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Gorillaz

Cracker Island

Gorillaz - Cracker Island
Chronique Album
Date de sortie : 24.02.2023
Label : Parlophone
5
Rédigé par Jordan Meynard, le 3 mars 2023
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Damon Albarn a toujours incarné une sorte de roi Midas, transformant tout ce qu'il touche en or. Si Blur reste le groupe de sa vie, le chanteur lui a fait de nombreuses infidélités, avec un sens incroyable de l'éclectisme. Rock, hip-hop, opéra, jazz, comédie musicale : rien ne semble pouvoir résister au chanteur à la dent dorée. Il est certain qu'en trente ans, Damon Albarn a marqué l'histoire de la musique, a écrit la sienne, mais a aussi traversé les époques. Et c'est indéniablement Gorillaz, fruit de sa collaboration avec le dessinateur Jamie Hewlett, qui incarnera ad vitam æternam le chef d'œuvre de ce génie musical. Le mystère autour de Gorillaz et l'imaginaire développé leur permettent alors de créer un univers sans limites, véritable carrefour des arts allant de l'animation 2D et de synthèse, la photo, la vidéo, la mode, l'illustration et bien sûr la musique. En terminant la première décennie de ce nouveau siècle avec le chef d'œuvre Plastic Beach (2010), grande fresque musicale et entreprise cross-média, on se languissait de voir les deux géniteurs du projet perpétuer cette tradition de grands disques high-concept et démiurgiques. En 2023, 2D, Murdoc, Russel et Noodle, les musiciens du groupe virtuel Gorillaz, sont de retour pour de nouvelles aventures, cette fois à Los Angeles, la capitale mondiale de l'industrie du rêve, qu'ils comptent bien dynamiter.

Bienvenue à Cracker Island, huitième album studio de Gorillaz, qui prend place (lui aussi) sur une oasis fictive et dresse le constat d'un monde dystopique peuplé d'âmes qui suffoquent, se perdent dans le mirage du métavers, zigzaguent entre folie et bombes à fragmentation. La chanson titre Cracker Island fait irruption dans une sirène électro avec un mélange dansant de synthé et de guitare, saupoudrée d'un riff de basse funky signé par la Ibanez six cordes de Thundercat. 2-D (Albarn) chante un « collectif de l'aube » qui plante des graines la nuit pour « faire pousser un paradis inventé ». Oui, l'occultisme est de mise avec le bassiste virtuel du groupe, Murdoc, reconverti pour le disque en gourou de la secte du Dernier culte. Sa mission : « sauver un monde en perdition ».
En effet, si tous les disques de Gorillaz sont également politiques, celui-ci est sans doute un des plus explicites. On reste dans une forme d'allégorie qui interroge la place et le rôle de l'homme dans un monde de plus en plus déshumanisé. Il est amusant d'entendre Damon Albarn faire une satire des réseaux sociaux aux sonorités R&B sur The Tired Influencer, mais pas aussi réjouissant que de s'imprégner de la beauté électronique incandescente de Silent Running. Un naming sans aucun doute emprunté au film de science-fiction du même nom sorti en 1972 et dans lequel la vie végétale de la Terre est préservée dans des dômes sur des vaisseaux spatiaux de fret pour les générations futures. Ce titre a la même qualité épique que le chef-d'œuvre Save A Prayer de Duran Duran, avec Adeleye Omotayo en guest ajoutant du poids à la nostalgie de Damon Albarn « cherchant un nouveau monde » en attendant le lever du soleil.


Déjà bien connu du grand public, New Gold croise le chant si caractéristique de Kevin Parker (Tame Impala) à un petit rap intelligent de Bootie Brown. Un véritable morceau G-Funk qui flotte dans le territoire disco qui suinte la fraîcheur. Il y a un éloge au psychédélisme inspiré des années 80 tout au long de l'album, notamment sur Oil, mettant en vedette le chant rocailleux au vibrato country de Stevie Nicks (Fleetwood Mac). La production de chaque chanson est cohérente et ne s'écarte pas de manière spectaculaire comme Song Machine de 2020, mais tente toujours de changer le rythme d'une piste à l'autre tout en conservant le ton qu'elle a établi. Le producteur y est évidemment Greg Kurstin y est évidemment pour quelque chose, insufflant sa magie sur Cracker Island. Peut-être est-il aussi celui qui a permis à Damon Albarn de ne pas être noyé par la kyrielle de guests du disque ?
C'est d'ailleurs, une des principales qualités de l'album, les invités sont ici « utilisés » avec parcimonie et avec beaucoup d'efficacité. Leur présence se justifie dans le dessein de bonifier la chanson et de l'emmener plus loin. Un équilibre parfait qui a pu faire défaut dans les précédents travaux du groupe, le morceau étant construit autour de l'inviter lui-même. Tarantula est une des plus grandes réussites du disque tant le dosage entre joie et mélancolie est parfaitement dosé. 2-D prend le contrôle de la piste racontant son histoire d'amour perdu et de désir contre un rythme rapide qui réchauffe le cœur et donne envie de re-tomber amoureux. Tormenta est une sorte de reggaeton ambiant plein de séquences d'accords avec performance vocale exquise de Bad Bunny qui arrive à rendre le titre langoureux tout en frappant toutes les notes. Skinny Ape et son introduction Simon & Garfunkel-esque passe d'un groove électronique froid à un refrain triste sur le destin de l'humain dans l'espace, pour terminer en un final d'EDM joyeux. Clairement un des meilleurs morceaux écrits par l'anglais avec Gorillaz en deux décennies. La piste de clôture Possession Island met en scène Beck de manière très discrète avec des chœurs obsédants au cours d'un plaidoyer sur la rédemption. « Dois-je vous demander pardon ? Et ouvrir mon cœur ? Si je dis ces mots, les écouterez-vous ? / Ou me laisser ici dans le noir ? » Et pourtant, Damon Albarn ne peut s'empêcher de conclure sur une note d'espoir: « Nous sommes dans cette situation ensemble jusqu'à la fin ».


Oubliez les longueurs exagérées (les dix-sept chansons de Song Machine ou les vingt-six de la version de luxe de Humanz), les montagnes russes sonores ou encore l'effet de distorsion particulier sur la voix parlante de Damon Albarn. Cracker Island est, au contraire, un disque solide et cohérent avec dix chansons concises, bien écrites et arrangées avec élégance. Ils font des albums depuis 2001, mais Damon Albarn et Jamie Hewlett sont exemptés de tomber dans les mêmes pièges que d'autres groupes établis de longue date et à grand succès. Ils sont comme les Simpsons ou les personnages de Toy Story, qui peuvent continuer, sans vieillir et sans se poser de questions, à faire ce qu'ils savent faire de mieux au gré de leurs envies.
Cracker Island prouve que Gorillaz peut sortir un album plus « classique » tout en conservant la créativité inhérente au projet. Un disque qui doit être écouté du début à la fin, pour être apprécié à sa juste valeur, et qui a clairement sa place aux côtés de Demon Days et Plastic Beach comme l'une de leurs plus grandes réalisations.
tracklisting
    01. Cracker Island (Feat. Thundercat)
  • 02. Oil (Feat. Stevie Nicks)
  • 03. The Tired Influencer
  • 04. Tarantula
  • 05. Silent Running (Feat. Adeleye Omotayo)
  • 06. New Gold (Feat. Tame Impala and Bootie Brown)
  • 07. Baby Queen
  • 08. Tormenta (Feat. Bad Bunny)
  • 09. Skinny Ape
  • 10. Possession Island (Feat. Beck)
titres conseillés
    Cracker Island, Tarantula, Silent Running, Skinny Ape
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