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DITZ

Interview publiée par Lena Inti le 17 février 2025

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Un peu plus de deux ans après la sortie de leur premier disque, The Great Regression, DITZ, quintet noise-rock de Brighton d’une intensité rare en live, nous reviennent avec très bon second album, Never Exhale, accompagné d'une tournée entre deux périodes de « shit jobs ». Rencontre à distance avec les sympathiques Callum Francis, au chant, et Jack Looker, à la guitare, pour parler écriture, équipement et thèmes abordés dans leur musique.

Qu'est-ce qui a changé dans votre manière d'écrire entre The Great Regression et Never Exhale ?

Cal : Pour le premier album, on a écrit séparément, pendant le COVID-19. On a fait la même chose pour celui-ci parce qu'on devait s'y mettre, on a eu moins de temps alors ce qu'on a écrit est très direct et dans l'urgence. Il reflète les lieux où on se trouvait quand on l'a écrit. Il correspond vraiment à la manière dont on appréhende l'écriture d'un album maintenant, cette sorte d'expression brute.Je pense que le processus pour cet album a été très varié. Il y a des contributions de tout le monde, chacun d'entre nous a essayé de faire ce qui pourrait ou devrait correspondre à DITZ, ou à ce qu'il est. Je trouve ça super intéressant parce qu'il y a une sorte de cohésion dans le processus. Cet album est un meilleur reflet de notre musique que le premier, parce que même si son écriture est étalée dans le temps (il nous a pris trois ans), le premier a pris bien plus de temps, les chansons étant écrites dès 2016... Donc Never Exhale est plus homogène.

Jack, comment bosses-tu avec Anton la partie guitares ?

Jack : Anton remplit l'espace et travaille sur les textures, on ne se marche pas sur les pieds. On n'est pas des guitaristes « rythmiques ».
Cal : Tu fabriques le squelette de la chanson. J'ai entendu des opinions de différentes personnes à ce sujet. Un de nos amis, qui s'appelle aussi Callum, est ingénieur du son et ce qu'il préfère chez DITZ, c'est la façon dont les guitares s'équilibrent. C'est lui qui s'est occupé du mixage.
Jack : Oui, et il savait quand il était nécessaire d'atténuer le son.
Cal : La partie d'Anton, c'est quasiment comme des violons.
Jack : Ça rend le son « large » et spacieux.
Cal : Je pense que ça rend notre son un peu plus unique. Beaucoup de groupes avec lesquels on a joué ont un seul guitariste. Pour moi il manque toujours quelque chose : le deuxième guitariste. Ça ajoute quelque chose. Je me dis toujours que sans Anton on ne serait pas vraiment un groupe de noise-rock, parce qu'il n'y aurait que des riffs, et il y en a partout dans la musique. Mais tout le monde n'a pas deux putain de gros amplis stack. Il y a des parties de cet album, comme sur la dernière chanson (ndlr : Britney), où on prend « l'approche Anton » classique. C'est une des parties guitares d'Anton que je préfère sur l'album. Ce n'est même pas juste la guitare. Il a un petit kalimba. On a un ami, Lottie Canto, réputé dans le monde des pédales de guitare, qui fabrique notamment des pédales surmontées d'une partie de kalimba, un petit instrument avec de fines lamelles en métal. On a entendu qu'il est impossible d'éviter la file d'attente pour les acheter. Il les fabrique lui-même, il en a fait genre 1000.
Jack : Et au total il a fabriqué 10 000 pédales. C'est dingue. Mais il en a marre de les fabriquer maintenant, parce que c'est le truc qu'il fait hyper bien, et il les fabrique tout seul. Il va en faire genre 2000 et puis « fuck it », il en a raz-le-bol, il clôt les commandes et il s'y remet quand il en a vraiment envie.
Cal : C'est un bon ami d'Anton. Il a fabriqué une pédale DITZ avec écrit « Never Exhale » dessus. On l'utilisera pour faire une démo un de ces quatre. Une grande partie de l'album est modelée par notre équipement, ce qui est une grosse différence par rapport au premier. On a tellement plus de matériel, qu'on utilise ou pas.
Jack : On a utilisé pas mal de matériel qu'on a emprunté sur le premier album, comme le washboard.
Cal : Mais sur ce disque-là, avec notre propre équipement, il me semble qu'il y a un peu plus de maîtrise. On connaît mieux les éléments de notre kit.

Le titre de l'album colle parfaitement au son, on a vraiment l'impression d'être en apnée du début jusqu'à la fin ! C'était l'idée ?

Jack : Pour être tout à fait honnête, c'est une blague entre nous. Le titre fait référence à un dessin animé... (rire)
Cal : On trouvait que cette phrase était marrante.

C'est quoi, ce dessin animé ?!

Jack : C'est une série Youtube très niche, qui s'appelle The Big Lez Show. Tous les personnages sont des caricatures d'australiens. Et l'un d'eux n'expire jamais la fumée de la cigarette. Ça vient de là.

Je n'aurais jamais deviné...

Jack : Pour le titre du premier album, The Great Regression, c'est la même chose, une blague entre nous qui « régressions » pour retourner en enfance.
Cal : Le titre Never Exhale fonctionne très bien pour nous. Ne pas expirer pour tout absorber d'un coup, le monde est un peu comme ça parfois. Je pense qu'il y a une idée reçue sur les mots parfois, les gens ont tendance à négliger les choix esthétiques qu'on peut avoir quand on utilise certains mots. Ça sonne juste fort, intense.

