The WAEVE, en majuscules s'il vous plaît : aucune faute d'orthographe mais une petite fantaisie sémantique pour nommer la nouvelle collaboration de Graham Coxon, cette fois-ci avec Rose Elinor Dougall, ex-Pipettes qui nous avait séduits en 2019 avec son dernier album A New Illusion, recueil de morceaux pop envoûtants.
Avec une honorable carrière solo, c'est pourtant en mode projet qu'il est réellement intéressant de retrouver Graham Coxon. Comme si le fait de ne pas occuper seul le devant de l'affiche lui permettait de déployer entièrement son fabuleux talent d'auteur compositeur. Les nombreuses OST qu'il a ainsi composées nous le prouvent. Aujourd'hui, la plume sagace et tendre à la fois (oui, petit clin d'œil à Tender, comment l'oublier ?) se met au service d'un duo pas comme les autres : nous retrouvons la voix chaude et sensuelle de Rose Elinor Dougall couplée avec celle, plus anecdotique dirons-nous, d'un Graham Coxon à l'éternel timbre de lycéen marmonnant dans sa barbichette duveteuse.
Le résultat est un album éponyme qui rend hommage à toute la complexité des univers de Graham Coxon, couplée avec les influences très soul de Rose Elinor Dougall : on y retrouve une musicalité sombre et dense, avec un background fait d'une ambiance jazzy et groovy. Evitant de tomber dans l'écueil un peu facile du duo féminin/masculin, les titres sont interprétés par l'un ou par l'autre, quelque uns accueillent les chants à l'unisson, venant souligner le contraste entre les timbres.
C'est suite au concert donné en soutien à la croix rouge libanaise en décembre 2020, en conditions adaptées aux distanciations sociales dues au COVID-19, que les artistes ont partagé burgers et boutades dans les loges, les menant à discuter plus sérieusement d'une collaboration. La rencontre a été suivie d'effet et malgré les aléas liés à la pandémie, l'agenda plutôt vide de Graham Coxon lui a donc permis de se plonger sérieusement dans un travail collaboratif qui a abouti à un album particulièrement riche en textures.
Un peu folk-rock, un peu pop éthérée, avec ce qu'il faut de cuivres pour réchauffer le tout et toujours enveloppé dans des volutes de samples très voluptueuses, le résultat est difficile à étiqueter. Ce qu'il en ressort dès les premières écoutes est une grande curiosité de notre part : est-ce un album entre amis ou un vrai projet thématique ? Le titre Drowning en est le meilleur exemple : débutant comme une douce ballade folk, la cassure en milieu de piste évoque comme le climax d'un film, nous sommes à la limite d'une bande originale de James Bond avec l'orchestration à base de violons, trompettes et rythmiques très sensuelles et qui gagnent en intensité. Sans surprise, la bande originale sied à Graham Coxon...
On retrouve aussi l'empreinte atypique de Graham Coxon sur les titres qui vont au-delà d'une belle musicalité : Kill Me Again, Sleepwalking ou Undine creusent réellement dans cet imaginaire toujours torturé comme si son auteur ne pouvait que s'exprimer au travers de morceaux particulièrement complexes qui se révèlent terriblement attirants. L'inventivité de Graham Coxon n'a rien à envier à son compère Damon Albarn et tendrait même à moins se diluer, ce qui est rassurant pour les fans ainsi que pour les néophytes. L'univers plus romantique et romanesque de Rose Elinor Dougall vient apaiser le tout avec une grâce non négligeable.
The WAEVE est un side-project d'une grande beauté, qui ne cède jamais à la facilité et démontre que, malgré sa grande discrétion, Graham Coxon continue de produire tout seul ou bien accompagné une musique de très haute qualité.