Killing Joke

« Un nouveau Best Of/Singles Collection/Greatest Hits (le seizième en comptant les live sessions) de Killing Joke en 2013 ? Mais, Jaz Coleman est-il au courant ? ». Voilà, en résumé, les réactions de la blogosphère à l’annonce de la parution de ce coffret de disques regroupant regroupant les meilleurs titres du légendaire groupe post-punk. Ce à quoi nous pouvons maintenant répondre : Non, Jaz Coleman n’a pas spécialement été informé ni consulté pour la sortie de ce coffret. Et encore moins pour le choix des titres !

Ce constat effectué, nous ne pouvons que nous réjouir d’observer l’étonnante forme de ce groupe qui fête cette année ses 35 années de carrière et dont le leader, Jaz Coleman, reste un des seuls parmi ses comparses du siècle dernier à agir en totale intégrité avec ses textes, à faire ce qu’il dit, mais sans pour autant toujours dire ce qu’il fait ! L’année dernière, en pleine tournée du groupe, celui-ci a préféré disparaître du jour au lendemain pour aller se ressourcer dans le Sahara marocain afin de poursuivre l’écriture de son livre : Letters From Cythera. Il aura fallu quatre semaines pour le retrouver ; rien d’anormal pour un homme qui n’a ni téléphone portable, ni ordinateur, et qui n’en veut surtout pas.
Dès lors, le mythe qui a constamment entouré Killing Joke peut continuer à vivre et ses fans continuer à se délecter des coups de tête de Jaz comme des prestations scéniques qu’il offre avec son groupe, totalement reconstitué, et qui vient de donner un des meilleurs concerts de 2013 au Bataclan de Paris. Nul doute, donc, que ce coffret dont les éditions limitées se comptent par dizaines (une version super luxe avec tubes à cigares fumés pendant l’enregistrement sera même proposée !) aura l’accueil qu’il mérite. Un accueil digne des titres remastérisés sur les deux premiers disques de ce The Singles Collection 1979-2012.

Le premier se concentre sur les débuts du groupe, jusqu’à 1990, avec les titres War Dance (toujours puissant et d’actualité, trente-trois ans après), Eighties (tellement hype en 2013 et sans lequel Nirvana n’aurait peut être pas eus le succès qu’on leur a connu) ou leur seul hit radio à ce jour, Love Like Blood, qui, en 1985, propulsa ses plus jeunes fans dans les discothèques et Killing Joke là où ils n’avaient nulle envie d’aller : dans les charts anglais, allemands, hollandais ou même néo-zélandais. On peut, a contrario, se poser la question du choix de titres comme Sanity ou America. Avec des textes toujours aussi savoureux, ceux-ci souffrent d’être nés à la fin des années 80 où le trop plein de claviers héroïques tua l’énergie du désespoir, mojo simplifié du groupe. My Love Of This Island en est le témoin le plus parfait avec une mélodie à oublier définitivement mais sur des paroles laissant entrevoir le virage néo hippie (Jaz choisit alors la solitude dans une île au large de la Nouvelle-Zélande) de son leader.
Le deuxième CD évoque un certain retour aux sources et nous gratifie de toute la folie, les muscles et la saleté que ce groupe jeta sur une époque allant de 1990 à nos jours ; toujours à contre courant du mainstream. Là où la new wave enterrait ses néo-romantiques tout de noir vêtus, et leurs deux ou trois accords synthétiques répétitifs, Killing Joke faisaient sauter les premières platines CD et les petits minets de Miami peroxydés qui voulaient qu’on les réveille avant d’aller au boulot, avec des titres violents comme Money Is Not Our God. Entre 1990 et 1994 vinrent les titres occultes, inaugurant le mouvement death metal tels que Exorcism et Millenium et surtout, la bombe maléfique nommée Pandemonium. Compositions plus longues, grosse production, rythmiques hypnotiques, voix criée au sommet de son art… avec un titre totalement furieux comme Hosannas From The Basements Of Hell, le grand Killing Joke était mûr pour perdurer et initier tout un pan du rock indus et métal.
Après un passage à vide avec l’album Democracy, il faut croire que les années de silence réussissent à Killing Joke, puisqu’en 2003 ils reviennent avec un album éponyme qui surprendra agréablement les plus sceptiques. Production plus indus que jamais et apport d’un batteur qui fera date dans les anecdotes du groupe, Dave Grohl de Nirvana ! Comme quoi, Killing Joke et Jaz n’ont pas la rancune tenace…

Le troisième CD, comme souvent, est censé regrouper des raretés et des versions inédites. Pour un fan absolu, ce disque n’aura pas de prix. Pour les autres, il faut souligner le très engagé Our Last Goodbye paru sur une compilation dédiée aux tristement célèbres prisonniers du couloir de la mort américains, West Memphis 3. Ce titre, comme d’autres, accuse et dénonce tout ce que Jaz exècre : l’injustice du rouleau compresseur des états totalitaires (économiques ou militaires) ; la destruction de notre environnement commun ou encore l’agressivité innée de la race humaine qui condamne à mort ses propres congénères et pour l’avenir de laquelle il ne nourrit que peu d’illusions. Le tout s’achève sur une version inédite de huit minutes trente de Pandemonium.

Un coffret must have pour les fans de la première heure, légèrement effleurés par les affres de l’âge comme pour toutes les générations suivantes qui voient dans les jeunes Selfish Cunt, Savages ou encore The Horrors des lueurs d’une période où le rock était engagé, politisé et sans aucune concession.