Beth Gibbons

La vie regorge de surprises, c'est indéniable. Des bonnes, et des mauvaises. Cependant, c'est son incertitude et notre incapacité à maitriser notre destin qui nous permet de connaître parfois de vrais moments d'exception. Lives Outgrown - littéralement « les vies dépassées » - en est un. En effet, par cette rareté que sa compositrice nous donne d'elle, ce nouveau disque de Beth Gibbons, le premier en solo, ne peut en être autrement. Un évènement, une joie, un bonheur même, dont on était déjà certain avant même de l'avoir écouté.

On avait retrouvé Beth Gibbons en 2019 dans l'exercice périlleux et littéralement renversant lorsqu'elle posait sa voix sur la Symphonie N°3 d'Henryk Górecki interprétée l'Orchestre Symphonique National de la Radio Polonaise, dirigé par Krzysztof Penderecki. A des années lumières donc de ses travaux avec son groupe, Portishead, dont le dernier album, Third, remonte à 2008 (sans oublier la toute récente réédition de la version augmentée du Roseland NYC Live originellement paru en 1998). Bien sûr, on ne peut non plus oublier, en 2002, le magnifique Out Of Season enregistré et composé avec l'ex-bassiste de la première partie de carrière de Talk Talk, Paul Webb alias Rustin Man. C'est donc le sentiment de vivre un moment rare et presque sacré qui s'est produit, lorsque j'ai lancé l'écoute, et que Tell Me Who You Are Today s'est balancé entre mes oreilles. Mémorable ouverture du disque où tout est subtilement posé, que ce soit la guitare, les cordes, la basse et bien entendu la voix, reconnaissable entre mille, de la chanteuse. Cela paraît si simple, si évident, tourmenté également, et pourtant il aura fallu des années avant que cette chanson et ses neuf camarades puissent aboutir et voir le jour.

Lives Outgrown va nous entraîner dans un rituel mystique, presque chamanique. Floating On A Moment s'apparente à un exercice où l'esprit sort du corps et où ni le temps ni la vie ne sont contrôlables. Aidée d'un chœur d'enfants, la chanteuse nous narre de sa voix follement mélancolique. Burden Of life, ballade désespérée sur laquelle des rythmes chamaniques sont présents est également un immense moment du disque.
Mais, me direz-vous, à quel moment le disque baisse-t-il d'intensité ? Jamais, en fait. Lost Changes, single addictif lorgnant du côté de Pink Floyd, est une merveille musicale où l'harmonie atteint des sommets. Rewind est un autre grand moment de l'album, où des rythmes mystiques se conjuguent à des riffs de guitare percutants. On ne s'attendait pas à un album aussi rythmé. Reaching Out, sexy et hanté avec cette basse grave et ses envolées lyriques, nous fait de nouveau voyager vers des univers hantés. La cérémonie continue et n'est pas encore terminée, même si on sent sur Beyond The Sun que l'on approche de la sortie, sans cependant savoir ce que l'on va trouver à la fin de cette balade dans des mondes inconnus. C'est Whispering Love et sa flûte qui nous voient retrouver un monde paradisiaque où le soleil, les oiseaux, l'eau et l'harmonie règnent. Fin du voyage.

Les quarante-six minutes de Lives Outgrown constituent une expérience unique et intemporelle. Sans se calfeutrer derrière des instruments électroniques, Beth Gibbons nous fait vivre un voyage organique à travers des compositions majestueuses. L'attente ne fut pas vaine, bien au contraire. On ne sait pas si une suite sera donnée un jour à ce monument musical. En tout cas, il n'est pas près de quitter nos platines en cette année 2024 et bien au-delà.