Vous savez, dans concert il y a con et il y a cert, et certes tous les concerts ne sont pas cons, mais celui-ci l'était pour tous les autres. DITZ investissent l'Elysée Montmartre et ramènent avec eux leurs ouvriers de chantier, les leaders du marché lorsqu'il s'agit de concilier punk et ravalement de façade :
KNIVES.
Le sextet de Bristol, qui sort ce jour-même son EP d'inédits/remixes
REGLITTER I, et qui attaque dès 19h40 et ce même si la salle est aux trois-quarts vide. Cinquante pélos dans la fosse ? Pas de problème, ça fera plus de place pour pogoter, les enceintes crachent les trois premières chansons de l'album
GLITTER sous respiration artificielle, vite de l'oxygène, appelez une ambulance mais pas pour moi, plutôt pour ceux qui se seraient perdus dans l'Elysée Montmartre et que le choc aurait mis KO.

KO en un coup, fatality,
PHD roule au tractopelle sur les esgourdes de l'assemblée, Maddy Hill descend jouer du saxophone sur les barrières du crash,
SUGAR fête la sortie du nouvel EP,
Headcase revient aux racines du groupe et j'en oublie de prendre des notes à force de sauter contre des gens au moins aussi stupides que moi. L'instinct de survie, une notion très surfaite que ce soir tout le monde a sauté au moment de créer son personnage, l'un des guitaristes descend dans la fosse pour organiser le pogo, et la salle se remplit et déverse toujours plus de gens dans le cercle des fous. « Je suis cinglé, je suis un salop, je suis un punk ! », la déclaration d'intention est limpide, la musique est la plus bourrine qui soit, et comme dirait un certain président : « nous sommes en guerre ».
CORAZON clôturera le nouvel EP de son deuxième inédit, et à partir de là la fosse ne sera plus qu'une machine à laver à laquelle on a enlevé la fonction essorage. Jay Schottlander et son bassiste Ben Marshall s'envoient des hi-kicks sur scène, un peu plus bas la foule imite l'exemple, les jeux sont faits rien ne va plus et la foule tournoie dans la vapeur et le contact des corps et des t-shirts trempés. A cinq de front autour de l'attraction gravitationnelle de leur chanteur, KNIVES terminent leurs quarante minutes de set et quatorze chansons par
Doppelgänger, presque toute la discographie y est passée, presque toute l'eau de notre corps aussi, et on souhaite bon courage à DITZ pour tenir la marée après ça.

Mais disons-le d'emblée,
DITZ ont été courageux. Il est 21h, l'Elysée Montmartre est rempli, et
Don Enzo Magic Carpet Salesman accueille les spectateurs pour ce qui sera l'un des évènements punk de l'année. DITZ écrit en grand dans le fond de la salle entre un drapeau trans et un drapeau palestinien, C.A. Francis ou Cal Francis, chanteuse trans à l'allure longiligne et à la frange impeccable, s'avance sur scène, énigmatique dans son grand manteau de cuir orné des froufrous noirs du majestueux corbeau. Et comme son ramage se rapporte au centuple à son beau plumage, voici venir au bout de ce single introductif de neuf minutes une première explosion dans la salle :
Taxi Man. Cal descend dans la foule, sur la foule, la salle porte sur son dos une chanteuse qui a tombé la veste, et qui brasse désormais de mains en mains en collants et haut « peau de jaguar », pendant que tous hurlent au taxi man de continuer à conduire. La première chanson de ce nouvel album de DITZ, nommé
Never Exhale, qui lance le public dans un festival de pogos et d'entreprises plus irresponsables les unes que les autres. Le groupe déroule l'arsenal de ses deux albums qui se fondent en un seul, les chansons s'enchaînent dans un déploiement de fureur erratique et schizophrène, on surveille ses arrières, ses avants, à droite à gauche en haut en bas, mais le vrai danger venait du
Senor Siniestro. Un final apocalyptique et un circle pit d'où émerge le dixième cercle de l'enfer, ça sent comme si quelque chose était mort ici.
Smells Like Something Died In Here, quatre minutes de tension passées dans la fosse par Cal en train d'abreuver ses ouailles, une formule très littérale qui voit la chanteuse passer de bouche en bouche, sa bouteille d'eau à la main, avant la libération
The Body As A Structure. Une montée angoissante conclue dans une spirale de métal en fusion froide, et toujours cette énorme basse fuzzy qui bouffe et engloutit l'espace sonore. Un trou noir de basses fréquences provenant du métalleux de la bande, Caleb Remnant, entouré à gauche par le guitariste de Joy Division en costard cravate et à droite par celui de bdrmm, barbe, lunettes, et petite casquette sur la tête pour se fondre dans le décor. Un groupe génialement improbable complété par un batteur torse nu qui en appelle à la lourdeur de
Britney, au groove de
Ded Würst, et à la folie de
Summer Of The Shark pour animer la masse informe de pieds et de mains et de bras et de jambes qui suent et inondent le parquet de l'Elysée Montmartre.

Remerciements au manager, à ceux qui étaient à la Maroquinerie pour la première de l'album, à ceux qui sont là ce soir et à ceux qui étaient là au tout début, cette chanson s'appelle
Seeking Arrangement. Retour vers le passé pour l'avant-dernière du soir, la seule chanson datant d'une époque où DITZ ne s'écrivait pas encore en majuscule, et retour vers le futur pour la fin-fleuve au titre évocateur de
No Thanks, I'm Full. Le centre de la salle est une zone piégée, un no man's land bravé seulement par les plus fous furieux, Cal monte sur les amplis pour indiquer à la foule de s'accroupir, de se lever et sauter, de tourner en rond comme si leur vie en dépendait, une maîtresse de cérémonie qui terminera les jambes croisées à deux mètres du sol, dans l'attente que les lampes ne cessent de grésiller et que les décibels s'effondrent comme les corps pour conclure cette soirée de légende.
Une soirée punk comme rarement, stupide comme jamais, réunissant deux des groupes les plus furieux et renversants de la scène britannique, où KNIVES auront su montrer que les grandes salles ne leur font pas peur, et où DITZ auront assuré leur nouveau statut de porte-étendard d'un punk dur, puissant, rythmé et inclusif, à l'instar de leurs meilleures copines des Lambrini Girls. Et s'il en reste pour considérer ces groupes comme la deuxième division du rock UK, qu'ils retournent lire Les Inrocks en buvant leur matcha latte, nous on sera toujours dans la fosse pour mettre des coups de pied sautés.