Speech Debelle

2012, alors que le grime tend à s’essouffler depuis quelques mois, une grande claque vient d’être envoyée par Speech Debelle, auteur d’un deuxième album de rap underground regorgeant de folk moite et de pop mélodique. En Angleterre, on ne compte plus les héritiers de The Street et de Roots Manuva. Ceux qui excellent sont en revanche bien plus rares. Remercions Speech Debelle d’en faire dignement partie : même fragilité, même efficacité instrumentale, même universalité, Freedom Of Speech est encore une belle surprise venue de la jeune rappeuse londonienne.

On pouvait penser qu’elle n’existait plus ou végétait pauvrement dans son cocon, auréolé du Mercury Prize qu’elle rafla sous le nez de LA ROUX, Florence And The Machine et Kasabian en 2009. Ce qu’on ne savait pas encore c’est que le succès du premier album (Speech Therapy) n’était alors qu’un échauffement. D’un sens sidérant de la répartie, elle revient aujourd’hui agressive et enjouée, passant de la force à la fragilité pour livrer une métaphore des convulsions les plus sauvages du royaume. Et si on la sent par instant plus sereine, ce calme apparent n’est qu’un leurre. Ici, la violence est une arme endormie, somnolant vers une plus grande explosion.

Tendue comme un arc prêt à rompre, rien ne semble effrayer la jeune dame. Pas même de tendre le micro à des cadors comme Roots Manuva pour une réponse franche et sincère, quinze ans après, à notre « Qu’est-ce qu’on Attend Pour Foutre le Feu ? » national (Blaze Up Fire). Enregistré suite aux émeutes qui ont frappé la capitale anglaise l’été dernier, ce titre grisant et explosif est un pavé envoyé aux gouvernements, qu’ils soient britanniques ou non. Paf, dans la gueule !
Toutefois, on avoue un petit regret : sans être trop posée, Corynne Elliott, puisque tel est son nom à l’état civil, évite trop clairement d’évoquer sa citadelle intérieure. Qu’à cela ne tienne, celle qui se revendique comme issue de la génération Top Of The Pops possède d’autres flèches à son arc (le fameux). L’une d’elles a déjà opéré sur le projet DRC Music avec Damon Albarn. Son nom : Kwes, jeune bricoleur londonien capable, à partir d’un simple ordinateur ou d’un clavier midi USB, d’agencer des productions maitrisées et frontales.

Outre la référence évidente à son patronyme, Freedom Of Speech opte pour la restauration d’un langage plus qu’il ne lui offre sa liberté. Un langage qui se veut brut, flamboyant et incendiaire. Ses mots évoquent éventuellement des questions : où sont les racines du hip-hop ? Vers quelles voies doit-il aller ? Loin du bling bling et des productions mastodontes, le hip-hop anglais peut-il être le représentant d’un nouvel idéal ? Avec Speech Debelle, on n’en est pas loin. Sans trop savoir comment (au fond, veut-on le savoir ?), son flow ouvre de nouveaux horizons. Pour les découvrir pleinement, nous voilà prêts à écouter l’album pendant longtemps encore.