Chronique Single/EP
Date de sortie : 09.05.2025
Label :AD 93
Rédigé par
Franck Narquin, le 9 mai 2025
En 2024, You Never End a confirmé Moin comme l'un des groupes les plus audacieux de la scène britannique, capable de briser les frontières entre post-punk, noise-rock, musique électronique et spoken-word. Composé des anciens membres de Raime, Joe Andrews et Tom Halstead, rejoints en 2021 par la batteuse Valentina Magaletti (Vanishing Twin), le trio a progressivement affiné sa formule, passant du chaos abstrait de Moot! à l'exploration plus structurée et vibrante de You Never End. Un disque dense et inventif, où chaque morceau semble pousser dans une direction différente, entre grunge déconstruit, shoegaze spectral et indus londonien. Moin se sont ainsi affranchis des conventions du post-punk arty pour trouver leur propre voix, riche en textures sonores et en collaborations marquantes, quelque part entre Sonic Youth et Mount Kimbie, avec l'attitude revêche d'un groupe qui préférerait mordre la main qui les nourrit plutôt que de flatter leur public.
Avec Belly Up, leur nouvel EP, Moin poussent encore plus loin cette approche libre et sans compromis. Les deux premiers titres, See et I'm Really Flagging (or I Trusted U), s'articulent autour des improvisations du saxophoniste Ben Vince, dont les lignes sinueuses et nerveuses se répondent comme des variations sur un même thème. Sur See, la voix blanche et hypnotique de Sophia Al-Maria vient apaiser ce chaos organisé, comme une incantation murmurée au milieu d'un effondrement industriel. À l'inverse, I'm Really Flagging déploie des synthés détraqués et des beats frénétiques, évoquant autant Aphex Twin que Maruja, avec un parfum de drum'n'bass déglinguée. C'est l'esprit de Warp Records revisité par une bande qui n'a jamais pris la peine de lire le manuel d'instructions.
You Leave Me Breathless va encore plus loin dans l'expérimentation avec ses nappes planantes et ses sonorités arabisantes, évoquant l'univers trouble de Fatima Al Qadiri. Le morceau semble flotter hors du temps, comme un souvenir vague d'une rave au Moyen-Orient où personne n'aurait été invité. X.U.Y. renoue avec l'énergie hip-hop de titres comme
It's Messy Coping sur You Never End. Ce retour à une forme plus percussive et syncopée rappelle que Moin n'ont jamais totalement quitté le monde électronique de Raime, préférant les ruelles sombres aux avenues bien éclairées du rock traditionnel.
Sur I Don't Know Where to Look, le trio nous laisse imaginer à quoi aurait pu ressembler le trip-hop s'il avait été inventé à Berlin plutôt qu'à Bristol. Sombre, étrange et beau, ce morceau semble flotter quelque part entre le drone industriel et l'ambient détraqué. Comme si Tricky et Einstürzende Neubauten avaient échangé leurs carnets de brouillon lors d'une soirée trop arrosée. Enfin, The Day clôt l'EP sur une note encore plus sombre et dissonante, avec une voix pitchée vers le bas, des guitares saturées et des claviers ivres, comme la bande-son d'une descente psychotique dans un club underground déserté. Un dernier râle avant la chute libre.
Belly Up n'est pas un chef-d'œuvre, mais il se distingue nettement du reste de la production actuelle par son audace sonore et sa capacité à surprendre l'auditeur. Plus abstrait et moins accessible que You Never End, cet EP s'inscrit dans la lignée des œuvres mineures mais fascinantes, celles qui ouvrent des brèches et posent plus de questions qu'elles n'apportent de réponses. Moin continuent ainsi de creuser leur sillon à l'écart des tendances, confirmant leur statut de tête chercheuse parmi les plus brillantes du Royaume-Uni. Un disque pour ceux qui acceptent de se jeter dans le vide et d'y rester en suspension.