Chronique Album
Date de sortie : 10.10.2025
Label : SO Recordings
Rédigé par
Jérémi Desplas, le 7 octobre 2025
Des romans de Saint-Exupéry à Songs For A Dead Pilot de Low, les voyages solitaires en avion ont une longue histoire d'influence sur les artistes, là où le trop-plein destructeur des dernières décennies inspire davantage les réflexions sur la place de l'individu et de ses propres émotions dans cet environnement (avec comme maître-étalon Music For Airport de Brian Eno).
Public Service Broadcasting s'étaient donc penchés sur l'histoire du dernier vol d'Amelia Earhart, première femme à traverser l'Atlantique et disparue en 1937 lors de sa tentative de faire le tour de la Terre avec le concept-album The Last Flight. Presque exactement un an après sa sortie, l'album d'origine se retrouve remixé dans cette nouvelle version, Night Flight, avec un artiste différent aux manettes de chaque morceau. Si les albums de remixes sont généralement accessoires, dans ce cas précis, le disque d'origine était une livraison professionnelle avec son lot de bons moments, mais souffrait par moments d'un léger excès d'homogénéité et d'un manque de spontanéité qui l'empêchait d'être aussi captivant que ce qu'il aurait pu au vu du talent de composition perceptible. Excès de scolarité probable : il peut s'avérer difficile de documenter une aventure visant les cieux en étant trop terre-à-terre. L'arrivée de nombreux artistes différents en renfort, loin de sacrifier à une hétérogénéité malvenue qui aurait trop fait partir l'œuvre dans tous les sens, permet ici de représenter tous les paysages croisés par Amelia Earhart, en suivant toutes les étapes du vol.
Décollage : la pilote se concentre. Les "I was always dreaming" remontent alors que le voyage final commence sur un rythme régulier, serein mais conscient de la difficulté à venir. C'est le dernier moment de longue introspection avant la grande aventure aérienne. Towards The Dawn raconte le début du vol. Les nappes électroniques, dans une démarche proche de l'ambient, rassemblent les vastes étendues aériennes avec le lancement de la mission, avant que ne se rajoute une guitare sonnant comme celles des BO d'Enio Morricone qui renforce le côté épique et cinématographique. La transition vers Arabian Flight, qui se concentre sur une étape particulièrement difficile (la dernière, en fait, mais le morceau a été déplacé pour cette nouvelle version), est bien assurée notamment au travers des rythmes électroniques sans cesse changeants. Si la narration qui passait principalement par les guitares sur l'album d'origine est bien conservée et permet de suivre l'évolution émotionnelle, la mise au premier plan des rythmes et synthés rééquilibre le tout en dessinant l'arrière-plan dans toute sa diversité, avec des sonorités bien spécifiques, immédiatement évocatrices comme le font les maîtres de Boards Of Canada. Cette combinaison était déjà légèrement présente sur Electra dans l'album d'origine (piste absente de cette nouvelle version), et permet un début d'écoute solide.
Sur The South Atlantic, This Is The Kit donne voix au personnage principal, et ce répit méditatif s'insère mieux entre les autres pistes que sur l'album d'origine. The Fun Of It, déjà morceau le plus étrange avant les remixes, n'est pas départi de son côté hyperpop dans le traitement de la voix. Si cela détonne, ce n'est pas forcément inadéquat avec le côté lâcher-prise du récit et correspond à l'apport de chaque identité sonore sur l'album. Le mystère autour de la fin de la mission et de la disparition d'Amelia Earhart n'a jamais été élucidé, même si l'accident en mer suite à une panne de carburant est le scénario le plus logique, et c'est le tunnel menant à la perte de contrôle qui est recréé sur Monsoons, chanson paniquée bien à sa place même si un surcroît d'émotion aurait pu encore mieux recréer ce point central de l'histoire.
Les deux chansons finales sonnent comme des élégies funèbres : A Different Kind Of Love fait entendre une voix tout droit sortie d'un autre monde, mais maintient l'ambiguïté avec ses "everything is ok", dont on ne sait s'ils parlent d'une improbable survie ou simplement d'une mort au faîte de sa gloire et de sa mission, probablement la plus mémorable possible. L'instrumental Howland, sans invité, conclut de manière élégiaque cet album hommage, tout en laissant entrevoir une touche d'espoir.
Plus varié que l'enregistrement d'origine tout en restant cohérent, cet album de remixes semble rendre davantage justice à toutes les nuances du dernier voyage d'Amelia Earhart, comme le documentaire sonore qu'il souhaite être.