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Rétrospective The Smiths : Meat Is Murder (1985)

Dossier réalisé par Maxime Delcourt le 9 janvier 2012

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On entend souvent dire que les années quatre-vingt sont la pire décennie en matière d’innovation musicale. On peut aisément trouver des arguments pour alimenter le sujet, mais une telle affirmation serait faussée si l’on ne prenait pas en compte l’émergence d’artistes comme New Order, Sonic Youth, Pixies, Nirvana ou encore The Smiths. Omettre ces artistes serait comme renier un pan sincère et revanchard de l’histoire du rock.

Aujourd’hui, alors que vingt-six cernes de plus indiquent l’âge de Meat Is Murder, The Smiths est devenu un symbole et, par extension, une figure récurrente des paysages musicaux. Toutefois, les échos n’ont pas toujours résonné de la même façon. A sa sortie, en 1985, l'album n’a pas, en France du moins, tout du chef d’œuvre qu’il va devenir quelques années plus tard. Faut-il rappeler qu’à cette période, l’Europe entière est plongée dans les synthés (que les Smiths détestent), que les groupes qui émergent ont tous des patronymes à rallonge, et, surtout, que, pour une Angleterre en plein thatchérisme, The Smiths représente l’archétype du groupe anti-establishment.


Au cœur de cette époque, le groupe sent qu’il a un rôle à jouer : prévenir de l’insurrection qui guette. Par son refus de l’empathie, il englobe avec lui la classe moyenne anglaise et tend ainsi un doigt d’honneur à l’aristocratie qui se refuse à entendre les revendications d’une Angleterre bien décidée à ne plus se plier aux valeurs traditionnelles. Et c’est avec une intelligence vénéneuse qu’il va s’imprégner de cette énergie noire pour électriser Meat Is Murder. D’où, certainement, un engagement politique beaucoup plus marqué que sur le premier album des auteurs de How Soon Is Now ?. Insolent et crâneur, le groupe n’évitera pas la controverse. La cherchait-il ou non, ça, c’est une autre question. Toujours est-il qu’il s’en amuse par l’intermédiaire des médias.



Plus qu’un quatuor, The Smiths c’est aussi et surtout Morrissey. Le genre d’homme qui peut endosser tous les rôles : grand frère érudit, meilleur ami, amants de nos filles écervelées... Si les mancuniens sont ce qu’ils sont, c’est aussi grâce à ce genre de personnage, rare dans le monde du rock, capable de galvaniser les foules. Sur Meat Is Murder, la combinaison de son chant au coup de guitare de Johnny Marr génère une tension qui ne demande qu’à se métamorphoser en menace. Et plus si affinité !
Telle une émeute intérieure, ce deuxième album convoque merveilleusement un panel de sentiments contradictoires, culminant dans la plus profonde chanson Meat Is Murder où l’auditeur croise désespoir et certitude. Au fil de ce disque moins statufié que The Smiths, la pop music copule avec l’authenticité et fédère dès lors des nostalgies héréditaires. Et pour cause, avec Barbarism Begins At Home et The Headmaster Ritual, The Smiths entre directement dans l’histoire.

Aussi, et généralement après avoir parlé de musique, il est temps d’en venir à l’artwork où, la encore, The Smiths convoque l’excellence d’une représentation : la couverture de ce deuxième album faisant explicitement référence à In The Year Of The Pig, documentaire d’analyse politique sur les raisons de la guerre au Viêt Nam d’Emile de Antonio. Même le choix de l’image n’a rien d’anodin. Si on y regarde de plus près, l'inscription sur le casque du soldat ne peut qu'interpeler : « Make War, Not Love ». Ironique et provocateur jusqu’au bout !



En maitre de l’école buissonnière, le quatuor a complétement renversé la conception habituelle et classique de la musique. Tel pourrait être un des nombreux attributs antinomiques qui définissent Meat Is Murder. Pour conclure, nous dirons juste que, de nos vies, The Smiths en a fait un ensemble de points d’interrogations à la grâce poétique. Malheureusement, il aura fallu attendre que les idéaux changent pour que ce disque prenne tout son sens.