White Lies

Les décennies sont un outil bien pratique pour définir et classer les tendances culturelles. Elles agissent comme une boussole qui permet de se repérer et d'observer les variations et évolutions des genres, artistes ou autres. Les années 80 sont particulières à bien des égards à ce sujet. D'une part grâce aux couleurs bien singulières qu'elles dégagent, mais aussi parce que peu de décennies sont aussi clivantes en terme musical.

Il faut dire que l'arrivée tonitruante de l'analogique et ses multiples déclinaisons de claviers ont agi comme un repoussoir sans précédent pour des musiciens qui ne juraient que par le sacro-saint format guitare, basse, batterie. Pourtant, réécouter un album comme A Bell Is A Cup... Until It Is Struck du groupe post-punk Wire montre à quel point la musique des années 80 est aussi liée à une esthétique particulière, un état d'esprit.

Aujourd'hui, bon nombre de groupes aux talents variables s'imprègnent de ces sonorités pour puiser dans l'essence de cette décennie. À première vue, on pourrait facilement classer White Lies dans cette catégorie, mais il y a autre chose qui les place au-dessus du simple revival un peu bête et poussif. On avait laissé le trio en 2019 avec Five, album qui remettait le groupe sur des bases plus conformes aux attentes après ce Friends (2016) quelque peu décevant pour une partie des fans. Les Londoniens nous présentent aujourd'hui As I Try Not To Fall Apart, clairement dans la lignée de ce à quoi ils nous avaient habitués. Attendez-vous donc encore une fois à sentir ce frisson mi-rock mi synth-pop parcourir votre échine à travers la voix grave de Harry McVeigh, sorte de gendre idéal de la pop.

C'est un peu une constante, White Lies ne vont pas vous surprendre par une orientation musicale particulière, ou un revirement de situation, un virage à 90. Au gré de leur évolution, White Lies avancent, peaufinent, mais gardent un cap qui les définissent depuis To Lose My Life en 2009 et dont ils ne dévient pas.
Avec As I Try Not To Fall Apart, d'aucuns parleront d'amalgame entre morceaux physiques comme Roll December ou plus synthétiques avec le titre éponyme. Blue Drift apparaît lui comme le titre ultime qu'aurait voulu écrire Duran Duran. Le clin d'oeil à toute une époque sera total si vous arrivez à entendre le thème de Head Over Heels des Tears For Fears au milieu du morceau.

En vérité, trop évoquer les années 80 serait une erreur de jugement, car au-delà d'une approche synth-pop propice à ce parallèle, c'est avant tout cette indéniable faculté à trouver la mélodie qui vous accroche sur ces refrains définitivement imparables qui caractérise le travail des trois Londoniens. Certains assimileront cela à une certaine évidence dans l'écriture. Il s'agit plutôt d'un véritable talent. Le single I Don't Want To Go To Mars ou Am I Really Going To Die confortent cette idée. Si Ragworm apparaît moins inspiré que le reste, l'ensemble culmine à un très bon niveau d'exigence, avec des fulgurances comme ce surprenant Step Outside, sa touche groovy et ses sons rétros, ou l'atmosphérique The End, morceau magnifique de densité et de puissance.

Avec As I Try Not To Fall Apart, White Lies donnent l'impression de mener leur barque sur des eaux calmes. Trop calmes. Le groupe développe une telle confiance en ses armes qu'il est difficile de se résigner à ce total refus d'emprunter des chemins de traverse. Les Londoniens ne veulent pas se livrer plus et nous proposent exactement ce que l'on attend d'eux.
Pourtant, difficile de redire quelque chose sur la forme tant l'assurance du groupe est flagrante et le travail propre. Bien sûr, l'ensemble ne dégage que peu d'aspérités, mais cette sensation est vite gommée par la conviction qui émane des compositions du groupe. White Lies ont tracé un chemin, un son, une identité, ils s'y tiennent désormais de façon assurée et sérieuse. Car c'est dans ce près carré qu'ils excellent. Dès lors, est-il vraiment pertinent d'en demander plus ?