Le Pitchfork Music Festival est un événement à part parmi les festivals français et pas seulement parce qu'il porte le nom de l'ersatz américain de Sound Of Violence. Lorsque l'on entre dans la Grande Halle de la Vilette, on est accueilli par une installation décorée par une marque de mini-voitures citadines, qui n'est pas une machine à cloner les barbus à raie qui font la moue, mais bien un bowling privé. Nous voilà prévenus : on n'est pas chez les bouseux. On entend davantage parler anglais ou d'autres langues dans les allées, preuve que les festivaliers viennent de toute l'Europe et d'ailleurs. Enfin la programmation sort le grand jeu avec ce qui ce fait de mieux dans la pop, le rock ou l'électro indépendant : l'assurance d'avoir un public de mélomane et une ambiance conviviale. Un luxe auquel on s'habitue assez vite.

Ce chaud jeudi de Toussaint commence idéalement avec nos protégés Montrealéais de
Ought, déjà aperçus en ouverture de La Route du Rock collection Hiver. Ils ouvrent cette fois sur cette grande scène parisienne devant un public qui commence à arriver tranquillement. Les quatre ont l'apparence de jeunots mais dégagent un sacré sens de la composition. Ils sont menés par leur chanteur à la voix lancinante et parlée rappelant un mini Lou Reed possédant la grâce d'un mini Jarvis Cocker. Son charisme agit tout seul : Ought débutent doucement sur
Today, More Than The Other Day avant d'enflammer leurs guitares dans un post-punk jouissif balancé par des « dadada » qu'on a envie de fredonner à tue-tête. Voilà des newcomers qui apportent une bouffée d'air frais en puisant dans l'onirisme de Bowie ou dans le lyrisme de la pop canadienne pour parvenir à nous faire danser dès notre entrée en piste. L'entêtante et répétitive
Beautiful Blue Sky avec ses textes martelés, terminera de nous convaincre : nous tenons ce groupe en très Ought estime.

Les festivaliers du Pitchfork se sont tous fait très beaux pour le concert de l'américain Tom Krell, alias
How To Dress Well. Le songwriter empoigne son microphone à l'avant de la scène, déployant une voix s'envolant dans des aigües parfois larmoyants. Il alterne entre ses deux microphones pour terminer chaque phrase en criant sur une reverb accentuée. Malgré cela, rien ne le distingue de chanteurs R'n'B formatés qu'on peut entendre sur les ondes à longueur de journée, même si la comparaison avec Justin Timberlake peut être flatteuse. Les instrumentations viennent d'un seul laptop alors qu'une batterie très marquée apporte un peu d'organique. Cette voix se perdant en trémolos et en trop plein de « oh baby no no i miss you » à tendance à nous faire le même effet qu'avaler une dizaine de barbapapas sucrées, et le désavantage de masquer la qualité des compositions. Ces méandres vocaux nous perdent complètement d'autant plus que la setlist est axée sur le dernier album plus que sur
Total Loss qui aurait plus nous réjouir davantage. On n'en ressortira pas habillé pour l'hiver.

Les Allemands de
The Notwist prennent la relève et vont fortement augmenter le volume sonore, ouvrant la voie à une fin de soirée plus nerveuse. La douce voix voluptueuse de Markus Acher s'élève à peine, caché par des instrumentaux lorgnant vers un shoegaze ou un post-rock précis. La rythmique est mise en avant avec des percussions marimbas, une batterie, des tambourins, des cymbales, et des beats électronica toujours présents. Sous leurs airs de petits génies, toute l'expérience du quatuor (ce soir sextet) s'exprime : le groupe s'est tout de même formé en 1989. Mais leur mur de guitares n'a toujours pas chuté, s'exprimant dans de longs instrumentaux et allant toujours plus loin dans une construction et une recherche sonore parfois expérimentale. La touche pop n'est jamais oubliée, elle est présente dans cette voix juvénile qui nous avait marquée sur
Pick Up The Phone (qui ne sera pas jouée ce soir) et continue à le faire avec
Close To The Glass, titre éponyme de leur dernier album. Cette musique parfois un peu intello lorgne autant vers Kraftwerk que My Bloody Valentine pour s'affirmer comme un sommet avec des titres frôlant parfois les dix minutes. On ne peut que s'incliner devant The Notwist, again.

