Le froid s'est brutalement abattu sur Paris en cette fin de novembre, accompagné des premières chutes de neige. Mais avant que la capitale ne se retrouve drapée de blanc, c'est de noir qu'elle s'était couverte pour le triste anniversaire des dix ans des attentats du 13 novembre, dont celui survenu au Bataclan. Pas évident, donc, de sortir un dimanche soir - physiquement comme mentalement - pour aller assister à un concert, même quand c'est pour retrouver un groupe qu'on chérit depuis vingt ans : The Subways, de passage pour célébrer
Young For Eternity, leur album fondateur. Entre
Des Vivants, qui remet en scène les blessures de 2015, et
Monstre, qui dissèque la noirceur d'Ed Gein, la soirée s'annonçait plombante. Alors on a fermé l'onglet Netflix, enfilé une veste trop légère pour le froid, et on est allé chercher de la lumière là où elle existe encore : dans le vacarme bienveillant d'un concert à la Maroquinerie.

On profite des transports et de la montée (interminable) de la rue Ménilmontant pour écouter le premier Best Of du groupe,
When I'm With You, sorti le mois dernier, dont le tracklisting promet d'être proche de la setlist du soir. L'occasion de réviser d'une pierre deux coups les deux inédits
I Need To Feel You Closer et
Passenger's Side. Une fois les différents contrôles passés et l'incontournable tête de tigre imprimée sur le poignet, on entre dans la fameuse salle « où l'on voit partout » au son des morceaux de
Hannah Ashcroft, qui assure la première partie. Native du nord de l'Angleterre, la jeune chanteuse déroule un univers folk psychédélique, puisant ses inspirations chez ces artistes solitaires qui n'ont besoin que d'une guitare électrique et d'un bon texte pour occuper une scène. Face à un parterre quasi mutique - presque trop respectueux - elle enchaîne des compositions parfois répétitives dans la forme, mais traversées de paroles singulières et de riffs délicatement décalés. On y entend aussi bien l'ombre de John Martyn que celle de Julia Jacklin, le tout chanté avec une voix à la fois belle et surprenante. Elle conclut son set avec une chanson résolument plus pop que le reste de son répertoire (
Amoeba), qui semble emporter sans effort l'adhésion du public du soir.

À 21h, le trio de la banlieue de Londres fait son entrée sur scène. Les membres fondateurs de
The Subways, Billy Lunn et Charlotte Cooper - autrefois fiancés - sont accompagnés de Camille Philipps, nouvelle batteuse officielle du groupe depuis 2021, qui remplace Josh Morgan, le frère de Billy. Des changements internes, donc, mais aussi des transformations physiques et d'attitude : Billy, autrefois adepte du topless façon Iggy Pop, adopte désormais un style plus sage, pantalon ajusté et allure soignée. Le public lui aussi témoigne du passage du temps. En 2005, on parlait des Subways au lycée après les avoir découverts dans Newport Beach. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui, devenus quarantenaires, sont installés professionnellement, et le crédo
Young For Eternity semble déjà très loin.
Pourtant, la cure de jouvence ne se fait pas attendre : dès les premières notes de
Oh Yeah, extrait du premier album, l'attention du public est captée. Les Subways enchaînent avec
Black Wax et
We Don't Need Money To Have A Good Time, extraits respectivement de
Uncertain Joys et
Money And Celebrity qui, bien que peu représentés ce soir, s'insèrent parfaitement dans un set où chaque nouveau morceau dialogue avec les classiques qui ont construit leur réputation. Viennent ensuite les deux inédits cités plus haut, alternant énergie brute et mélodies accrocheuses. La Maroquinerie est pleine et bouillonne : pas de pogos à l'allure d'antan, mais la foule chante chaque mot, se balance et suit le rythme avec une énergie qui semble forcer le sourire des musiciens sur scène.

Le trio se montre également communicatif et chaleureux. Charlotte, qui parle très bien français malgré quelques antisèches visibles sur scène, confie son morceau préféré de la discographie du groupe :
Kalifornia. Le deuxième album,
All Or Nothing, est également largement représenté, mais ce sont surtout les titres de
Young For Eternity qui déclenchent les réactions les plus enthousiastes.
I Want To Hear What You Have Got To Say illustre parfaitement ce mélange d'énergie et de nostalgie : Billy invite le public à reprendre la partie acoustique, tandis que Charlotte chante seule un couplet, quelques spectateurs lui adressent des cœurs avec les doigts, un geste ringard qu'elle doit subir à chaque concert, sans que cela ne trouble en quoi que ce soit sa prestation. Charlotte, réputée timide dans la vie quotidienne, semble disparaître derrière son charisme et sa gestuelle assurée. Billy, quant à lui, se montre généreux en confidences : souffrant de problèmes aux cordes vocales, il n'hésite pas à faire chanter le public sur certains refrains, comme sur
Mary, pour compenser ses difficultés actuelles. Ces moments de vulnérabilité partagée renforcent l'intimité du concert et rappellent que, malgré les années, l'énergie et la complicité du trio restent intactes.
Après 1h20 de tubes à la chaîne, Billy se permet un dernier aparté, encourageant le public à acheter du merchandising quel que soit le concert : les finances reviennent directement dans les poches du groupe, sans intermédiaires. Il faut dire que les Subways ne sont plus le mastodonte qu'ils furent autrefois et ont sans doute dû se confronter à une certaine réalité. Le show se conclut avec la tant attendue
Rock & Roll Queen, laissant le public exploser une dernière fois. Billy profite de la version rallongée pour se lancer dans un slam au milieu des fans, comme une ultime communion avec le public du soir. Si l'énergie paraît moins abrasive que quelques années auparavant, le concert se termine sur un sourire, un peu comme après un film doudou en période de fêtes, avec l'envie irrésistible de recommencer l'expérience. Charlotte prend à peine le temps de passer en loge avant de rejoindre le stand de merchandising, déjà occupé par Hannah Ashcroft et une sélection de vinyles dédicacés.
On redescend la rue de Ménilmontant sans le même effort qu'à l'aller. On n'est peut-être plus "jeune pour l'éternité", mais le nom de cette tournée,
For The Eternity, prend tout son sens et laisse une impression durable : celle d'une énergie partagée, intacte malgré le temps, et d'un groupe qui sait encore faire battre le coeur du public.