O.

Derrière l'énigmatique pseudonyme O. se cachent la percussionniste Tash Kearyv et le saxophoniste baryton Joe Henwood. Nous avons découvert le duo en première partie de black midi au Cabaret Sauvage en novembre 2021 où leur jazz expérimental lorgnant autant vers le punk que les bandes sons des films de David Lynch, nous a immédiatement séduit. L'année suivante, en novembre 2022, ils nous ont impressionnés au Pitchfork Music Festival à la Gaîté Lyrique à Paris, car bien qu'appelés à la dernière minute pour combler un désistement, ils ont livré une des plus brillantes prestations du festival. Encore en novembre, mais 2023 cette fois, la parution de leur premier EP, Slice, sur l'excellent label Speedy Wunderground, a fini de nous convaincre que leur débordante énergie et leur bouillonnante créativité live ne s'étiolaient pas à l'épreuve du studio. Peu prolixes depuis leurs débuts et se contentant d'une présence médiatique minimale, O. ont haussé le rythme et n'ont mis que six mois pour accoucher de leur début album, le bien nommé WeirdOs.

En toute logique, on attendait ce disque pour novembre 2024, mais s'il arrive au monde dès le mois de juin, le bébé est loin d'être prématuré. Il a déjà appris à faire l'école buissonnière, à bander les muscles et à systématiquement déjouer avec malices toutes nos attentes. WeirdOs se revendique être l'enfant illégitime du jazz et du doom metal. Oui, vous avez bien lu, l'enfant illégitime du jazz et du doom metal ! Si vous vous dites « Ouh, la la ! », alors passez votre chemin, un suppo Coldplay et au lit, on se quitte bons amis. En revanche si vous vous dites « Oh, la, la ! », préparez-vous à trente-huit minutes de musique hors-piste à couper le souffle.

Si les propositions musicales du duo peuvent de prime abord en dérouter certains, elles méritent qu'on s'y attarde car plutôt que de déconstruire des morceaux basiques pour leur donner une apparente mais factice complexité, O. ne cessent au contraire de tenter de construire de véritables chansons à partir d'un matériau de base complexe et désordonné. Plus on écoute cet album, plus il parait simple et plus il parait riche.

Délaissant leur veine « brass band » et festive qu'on pouvait retrouver sur leurs premiers titres tels que Slice , Grouchy ou OGO et qui avait le mérite de rendre plutôt accessible leurs univers bien barré et assez inédit, le groupe façonne sur ces dix pistes un véritable son, très homogène, lourd, puissant et assez dur mais toujours ludique et surprenant. On y trouve des penchants hip-hop sur 176 et Wheezy, dub sur TV Dinners et Micro, punk avec Green Shirt ou encore free jazz psyché avec Whammy et Suragarfish.

On craignait que pour leur premier album O. ne décident de lisser leur son et de simplifier leur musique pour plaire à un public plus large, mais au contraire avec WeirdOs, ils assument à fond leur marginalité et vont au bout de leur démarche artistique sans peur de déplaire. En résulte un album abrupt, peut-être un peu trop monolithique mais d'une réjouissante radicalité et d'une audace permanente. WeirdOs est l'œuvre bizarroïde d'un groupe bizarroïde qui plaira aux auditeurs normaux, c'est-à-dire ceux qui aiment la musique libre et inventive, navigant loin des sentiers battus.