Meilyr Jones

Quel cirque ! Et c'est peu dire. Meilyr Jones, l'ex-chanteur de Race Horses, s'est lancé dans un projet solo ambitieux, au carrefour du théâtre, de l'opéra et la comédie. Pas de spectacle pour l'instant mais un album ovniesque. L'intitulé 2013 n'a rien de fantasque pourtant le contenu musical nous désarçonne. Moshi Moshi Records a misé sur un sacré phénomène qui détonne parmi ses contemporains.

La première écoute de l'album amène de nombreuses questions. Il y a des milliers de choses dans ces douze titres. Une abondance d'idées, d'instruments, d'inspirations, de thèmes. L'ensemble est décousu, fouillis. Une deuxième écoute s'impose afin saisir la cohérence, afin que l'oreille s'accoutume à de telles curiosités auditives. Mais rien à faire, on reste pantois. Un peu comme devant un mauvais tableau d'art contemporain. C'est d'ailleurs le thème du premier morceau : How To Recognize A Work Of Art, dont le vidéo clip fait parler de lui depuis janvier déjà. Meilyr Jones se met en scène dans une pop psyché pimpante accompagné d'un orchestre tonitruant. Et là, plus le choix, il faut rire. Parce que c'est une musique, avant tout, imprégnée d'humour et de dérision. Les paroles, inspirées de l'essai de Tolstoï « What is art ? », mettent en branle l'artiste comme objet de culte, garant suprême de l'authenticité.

De façon ludique voire enfantine, le jeune déluré expérimente dans tous les sens la musique. Pêle-mêle, on relève : l'usage original sinon culotté du clavecin pour Don Juan (clin d'œil à la fameuse valse des Strangers, Golden Brown), une ballade piano/voix qui s'achève sur des chants d'oiseaux (Refugees), un ersatz de chorale de Bach autotunée sur fond de pluie et d'orage (Rain In Rome), des extraits d'enregistrements d'accordéon en extérieur (Return To Life), de trombones sous les corbeaux dans un cimetière (Olivia), de l'orgue (Love, Be Soft), et le meilleur pour la fin : un poème du Tasse lu par une Italienne en postface de Featured Artist.

D'où vient tant d'exubérance ? Meilyr Jones a passé un mois et demi à Rome à lire des poèmes et à contempler les statues antiques. Fort de cette inspiration artistique, il a créé un objet délirant qui pourrait se rapprocher d'Emerson, Lake & Palmer mais qui, mise à part pour Strange Emotional, a mis de côté le rock. Pas plus de couplets que de refrains, la musique semble s'écrire comme au théâtre, au fil des rebondissements.
C'est à la fois génial et grotesque. Irritant et culotté. Le bénéfice de son originalité est presque entaché par une overdose de burlesque. Du Prokofiev psychédélique, en somme. On se demande dans quelle circonstance écouter 2013. Faites le test, écoutez Rome, une musique baroque de cour royale, bruits de cloche en sus. Si l'on fait l'effort de rentrer dans le jeu, si l'on passe outre la voix qui frôle la fausse note, et surtout si l'on est de bonne humeur et sensible à l'ironie, alors oui, Meilyr Jones a du génie.

Reste à ajouter sur la pochette : « Attention, sens de l'humour et 2nd degré obligatoires ».