Enfin
! Alors qu'on n'y croyait plus, voilà que
The Libertines se reforment secrètement au nez et à la barbe de tous – même du NME, impensable ! – et composent leur troisième album entre les divers enregistrements des nouveaux groupes de chaque membre (Babyshambles, Dirty Pretty Things, Yeti). Sous le nom de The View, les deux frères ennemis de nouveau réunis sortent
Hats Off To The Buskers, succédant à l'explosion
Up The Bracket de 2002 et l'excellent éponyme
The Libertines paru en août 2004.
Bien sûr, on s'est douté que le groupe se reformerait un jour ou l'autre quand la reprise de
Janie Jones est sortie en octobre dernier
. Nombreux sont ceux qui ont considéré cette collaboration éphémère comme les prémices à un prolongement dans le temps et, pourquoi pas, à cet aboutissement créatif tant attendu. Et ils ont eu raison car il est arrivé. Plus tôt que prévu.
Le groupe aura parfaitement manigancé son coup. Chacun dans leur coin, Carl Barat, Pete Doherty, John Hassall et Gary Powell ont réfléchi à des pseudonymes qui leur conviendraient : ni trop classiques, ni trop singuliers. Trouver un juste milieu. Une tâche pas si aisée.
Au final, ce sera Steve Morrison pour Powell, Kieran Webster pour Hassall, Pete Reilly pour Doherty et Kyle Falconer pour Barat. Ou peut-être est-ce Kyle Falconer pour Doherty et Pete Reilly pour Barat, on ne sait pas, on n'arrive pas à savoir qui de Doherty ou Barat chante sur la totalité de l'album tant il rappelle la voix relativement posée du premier et emprunte au second ses notes faussement décomplexées. À l'écoute de
The Don et
Wasteland, on mise tout de même sur Doherty et ses envolées lyriques bancales mais bigrement sincères et fascinantes – l'avenir nous dira si on a eu raison.
Poussé par le besoin urgent de prendre un nouveau départ, le groupe est allé jusqu'à prendre en photos de parfaits inconnus en train de poser devant une devanture de magasin, dans un café, autour d'un billard et même sur une scène, des instruments à la main, singeant les manies du musicien en plein effort.
Une fois le marché conclu, les quatre individus sont ainsi recrutés par les Libertines pour devenir le groupe fictif d'Outre-Manche
– on se souvient récemment de l'imposture du blogger Frantico (il dessinait les péripéties d'un obsédé sexuel d'une trentaine d'années au rythme d'une planche par jour) qui ne serait autre que le génial Lewis Trondheim, ou encore la supercherie littéraire provoquée par l'auteure américaine Laura Albert qui a entièrement créé le personnage de JT Leroy
, aidée de quelques proches, d'une perruque blonde et de lunettes teintées.
Le groupe pousse ici la supercherie encore plus loin en ne basant son concept que sur les apparences et non sur des preuves enregistrées. La troisième étape du plan, et pas des moindres, consistait dès lors à former un buzz autour du groupe.
Tout d'abord, trouver un nom de scène. Gary Powell a un éclair de génie et propose
The View. Le
The, classique, sous-entend la direction musicale du groupe (The = rock'n'roll), le
View symbolise à merveille ce nouveau départ que le groupe souhaite prendre tout en envisageant à la fois un changement d'horizon sensiblement différent des Libertines. Convaincus, les autres approuvent Powell, étonnés toutefois qu'il ait pu faire preuve de créativité au moins une fois dans sa vie. À noter.
Durant plusieurs semaines, entre les tournées des divers side-projects – car Babyshambles, Dirty Pretty Things et Yeti sont bel et bien des side-projects, des passe-temps dérisoires, le groupe n'a jamais véritablement splitté ! –, les musiciens se concentrent essentiellement sur Internet en créant un site officiel et, évidemment, une page Myspace. Photos, bio, news, T-shirts, et le plus important, amis. Le groupe était né. Ne restait plus qu'à composer les chansons.
En mars 2006, The Libertines sortent
The View EP.
Comin' Down,
Street Lights et
Face For The Radio sont déjà présentes et possèdent chacune le truc qui les rend irrésistible à leur manière, que ce soit un refrain et un solo exaltés (
Comin' Down), un riff imparable (
Street Lights) ou une énergie communicative (
Screamin' & Shoutin').
Suivront ensuite les singles
Wasted Little DJ's et
Superstar Tradesman, véritables tueries rock comme le quator a su nous en asséner par le passé à l'instar de
What A Waster,
Time For Heroes et
Can't Stand Me Now, agrémentés de quelques B-sides aussi réussies et inventives telle que la passionnante
Posh Boys – par ailleurs absente de l'album, probablement jugée trop Libertines, quelqu'un se serait rendu compte de la mascarade.
Puis, début 2007, sort l'album
Hats Off To The Buskers. Après deux années post-Libertines, la recette n'a pas bougé d'un poil : les guitares sonnent pareil, les solos s'exécutent toujours aussi aisément, les rythmes s'enchaînent sans temps mort
– à l'exception de
Face For The Radio, ballade acoustique de l'album tout comme
Up The Bracket possédait sa
Radio America et
The Libertines la fabuleuse
Music When The Lights Go Out. Coïncidence ?
–. The Libertines sont toujours en grande forme !
On n'est donc pas dupe, c'est fini le temps où on se faisait avoir comme des bleus : The View sont The Libertines, c'est l'évidence même. Ils auront beau démentir, on ne nous la fait pas à nous. Comme si des titres comme
Superstar Tradesman et
Street Lights pouvaient être interprétés par d'autres que Doherty et Barat, quelle bêtise.
Vous n'êtes pas convaincus ? Voyez plutôt : pour brouiller les pistes, Doherty sort entre-temps
The Blinding, mini-condensé de démos enregistrées à la va-vite qui trainaient au fond du van. Preuve qu'il a passé plus de temps avec The View qu'avec ses Babyshambles car même son amie La Drogue, prétexte à tous ses écarts, n'a pu décemment lui avoir fait pondre des titres aussi bâclés et bancals que cet interminable
Sedative ou le grotesque
I Wish et, qui plus est, saboter la merveilleuse
Love You But You're Green. C'est forcément un acte délibéré !
The View sont donc The Libertines, et je suis, semble-t-il, le seul à m'en être aperçu pour le moment. Mais bon, ça ne devrait pas tarder à se savoir,
Posh Boys est en écoute sur leur page myspace
!