Laura-Mary Carter

Connaissez-vous une meilleure extase que celle qui est inattendue, celle qui vous tombe sur le coin du museau sans prévenir ? Certes, personne ne reniera le plaisir d'avoir entre les mains un objet désiré depuis longtemps, annoncé depuis belle lurette, source de convoitise. Mais cette jouissance n'est pas comparable à cette claque dans la figure que vous ne voyez pas arriver.

Ce choc frontal, peut-être pourriez-vous en faire l'expérience en écoutant les premiers travaux solos de Laura-Mary Carter sur Town Called Nothing. La jeune femme, habituée des routes entre festivals et concerts, a donc décidé de prendre un peu de temps pour s'émanciper de son partenaire de Blood Red Shoes.
Mais au final, qui s'attendait à la voir s'éloigner autant de sa zone de confort, et nous faire part de son amour pour les États-Unis, la guitare en bandoulière ? Voilà donc encore une de ces résidentes du Royaume-Uni qui veut nous faire croire qu'elle est plus américaine qu'irlandaise, qui veut faire passer le crachin de l'Essex pour la moiteur de la Nouvelle-Orléans ou les Midlands pour le sentier des Appalache?


Penser de la sorte, c'est être totalement à côté du sujet, et c'est dans un premier temps mal connaître cette artiste nomade qui depuis près d'une vingtaine d'année, n'a pas vraiment de lieu de résidence, faisant de l'immensité du monde son chez elle, au fil des tournées notamment.
C'est également faire fi de sa volonté d'envisager cette expérience solo comme une véritable parenthèse à la musique somme toute assez synthétique qu'elle développe avec son groupe Blood Red Shoes. Dans l'absolu, l'écoute du premier morceau Blue's Not My Color n'est pas vraiment fait pour nous rassurer. Cette petite balade folk assez inoffensive de prime abord ne semble pas apporter grand-chose, et est plutôt convenue.

C'est à peu près maintenant que l'extase évoquée supra se matérialise, car il n'y aura pas de faux pas désormais et tout tombera juste. Ici, il n'est absolument pas question de faire dans l'évidence, ou dans les balades sirupeuses et lourdingues. Ainsi, sur The City We Live, elle installe une atmosphère étrange, insaisissable. Ce morceau funambule, à la limite de la cassure possède une ambiance folle, une mélodie forte et prenante où à chaque instant le déséquilibre menace. Pourtant, tout tient debout et fini par rester en place. Sur l'excellent Signs, on baigne encore dans ce climat où l'étrange est prégnant, dans un monde à part et surréel. Lorsque l'on revient sur des mélodies plus évidentes et accessibles comme sur Better On My Own, jamais Laura-Mary Carter ne tombe dans des banalités ou des lieux communs.

Chez elle, l'ordinaire n'est pas une option et chaque titre garde en lui une part de mystère qu'il est jouissif d'embrasser. Exemple type avec ce titre éponyme, baigné d'une espèce d'urgence tout en maîtrise et en délicatesse. Il y a sur Town Called Nothing une alternance magnifique entre l'ombre et la lumière et ce mélange donne ici un résultat des plus probants. Sur Ceremony c'est la face sombre qui s'exprime. Cet amalgame est vraiment remarquable, à tel point qu'on se demande si Laura-Mary Carter n'est pas en train d'ouvrir une porte susceptible de lui offrir bien plus de possibilités que tout ce qu'elle a pu explorer jusqu'ici avec Steven Ansell.

Ainsi, nous sommes devant une belle surprise que peu auraient pu imaginer. Voici comment des pérégrinations loin de votre terrain de jeu habituel peuvent vous amener vers ce que vous avez fait de mieux jusqu'alors. Cela ressemble en tous cas à ce type de parenthèses que personne n'espère voir se refermer. Si quelqu'un peut lui faire passer le message...