Chronique Album
Date de sortie : 10.10.2025
Label : JAR Records
Rédigé par
Jérémi Desplas, le 9 octobre 2025
La forme la plus désespérée du désespoir est probablement de ressentir celui-ci en ayant la conviction absolue que ça ne va pas s'améliorer, et certains en viennent à penser que quitte à ne pas bouger de sa chambre, autant en faire un album qui sera, à n'en point douter, un témoignage grandiose et si universellement ressenti par chacun en son intimité que tout le monde en parlera derrière son écran, que potentiellement des millions de personnes écouteront côte à côte sans s'entendre les uns les autres, sans comprendre que leur propre solitude au crépuscule est celle de tout un chacun.
Cette « méthode » a pu produire des albums cultes avec des moyens des plus rudimentaires tels que Deathconscioussness de Have A Nice Life, qui se font une grande place dans les petites histoires individuelles. Life Inside The Feeder Mind, le nouvel album du membre d'Archive Dave Pen, s'inscrit dans cet état d'esprit. En revanche, à trop privilégier la spontanéité pour rendre compte de ses sentiments, les moments les plus poignants se retrouvent coincés entre des expérimentations pas toujours abouties, ce qui réduit l'impact de l'ensemble.
L'introduction No Hiding pose pourtant immédiatement l'ambiance avec ses grands effets de reverb progressivement rejoints par diverses boucles instrumentales qui construisent une montée en puissance convaincante. Le chant est lyrique voire pompeux mais ce n'est pas bien dérangeant car ça sert efficacement le propos et la plongée immédiate dans l'album et montre la capacité de Dave Pen à créer de grands paysages sonores ressemblant à une grande chute d'eau sous l'orage avec juste les moyens du bord.
Life Life Life Life Life Life Life Life, le morceau suivant, est sans doute le plus puissant de l'album, avec ses répétitions haletantes et ses paroles sysiphiennes sur le combat qui n'en finit pas. La mélancolie brute est ici poignante et cela continue sur Feedermind, avec les grands coups de guitare déchirant l'atmosphère, mais c'est à partir de là que l'aspect minimaliste commence à sauter davantage aux oreilles : le nombre de boucles se réduit pour donner l'impression d'une grande traversée de zone ravagée. Si ça fonctionne par moments, la suite commence à sonner un peu plus répétitive car souffrant de la comparaison avec le début de l'album : Twisted Fix est construit autour d'une bonne idée, là où les deux premiers morceaux en proposaient quatre ou cinq dans la même durée, tandis que Try And Divide part dans des directions relativement peu cohérentes.
Thank You Sheila est la pièce la plus inquiétante de l'album, ressemblant à une veillée funèbre avec des « I'm so sorry » qui auraient leur place en bande-son de la scène finale d'un film de vampires. Pourtant des plus sincères et touchants, ce morceau peine à nous emporter, soit par excès de larmes pas forcément maîtrisées, ou parce qu'il est trop en décalage avec le reste. Le pas de côté est plus réussi sur Me I See, à la fois douillet et paranormal et qui serait une parfaite chanson de confinement à la fois monotone et sécurisé.
La fin de l'album poursuit sur cette lancée, tout d'abord avec Fear Worry Faith Hope et sa montée en puissance d'abord maîtrisée mais qui se termine sans en exploiter tout le potentiel, mais surtout sur Rage Without Apology, dont le retour à l'acoustique porte l'ensemble avec brio. Ici chaque élément trouve sa place et nous prend par la main vers un final clair-obscur d'une grande beauté. Une fin d'album parfaite, qui ne conclut pas l'album puisque c'est Better qui s'en charge avec un excès d'emphase, qui aurait pu faire sens plus tôt dans l'album mais qui placé à la fin fait un peu retomber le soufflé dans une chute lente et inquiétante.
Si Dave Pen prouve sa capacité à créer des paysages sonores évocateurs et signe sur cet album quelques chansons mémorables, on peut regretter que certaines soient plus développées que d'autres, ce qui déséquilibre l'album et dilue la force de ses sommets. Mais s'il reste l'espoir de sortir un meilleur disque, c'est peut-être qu'il reste de l'espoir tout court.