Barry Can't Swim

Multi-instrumentiste et chanteur, musicien aguerri qui met un point d'honneur à conserver une totale autonomie sur chacun de ses projets, Barry Can't Swim produit depuis quatre ans une des house music les plus enthousiasmantes de Grande-Bretagne aux consonances jazz et afrobeat. Il n'aura d'ailleurs fallu que quelques singles de hautes volée pour que Joshua Mainnie soit considéré par le magazine de référence Billboard comme l'un des dix artistes de dance music à suivre et qu'il soit adoubé par des ténors de l'électro comme The Blessed Madonna (ndlr : nouveau pseudonyme de The Black Madonna, contrainte, à l'instar de Girl Band désormais Gilla Band, de changer de nom sous la pression d'idiots qui n'ont pas encore capté que quand le progressisme se met à expliquer aux artistes ce qu'ils doivent faire, c'est qu'il est en train de dangereusement régresser). Espérons donc pour lui que Joshua Mainnie ne sache vraiment pas nager sous peine de devoir se renommer en « Joshua is an average swimmer ». En attendant, le natif d'Edimbourg, ville qui commence tout juste à concurrencer sa grande sœur de Glasgow grâce à des productions mémorables tel le génial Heavy Heavy de Young Fathers paru plus tôt cette année, sort enfin son attendu premier album.

Le disque débute tout en douceur avec When Will We Land? morceau introductif dont l'unique objet est d'accueillir confortablement l'auditeur et le préparer au voyage. Car plus qu'une succession de singles autonomes l'écossais a voulu pour son premier LP changer sa manière d'écrire de la musique « en la traitant un peu comme des pièces de puzzle qui s'emboîtent pour créer quelque chose qui n'est terminé que lorsqu'il est écouté dans son ensemble ». Voici une nouvelle qui fera plaisir à Beyoncé, elle qui se plaignait récemment que plus personne n'écrive d'album. On pourrait aisément donner à la Queen B deux ou quinze contre-exemples mais saluons sa démarche car nous aussi nous plaçons « l'Album » (avec un grand A) au-dessus de tout, tant que celui-ci n'est pas « concept » ou « double ». Album qui ne tarde pas à atteindre son point d'orgue avec Deadbeat Gospel, petit classique instantané donc la piste sonore rappelle l'électro racée de BIEP et le spoken word tout en accent roulé écossais les saillies d'Arab Strap. La combinaison de cette musique aérienne et polie (comme on le dit d'un diamant et non pas d'un enfant de Passy Buzenval) et de cette voix rugueuse qu'on croirait enregistrée sur le vif est, pour citer les philosophes grecs, « de toute beauté ».

En bon alchimiste, Joshua Mainnie n'a de cesse d'expérimenter et de tenter de fusionner les genres comme avec Sonder, Sunsleeper, I Won't Let You Down et Define Dancing qui célèbrent avec bonheur les noces de l'afrobeat et de la house music. Ce que cherche ici l'écossais n'est nullement l'exotisme et encore moins l'appropriation culturelle, mais plutôt trouver le point de jonction de ces deux musiques qui résident dans leur aspect spirituel. Ainsi l'album n'aura de cesse de voguer d'un style à l'autre tout en gardant une étonnante unité globale. How It Feels et Always Get Through To You sont des hommages sincères au rnb 90's qui évitent l'écueil du second degré kitch et de la distanciation pour un résultat tout en élégance et fluidité. La soul de Woman, la pop synthétique de Tell Me What You Need et l'exubérance tropicale et brésilienne de Dance Of The Crab viennent tous les trois élargir la palette chromatique de cet album et confirmer l'aisance de Barry Can't Swim à passer avec grâce d'un registre à l'autre.

Avouons-le, les termes afrobeat, rnb et tropical ne sont pas de ceux qui font sauter au plafond les lecteurs de Sound Of Violence. Pourtant la réussite de When Will We Land? tient justement dans sa capacité à séduire le novice tout en en ravissant l'amateur éclairé. Cela tient avant tout à la qualité d'écriture et à le production ciselée et précise de chaque morceau et au refus de tout second degré tant il est évident que Barry Can't Swim est amoureux de chacun des styles qu'il explore. Ce disque dense et brillant peut s'écouter aussi bien le matin dans le RER B, le visage coincé contre la poitrine d'un employé de bureau en costume cravate Celio ayant utilisé trop de déodorant et pas assez de dentifrice que lors d'un apéro-dinatoire dans l'appartement de Breguet-Sabin de votre pote en total look APC qui « bosse dans la com », mais là où il révèlera réellement toute ces richesses est sans conteste plus tard dans la soirée, et ce que ce soit en club, en boum, en rooftop ou même tout seul dans votre salon, car on avait presque oublié de le dire, When Will We Land? est avant tout un putain d'album de dance music !