Ida Mae

Avez-vous une idée de qui se cache derrière Ida Mae ? La petite sœur de Christophe, notre troubadour national qui vit au pays des merveilles et qui chante que « C'est drôle la vie » ? Non ! je parle de Chris Turpin et Stephanie Jean Ward, deux Anglais installés à Nashville, mari et femme à la ville et duo sur scène.

Le succès de leurs deux précédents albums Chasing Light (2019) et Click Click Domino (2021) leur a permis de partir en tournée sur les terres de l'oncle Sam avec des célébrités locales adeptes de blues, de folk et de musique country (Willie Nelson et Lucinda Williams). C'est alors qu'ils sillonnaient le pays que nos deux tourtereaux se sont dépêchés de décamper dans la campagne anglaise de Norwich pour enregistrer, directement sur bande leur troisième album Thunder Above You en seulement sept jours. Ils ont fait équipe avec leurs collaborateurs de longue date, Ethan Johns à la batterie et le bassiste Nick Pini.
L'arrivée de leur premier enfant coïncidant avec cet enregistrement, on est en droit d'espérer de cet album une esthétique renouvelée et une énergie capable de déplacer des montagnes. Si j'étais producteur, je leur donnerais pour objectif de dérider un style presque trop sage et déjà exploré. N'étant que chroniqueur, je me souhaite avant tout un plaisir d'écoute : après tout, c'est drôle la vie ! Chris Turpin, moitié masculine du duo, est un virtuose de la six cordes et adepte de la guitare Dobro aux résonances métalliques. Avec leur groupe précédent, Kill It Kid, il brillait sur des morceaux de guitares électriques déchaînées entre rock alternatif et grunge. De cette période, il a su garder la coupe de cheveux à la Kurt et quelques solos qui frisent plus du côté de Fleetwood Mac (autre couple célèbre) que d'un nerveux Led Zepellin. Depuis, il use d'un son plus léger qui laisse l'écriture se révéler sous des tons feutrés et intimes. En session d'enregistrement, il brille par une voix magnifique qui nous rappelle celle de Sting, un autre Anglais inspiré par les US ou du moins par New York.

« Je suis un grand geek de la guitare », déclare Turpin. « J'ai apporté beaucoup de choses et j'ai fini par en utiliser la moitié ». A l'écoute du premier titre My Whispers Are Wildfire et de sa rythmique endiablée, je me dis que le duo musical est venu en studio, certes avec une belle collection de guitares, mais aussi avec son kit de percussions (cloche, bâtons, guiro, maracas). Je compte sur cet apport pour moderniser leur style musical « folk americana » pas toujours original. Pour cette entrée en matière, je ne suis pas déçu. La voix de Stéphanie n'a rien d'un murmure, elle est conquérante et accompagne parfaitement le jeu animal de Chris Turpin. Le musicien britannique utilise sa six-cordes pour invoquer une sorte de bête grognant. Son solo sonne comme une sorte d'esprit étouffé, hurlant et s'efforçant de s'échapper.


Me voilà rassuré. L'énergie de cette chanson contraste avec la moue inquiète que la belle concède sur la couverture de l'album. Chris, lui, apparaît serein sur ce même artwork. Il réconforte sa tendre et chère et c'est avec le second titre de l'album, Into Your River, accompagné cette fois d'une simple guitare acoustique et d'un piano, qu'il nous révèle toute l'ampleur de sa voix. Sur cette ballade, sa voix hautement perchée semble s'écouler paisiblement telle une rivière vers une vaste pleine ou roulent des voitures américaines bien plus bruyantes. Ce troisième titre, American Cars, n'est pas synonyme de finesse, il sent la graisse et l'huile de garage. Les grosses guitares sont de sortie et brillent sous le polish !
On est parti pour une succession de titres qui font la part belle, d'abord à la basse sur le morceau Doing It For Badness, puis à la guitare sur une nouvelle ballade, Lost On Your Time, où vont se révéler tour à tour les voix de nos deux protagonistes. Chris Turpin est un perfectionniste de l'instrument, il cherche dans le passé les sons de demain comme il a su le dire en interview. « Quand j'ai écrit Lost On Your Time, je plongeais plus profondément dans les racines folks de mon enfance. Je redécouvrais les accordages de guitare utilisés par Nick Drake, John Martyn et Richard Thompson. J'avais commandé une guitare de salon fabriquée en partie à partir d'un morceau de séquoia coupé dans un arbre vieux de deux-cent ans, tiré d'un lit de rivière en Californie du Nord. La combinaison du bois américain centenaire et des anciennes mélodies de balades britanniques que j'apprenais, semblait se marier doucement ».

Le symbolisme et l'imagerie de ces vieilles chansons de folk britannique se sont infiltrés dans les paroles. Empruntant cette esthétique indie-blues rock entendue sur leur précédent album, l'instrumental du titre suivant, Wild Flying Dove, avec son groove frais et swingant façon Hendrix, complète parfaitement leur double performance vocale vibrante. Le solo de Stephanie sur les touches de son piano Hohner Pianet des années 1970 apporte une singularité à ce morceau.
A mi-parcours, To You Love laisse tout d'abord dominer la voix de Monsieur, libéré par son solo de guitare. Madame ne se laisse pas distancer. Sa voix puissante rugit sur World Flying Dove pendant que ses doigts percutent les touches de ce qui semble être un piano électrique Fender. Nous revoilà dans une plaine américaine, à dos de cheval assurément. L'album se poursuit par mon morceau préféré, Feel The World Turning, inspiré des histoires entendues le long des routes américaines au comptoir d'un bar ou sur le parking d'un motel. Nous voilà filant le bitume, cheveux aux vents, dans une décapotable sur la Route 66.


« L'enregistrement est une seconde prise, tout en live, y compris le chant, toutes les parties improvisées sur place. Le parcours est un voyage, chacun de nous poussant les autres musiciens à suivre et à suivre. Nous avons été tentés de réduire le morceau, mais la conversation entre les instruments et les musiciens semblait dériver et se dérouler tout comme nos voyages. Nous avons décidé que nous voulions garder ce récit émotionnel intact » : le temps passe, le rythme ralentit de nouveau, la balade se termine sans doute à pied, main dans la main, avec les titres Landslide, Thunder Above You et Hold You Like Fading Light. L'orage menace cette harmonie ? Non, le temps ne semble pas menaçant pour ces deux-là qui ont trouvé leur pays des merveilles.

Il ressort de l'écoute de cet album avant tout une maîtrise instrumentale au service d'une esthétique folk tendance blues. Loin des souffrances habituelles qui nourrissent le jeu des bluesmen, c'est inspiré par le bonheur d'une future naissance que Ida Mae nous livrent cette belle composition. Deux voix complices et aimantes qui célèbreront la sortie de Thunder Above You avec une tournée au Royaume-Uni puis en Europe. L'occasion d'un nouveau voyage source d'émotions et d'inspiration pour le duo désormais tourné vers l'avenir.