Des records de fréquentation et une programmation toujours plus ébouriffante d'année en année sont les défis relevés avec un brio hautement salué depuis onze éditions du Main Square Festival par son président Armel Campagna, également à la tête de Live Nation France Festivals. 2015 n'a pas dérogé à la règle avec ses 40 000 festivaliers par jour, venus de tous horizons profiter, dans la gracieuse Citadelle d'Arras, d'un line-up international de haute volée opérant, cette fois, à guichets fermés pour les trois jours de l'événement.

Le Nord Pas De Calais - région « la plus touristique de France » selon un certain Mat Bastard (information à prendre avec précaution car la source pourrait manquer un brin d'objectivité) – a pour avantage et mérite de n'être, pour un parisien, qu'à un jet de pierre, une petite heure de train. Par conséquent, la sensation de passer du seuil du bureau du vendredi matin au front row de la Main Stage en quelques entourloupettes bien goupillées, juste à temps pour voir arriver l'heure du premier concert, a quelque chose de délicieux. Le dépaysement d'une charmante ville du Nord et d'un lieu historique mêlé à l'exaltation des concerts et à un sublime temps d'été. Le week-end ne s'annonce pas franchement déplaisant.
Certes, le sublime temps d'été frise d'assez près la canicule et le mercure dansotte vers les 38 degrés mais la grande scène est heureusement vite ombragée quand pointe la fin de l'après-midi, et avec, le top départ des réjouissances. En cohésion avec le climat, un bien connu Germano-Sierra Léonais inaugure la Main Stage d'une gerbe d'aura radieuse. Le reggae/hip-hop teintés de mélodies soul de
Patrice transpire le soleil et une pétulante joie de vivre, qu'il communique à son public qu'il fait crier, chanter, danser à sa guise. A ses côtés, ses musiciens rivalisent sans soucis en déhanchés souples et sourires à faire fondre la calotte glacière (le premier prix étant décerné au bassiste). Un tube bien placé par ici –
Soulstorm – et le roi du « swag » à l'européenne a parfaitement rempli sa mission feel good.

L'esprit décontracté reste de mise, mais dans un autre registre, car l'Irlandais
Hozier possède aussi plus d'une corde à son arc pour enchanter son auditoire. Sachant manier à merveille une folk sombre aux refrains pop mélancoliques, le jeune prodige à la voix de bluesman accompli sait combler la scène de charme et de poésie, qui lui ressemblent. Face à son jeu de guitare tout en finesse et ses textes pénétrants, choristes et contrebassiste soutiennent les envolées harmoniques avec grâce et un sens aigu de la justesse. La magie peine pourtant à prendre et tous les morceaux de son unique album n'atteignent pas forcément la dimension recherchée. Il surprend finalement avec une reprise de la chanteuse hip-hop Ariana Grande,
Problem, qu'il parvient à rendre méconnaissable mais dansante à souhait, et conclut par son très attendu
Take Me To The Church, qui a fait sa notoriété, messe noire et ode à l'acceptation qui rassemble tout le monde autour d'un même moment poignant.

Bien que l'Irlande soit à l'honneur pour cette première journée, le groupe
The Script, qui s'apprête à monter sur scène, ne semble pas faire partie des plus attendus. A observer l'assemblée, on ne remarque qu'à peine la pancarte « Hug me Dany » - clairement adressée au charismatique chanteur dublinois – noyée au milieu des t-shirts Lenny Kravitz et peintures corporelles, hommages à Shaka Ponk. Un parfum d'ignorance, d'innocence même, plane autour de ce groupe bien peu connu de ce côté de la Manche, mais plus pour longtemps, thank God ! L'heure venue, les musiciens apparaissent sur la scène un par un, premier coup d'un remarquable défilé d'effets justement étudiés pour conquérir un public. Parmi eux, l'incontournable instigation du concours de cris patère de droite versus patère de gauche, l'agaçant mais quand même amusant assis/debout/on saute !, les lumières des téléphones brandis pour consteller les balades, et, bien évidement, l'indétrônable moyen de rendre un public hystérique à souhait : le généreux bain de foule du chanteur jusqu'au centre de la place, de quoi affoler les agents de sécurité qui n'ont pas l'air bien prévenus. Entre hymnes rock dopés à l'Irish Power et textes scandés, les lutins malins n'en finissent pas de jouer des tours d'une efficacité redoutable et combinent un show de stade qui mérite amplement leur comparaison à U2. Ils achèvent avec
Hall Of Fame pour boucler avec justesse leur prestation admirablement équilibrée entre effets millimétrés, spontanéité et émotions sincères : une sacrément belle réussite pour leur premier festival français.

A priori, il ne devrait pas y avoir de barre trop haute pour
Lenny Kravitz. A l'inverse de The Script, le showman de grande envergure n'a plus qu'à piocher dans la reconnaissance d'un public assujetti à ses titres phare depuis les années 90. D'entrée il déballe
American Woman et touche la cible en plein cœur. Musiciens, cuivres et choristes ont une pèche d'enfer et le funk dans le corps. Aucune résistance possible face à tant de rock'n roll attitude. Et pourtant, avec le très apprécié morceau
Sister vient une session instrumentale, qui apparaît au départ comme une belle mise en valeur des multi-instrumentistes qui l'accompagnent – et de lui même, en passant – mais, au fil des minutes, perd en substance et voit l'intérêt des spectateurs fondre comme neige au soleil. La maladresse traine encore en longueur et il faudra attendre la fin de
I Belong To You pour voir arriver
Let Love Rule et
Are You Gonna Go My Way qui remettent les choses à leur place. Un court rappel avec seulement
Fly Away comme mots d'au revoir laisse un public un peu sur sa faim, en particulier par manque de représentation de son dernier album studio
Strut.

Il reste juste assez de temps pour braver la cohue épaisse et écouter la fin de la performance de
Kodaline sur la Green Room. La dernière formation irlandaise de la soirée parcourt le palmarès de ses deux albums - dont
Coming Up For Air, le dernier en date - aux refrains bien ciselés et entêtant et aux mélodies pop-rock modernes ,qui résonnent joliment dans une atmosphère douce et éthérée.
Changement radical de registre sur la Grand Scène, qui se voit légèrement agrandie pour avoir les moyens d'accueillir le rock musclé et déjanté de
Shaka Ponk. Devant un décors et une mise en scène teen-futuriste bossée jusque dans les costumes, les énergumènes Frah et la sulfureuse Samaha Sam, sans oublier Goz, le singe virtuel, sont de vraies bêtes de scène – au sens propre et figuré – et mettent la Citadelle sur le dos, le temps d'un spectacle tout en superlatifs où heavy, punk, électro et pop se mélangent dans le joyeux capharnaüm de leur répertoire. Pour la setlist, elle s'étend de leurs titres les plus récents –
Black Listed, Yell – aux plus chroniques –
I'm Picky - jusqu'à une reprise improbable du
Morir Cantando de Dalida, hurlée à la lune pour clore cette première journée.