par sa claviériste Hinako Omori, Kae a droit à une impressionnante salve d'applaudissements, plus intense et plus longue qu'à l'accoutumé. Visiblement ému, Kae ne feint pas l'indifférence, le public redoublant alors de ferveur. Une standing ovation avant même le premier morceau, on a rarement vu ça. Nouveau signal positif, la communion entre l'artiste et son public ne devrait pas trop avoir de mal à se faire. C'est le moment pour Kae de prendre la parole et de s'exprimer assez longuement dans un discours touchant qui lui mettra définitivement le public dans la poche. Donnant alors le programme de la soirée, il précise que s'il vient de parler au aussi longtemps, c'est qu'il ne s'adressera que très peu ensuite au public, préférant rester dans sa bulle de concentration. Encore un signal positif, l'anglais n'a l'air d'être venu à Paris pour faire du tourisme. Avec autant de signaux envoyés en si peu de temps, il y a comme goût de grand concert qui flotte dans la salle.

La première partie du show est, donc, consacrée à The Line Is A Curve. Si Kae a décidé de jouer les titres dans l'ordre exact du disque et n'est accompagné que par une seule musicienne, ce n'est évidemment pas pour en présenter des versions revisitées. Les productions envoyées par Hinako Omori seront telles que sur disque, tout le sel du spectacle reposant sur l'interprétation vocale de Kae Tempest. Bien qu'il soit assez loin de l'image d'Épinal du rappeur, son approche est pour le coup celle d'un « original MC » avec un DJ lançant des sons sur lesquels le MC appose son flow, pas de fioritures ici, pas de chichis. La magie qui opère ce soir ne provient pas d'un groupe qui envoie du bois, d'un spectacle pyrotechnique, de chorégraphies millimétrées ou d'un showman survolté. Au contraire, Kae Tempest semble à la fois extrêmement concentré et totalement relâché et délivre ses textes avec une aisance absolue, faisant tantôt briller sa technique vocale, tantôt sa grande faculté d'incarnation. Sans forcer, Kae fait preuve d'une intensité et d'une poésie inouïes. En délestant son prénom d'un T, Kae semble s'être complètement trouvé et on a clairement l'impression d'assister à la prestation d'un artiste au sommet de son art. De Priority Boredom à Grace, les douze titres de The Line Is A Curve semblent avoir été interprétés le temps d'un battement de cils.


Dans la deuxième partie du concert, Kae joue ses titres phares, tels qu'Europe Is Lost, Ketamine For Breakfast ou Firesmokes avant de terminer par le sublime People's Faces. Si le flow est aussi affuté qu'en début de concert, Kae semble moins de sa bulle et échange plus avec le public. La grande variété stylistique des morceaux issus de ses trois premiers albums a pour effet de faire paraître cette partie un peu plus décousue que la première mais sans doute encore plus émouvante. Bien que ne faisant en général jamais de rappel, Kae fera trainer la soirée en interprétant deux nouveaux titres. On sent que l'artiste ne veut pas quitter la scène et que le public en transe ne veut pas le laisser partir. Nous aurons ainsi eu droit à pas moins de vingt-deux chansons dans un concert d'une grande générosité.

La sensation des premières minutes ne s'est jamais démentie et nous avons ainsi assisté à un moment rare, à la communion d'un public conquis où chacun semblait vivre pleinement l'instant présent avec un artiste en état de grâce. Si après tant d'années on prend toujours autant de plaisir à assister à des concerts, on peine tout naturellement à retrouver aussi souvent cette émotion et ce frisson que l'on avait si régulièrement adolescents ou jeunes adultes. Ce spectacle vient nous rappeler que si même un mardi soir de novembre sous la bruine et par six degrés, légèrement enrhumé, on ne cesse d'arpenter les salles de concerts, c'est pour vivre des soirées comme celle-là.

Grand artiste, grand concert et, une fois n'est pas coutume à Paris, grand public !
setlist
    Priority Boredom
    I Saw Light
    Nothing To Prove
    No Prizes
    Salt Coast
    Don't You Ever
    These Are The Days
    Smoking
    Water In The Rain
    Move
    More Pressure
    Grace
    ---
    The Woman The Boy Became
    Europe Is Lost
    Marshall Law
    Ketamine For Breakfast
    Circles
    Firesmoke
    Holy Elixir
    People's Faces
    New song
    New song
photos du concert
    Du même artiste