Grandmas House

Huit minutes de punk rock, queer, féministe, radical, jouissif, sans fioritures, rentre-dedans, ultra-référencé, déjà-vu, excitant, politique, transgressif, sans-manière, violent, festif, transpirant, bruyant et frais, voici ce que proposent Grandmas House sur leur second EP, Who Am I. Venu de Bristol, comme IDLES, et signé sur Brace Yourself Records, comme Italia 90, le trio s’inscrit dans la lignée de ses prestigieux ainés, plus frondeur que poseur, préférant à la hype, le bruit et la fureur. Les anglaises citent pourtant plus volontiers comme influences les grandes figures du Riot grrrl telles que L7, The Slits, leurs congénères Nova Twins et Big Joanie. On pense également fort aux premiers albums de Hole et Babes In Toyland, mais ces références semblent agir sur elles comme de stimulants moteurs plutôt que comme de lourds poids sur leurs épaules.

Remarquées avec leur fougueux premier EP et quelques titres abrasifs aux productions encore assez sommaires et aux compositions un peu trop scolaires, Grandmas House passent ici clairement un cap. Les morceaux sont d’une toute autre teneur et un véritable son, peut-être même un style, semble en train de se dégager. Portés par les sonorités saturées et la voix rauque de la chanteuse-guitariste Yasmin Berndt ainsi que par une section rythmique des plus furieuses composée de Poppy Dodgson à la batterie et Zoë Zinsmeister à la basse, les quatre titres de cet EP parviennent, en moins de deux minutes par tête de pipe, à littéralement scotcher l’auditeur à son siège.

Le premier titre, Body, démarre avec une petite ligne de basse accrocheuse, un riff de guitare tout en échos et un chant scandé, appliquant ainsi à la lettre le manuel du parfait petit post-punker promotion hiver 2023 jusqu’à ce qu’à la quarante-septième seconde, la musique ne cesse avant de lâcher les chevaux et offrir un punk débraillé bien énervé, à tel point que le groupe semble nous dire avec cette introduction : « Tu t’es cru chez Wet Leg ? Mais tu sais où tu es ? Bienvenue chez Grandmas House bébé, je veux te voir saigner » (citer Guns n’ Roses, check). Pas de faux départ en revanche sur How Does It Feel qui fonce pied au plancher et tête baissée avec son couplet en français beuglé comme du Bérurier Noir et son refrain en anglais haut perché comme du Bikini Kill. Cette minute et trente-cinq secondes de fessée revigorante qui fait du bien là où ça fait du mal (ou inversement) donne envie de se prendre des coups de rangers dans les côtes et de retourner son bombers côté orange. On fait les malins, mais dans la vraie vie, on n’a aucune envie de se retrouver dans la fosse à ce moment-là.

Comme dans le dernier Depeche Mode, le clip de Desire voit deux protagonistes (ici féminins) jouer aux échecs en noir et blanc. Mais l’évocation de Bergman et de la grande faucheuse chez nos garçons coiffeurs préférés fait place chez ces trois jeunes têtes brulées à la montée d’un irrépressible désir contenu comme dans Caroll de Todd Haynes, filmé dans une esthétique à la Frances Ha et laissant volontiers imaginer un final, tenu hors champs, digne de la Vie d’Adèle (je sais que vous considérez désormais comme un vieux boomer hétéro cisgenre, mais je sais aussi que vous venez d’ouvrir une fenêtre pour regarder le clip !). On termine par le titre éponyme, Who Am I (sans point d’interrogation), dont les couplets sautillants et le refrain lourd et puissant raviront les nostalgiques de la vague pop-punk des années 2000. Seul morceau encore inédit des quatre, Who Am I est clairement celui qui nous séduit le moins, un peu trop balourd avec son riff ultrabasique, comparé à ces trois premières missives dévastatrices et exaltantes.

Grandmas House ne réinventent pas la roue et ne devraient pas être lauréates du concours Lépine de la meilleure innovation rock de l’année mais elles remettent clairement l’église au milieu du village (citer Jean-Pierre Pernaut, check), rappelant à une floppée de formations de garçons branchés se réclamant de l’école punk (quelque soit le préfixe attaché) quelques inébranlables et indispensables fondamentaux. Gare à ceux qui n’en prendraient pas bonne note, car Grandmas House risqueraient fort de les envoyer directement à l’EHPAD.