Et ça fonctionne bien avec l'artwork du disque...

Cal : Oui. Finalement, il est vraiment très similaire à celui du premier album. A chaque fois qu'on travaille avec un artiste, la réaction immédiate, la première chose à laquelle il pense, ce sont ces visages effrayants qui crient. J'aimerais bien travailler avec quelqu'un qui voit quelque chose de différent. La prochaine pochette pourrait être un dessin type cartoon.
Jack : Oui, ou un joli petit champ de fleurs.
Cal : Ce que je voulais à l'origine, quelque part, c'était quelque chose comme la photo de la pochette de 20 Jazz Funk Greats de Throbbing Gristle. Nos photos de presse ressemblent un petit peu à ça, en quelque sorte. Je trouve que c'est une bonne pochette d'album, vu le type de musique. C'est plus ou moins le tout premier album de noise, et c'est marrant que la pochette ressemble à une photo d'un évènement de charité. Ça pourrait être bien d'avoir une pochette comme ça plus tard.

Parlons des paroles, maintenant. Quels sont les thèmes abordés ?

Cal : Il prolonge les thèmes du précédent. Il incarne où nous en étions à cette période. Il n'y a pas de grande déclaration. Mais tu peux écouter l'album et je peux te dire où on était selon les paroles. Par exemple sur le dernier morceau, Britney, c'est un des derniers qu'on a terminés ensemble, en décembre ou janvier. Pour moi c'était un hiver super froid. Un peu comme celui qu'on a maintenant. Le thème principal c'est l'idée de mouvement, et de références au temps. Les chansons reflètent des moments. Pour les plus vieilles, on avait les instrumentations depuis des lustres, comme Senor Siniestro. Mais les paroles ont pris beaucoup de temps à finir. Le déclic, ça a été une journée de boulot vraiment merdique. Tout était devenu un peu futile, un peu absurde. Pourquoi s'emmerder ? Je pensais à l'âge que j'avais à ce moment-là, du style « J'en suis à un tiers de ma vie ». Quand tu as une très longue journée de travail, que ça fait trois heures que tu y es et que tu as encore six heures à faire... Tu essayes de tenir jusqu'au jour prochain. Puis jusqu'aux six prochains mois... C'est venu naturellement. Ce sont mes paroles préférées sur l'album.

A propos de The Body As A Structure, ce morceau m'intrigue. Tu parlais déjà de ce thème dans l'album précédent. Pour moi, ce morceau semble hyper spirituel. Tu peux m'en dire plus ?

Cal : Il fonctionne comme un prolongement du titre I Am Kate Moss du premier album. Ça parle de l'idée de séparer son soi physique de qui on est. J'ai toujours été impressionné par les artistes qui utilisent leur corps de manière artistique. Contre cette idée de vanité finalement. Tu vois des acteurs qui jouent des personnages horribles et dégueulasses, ils veulent faire de leur mieux alors ils se rendent physiquement un peu affreux pour jouer le rôle. J'ai toujours trouvé ça incroyable. Pour eux, leur art est clairement ce qui compte le plus, peu importe ce qu'ils produisent. C'était l'idée de cette chanson. Quelle est l'importance de ton toi physique, de ton apparence. De comment les gens te définissent quand tu les croises dans la rue, quand vos regards se croisent. Ce titre parle de l'importance accordée à notre apparence physique, à ce qu'on exprime par ce biais.

Plus tôt, tu parlais de mouvement. Et ça m'a évoqué les sons de moteur qu'il y a dans l'album...

Jack : La chanson d'intro, V70, vient du vieux modèle de Volvo, on a utilisé le son du démarrage de la voiture.
Cal : On était en train d'écrire l'album...

Sur la route ?

Cal : Oui, sur la route. Il y a d'autres morceaux avec des sons similaires, comme 18 Wheeler. Elle s'appelle comme ça parce qu'elle sonne vraiment comme un camion 18 roues... Les toms sur ce titre sonnent comme un 18 roues parce qu'ils sont constants, incessants. Il est plein de petits détails mais globalement, je pense qu'il correspond à l'idée d'un album pour rouler, ça fonctionne bien... Je crois que tu peux le mettre pour conduire, tu rentres dans la voiture avec V70 et tu roules pendant la moitié de l'album, après il y a une sorte de groove. Si je dois résumer cet album, je peux dire que c'est un album « de route ».
Jack : Il est bien à écouter du début jusqu'à la fin, oui, mais ce n'est pas non plus un putain de concept album, on n'a pas essayé de faire un nouveau The Dark Side Of The Moon.
Cal : Oui, pas besoin d'y rajouter de grand concept. Un très bon exemple d'album parfait pour un road trip c'est The Lonesome Crowded West de Modest Mouse. Chaque chanson s'enchaîne parfaitement avec la suivante, tout en étant différentes. Ce n'est pas tellement le cas avec notre album, parce que les morceaux sont assez différents les uns des autres, comme on utilise beaucoup de sons différents. La seule raison pour laquelle l'album est cohérent, c'est parce que nous les avons rangées dans un certain ordre. Et je dois remercier Seth Manchester qui a produit l'album parce que ça a été un challenge pour lui de rassembler tous ces sons.