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YARD

YARD EP

YARD - YARD EP
Chronique Single/EP
Date de sortie : 13.05.2025
Label :YARD
45
Rédigé par Franck Narquin, le 12 mai 2025
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De Belfast à Dublin, la jeunesse irlandaise enchaîne les groupes les plus bruyants et brûlants du moment : Chalk, Enola Gay, Kneecap, Gurriers, SPRINTS, Meryl Streek... YARD ne dérogent pas à la règle.

Ce trio electropunk dublinois n'effectue pas ses débuts sur la pointe des pieds, mais défonce la porte avec un mélange aussi précis qu'instinctif de techno industrielle, de noise post-punk et d'euphorie synthétique. En quatre titres, YARD ne présentent pas un projet en devenir mais livrent une démonstration éclatante de leur capacité à capturer sur disque l'intensité homérique de leurs prestations scéniques. Chaque morceau fonctionne comme une architecture mouvante : ça tangue, ça casse, ça s'effondre pour mieux se redresser et pourtant, l'ensemble trace une ligne sonore d'une cohérence rare pour un premier essai. Le genre de disque qui gifle d'abord, intrigue ensuite et obsède enfin jusqu'à imposer cette évidence : un debut EP ne devrait pas être une carte de visite, mais un uppercut salvateur.

Titre inaugural, Trevor s'ouvre en tension avec une basse grondante, des synthés en spirale et une voix fantomatique avant que tout ne bascule en trois temps, guitares-sirènes, beat martial et techno dystopique. Le morceau ne se contente pas d'être un manifeste sonore mais incarne le mythe d'origine de YARD et s'avère peut-être son moment le plus intime. Le vélo volé qui donne son nom au morceau, ce Trevor affectueux qu'Emmet White évoque comme un compagnon perdu, devient le symbole d'un passage à l'âge adulte, pour lui mais aussi pour le groupe, qui quitte la scène pour affronter l'épreuve du disque. On peut voir dans ce Trevor un Rosebud, un objet dérisoire mais chargé d'un manque fondateur, à l'image du traîneau de Citizen Kane. Sous ses textures abrasives, Trevor parle d'attachement, de deuil discret et de mémoire affective. C'est peut-être cela qui rend le morceau si fort, il frappe et émeut dans un même mouvement.

« I'm an appetite, left you insane », cette phrase est scandée comme un mantra tout au long du deuxième morceau Appetite, hurlée dans un micro saturé à la manière de Nine Inch Nails ou Ministry. Si Trent Reznor traînait encore dans les clubs gothiques en 2025, il sortirait ce genre de morceau fait de beat indus up tempo, synthés en strates vénéneuses, sirènes stridentes et basses pulsées. Ça suinte la rage 90's, mais YARD évitent l'écueil du revival bourrin en injectant une production moderne et granulaire ainsi qu'un jeu subtil sur les textures et les ruptures de rythme. Sous l'excès apparent, le morceau laisse filtrer des creux, des failles, des aspérités. On croit à une montée linéaire, et ça coupe net. On croit à une rechute, et ça repart. Une structure qui épouse parfaitement le thème : le vampirisme psychologique, cette force qui te vide sans que tu comprennes pourquoi, cette voix dans la tête qui te ressemble mais ne te veut pas du bien. C'est frontal mais jamais bas du front.

Intégralement instrumental, Slumber est le morceau le plus oppressant de l'EP, et paradoxalement l'un des plus riches. Guitares stridentes en tension, beats techno droit sortis d'un sous-sol berlinois, nappes de synthé vintage en guise de plafond qui s'effondre lentement. Pas de voix ici, mais un corps sonore qui vibre, qui menace, qui encercle. On pense à une cold wave séquestrée par Surgeon, à un vieux John Carpenter détourné par Powell. Il y a une ampleur cinématographique, une physicalité brute, presque live, une sorte de post-techno post-rock sans parole, mais pleine d'images. Et quand ça explose enfin, c'est pour tout recouvrir : lumière blanche, saturation, désintégration. En un mot ? Satisfaction.

Ironie du titre, Sunlight est le morceau le plus sombre du disque porté par une voix vocodée façon Kraftwerk, un beat tranchant EBM et de nappes de synthés vintage qui évoquent plus un film d'horreur oublié sur une VHS moisie qu'un lever de soleil méditatif. C'est là qu'on mesure à quel point YARD maîtrisent leur esthétique, car même dans le désespoir, il y a de la précision, une finesse artisanale et une mise en son ultra pensée. Le morceau ne décolle jamais vraiment ou plutôt refuse de s'échapper et préfère célébrer l'enfermement et la claustrophobie. On lui a même trouvé un titre alternatif, Dancing With Fear In My Eyes.

Il y a dans ce premier EP de YARD une maturité étonnante, une vision claire et une maîtrise formelle impressionnante. Ils revendiquent comme influences Nine Inch Nails, The Prodigy, SUUNS ou Death Grip et on les sait proches de Chalk pour qui ils assurent les premières parties et de Gurriers dont Emmet White a été le bassiste. Ils ont digéré la musique de leurs aînés et s'invitent aujourd'hui à la table de leurs pairs, autrement dit, le haut du panier de cette musique qui pense, danse et dérange en 2025. Il faudra suivre de près ce gang sonique qui se produira le 23 mai au Supersonic à Paris car avec YARD, Dublin ne se contente plus de frapper, elle impose désormais le tempo.
tracklisting
    01. Trevor
  • 02. Appetite
  • 03. Slumber
  • 04. Sunlight
titres conseillés
    Trevor - Slumber
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