On en vient à un rock plus brut avec
The War On Drugs, de retour de Philly PA après une tournée des festivals plutôt gigantesque. Après The Notwist, il est certain qu'une certaine candeur innocente se dégage des compositions planantes et légères des américains. Le nom de leur album
Lost In The Dream résume bien la sensation dans laquelle nous transporte ce live : les variations psychédéliques rêveuses des guitares à l'écho perdurant sont délicieusement portées par la voix ardente d'Adam Granduciel aux accents de Bob Dylan ou Mark Knopfler. Ses solos sont prolongés par les cuivres d'un saxophone baryton défiant toute trajectoire. Les claviers multiples s'étendent pour synthétiser la performance. On assiste au show d'un groupe libéré à la cohérence parfaite et l'épique
An Ocean Between The Wave en est la parfaite illustration. Cette soirée monte clairement en puissance.

Pour la tête d'affiche de la soirée, on décide de conserver ses protections auditives puisque c'est au tour de
Mogwai de faire trembler la Grande Halle. « Nous sommes Mogwai de Glasgow, Écosse » : un groupe Écossais le rappellera forcément dès l'entrée en scène. C'est sur l'introspective et mystérieuse introduction de leur dernier album en date que le quintet dévoile la puissante subtilité de leur son. Nous voilà directement happés par ce post-rock sorti des abysses, éclairé par le sigle solaire et lumineux de la pochette de
Rave Tapes, apparaissant à l'arrière de la scène. Les longues plages électriques s'entortillent, nous remuant les organes en continu. Passant subitement de frêles mouvements de cordes à des excitations apocalyptiques assourdissantes sur
Mogwai Fear Satan, les rois du nord parviennent à nous mettre dans un état d'extase par la perfection de ces lentes évolutions lancinantes pourtant si claires. Des synthés et des beats reprendront le dessus sur
Remurdered, s'éloignant des racines du groupe pour se rapprocher de labyrinthes électroniques tout aussi excitants. Si le set est essentiellement instrumental, quelques parties vocales seront assurées notamment sur
Teenage Exorcists ou
Mexican Grand Prix apportant une fin de set aux sonorités rock plus classiques. Nous atteignons le sommet de la soirée : Mogwai ont prouvé qu'ils étaient toujours au-dessus de la mêlée, même avant minuit.

Pour cette fin de soirée, nous passons à l'électro avec le DJ anglais
Jon Hopkins. Seul face à ses machines et à l'avant d'une impressionnante accumulation de light shows et lasers, le producteur est caché par l'ombre d'un écran géant ou sont projetées des vidéos de films ou d'animations. Le visuel est aussi important que le son dans sa prestation. Les beats acides succèdent aux échos transcendantaux, Jon Hopkins ne lâchant jamais la pression sur des festivaliers qui ne demandent qu'à se perdre dans la danse. Les passages house succèdent à des instrumentaux ambient ou minimal avec une cadence qui semble être perpétuellement en avance tant elle est effrénée. Sa réputation le précédait et il n'a pas démérité.

Le prodige du dubstep downtempo est appelé pour terminer la soirée, le chouchou des anglaises
James Blake va prolonger le flot lumineux qui s'abat sur le Pitchfork Music Festival. Tranquillement installé à l'abri derrière ses claviers, le londonien va ralentir le contre-temps avec ses samples flottants et sa voix angélique. Son premier titre sera pourtant instrumental, laissant ses premières envolées pour un simple a-capella sur un
I Never Learnt To Share hésitant, puisque recommencé une seconde fois. Cette voix qu'on a connue moins fatiguée laisse souvent sa place à des instrumentaux synthétiques prolongés. Il n'en livre qu'une pincée pour faire décoller les morceaux. Son tube
Limit To Your Love et ses infra-basses en slow motion saupoudrées de quelques notes de piano se révèle toujours aussi efficace. James Blake abandonne le trop plein d'effets qu'on lui connaissait par le passé pour se concentrer sur la simplicité d'un piano voix bien plus plaisant. On apprécie davantage cette direction intimiste et vaporeuse laissant s'exprimer plus directement les morceaux. Il terminera cette première soirée sur un a-capella aux inspirations spirituelles avec
Measurements.
Cette première soirée très masculine du Pitchfork Music Festival a vu s'enchainer d'excellentes prestations, couronnées par celle de Mogwai mais aussi par The Notwist, The War On Drugs ou Ought. L'affiche de la seule soirée qui n'affichait pas complet fut belle, nous repartons convaincus que la suite, plus féminine, le sera tout autant.