Samedi matin. Le soleil commence juste à taper sur les toiles de tentes qu'un grand nombre de festivaliers stagne déjà dans les starting blocks, depuis une grosse poignée d'heures avant l'ouverture des portes, voire depuis l'aube pour les premiers arrivés. L'effet se produit généralement quand la tête d'affiche du jour prend la forme de mastodontes du rock. Fans hardcore ou simples afficionados de bons gros shows qui envoient, tous savent qu'ils y trouveront leur compte. Alors autant être le mieux placé possible pour en profiter comme il se doit.

Après une course poursuite sans merci, battant les pavés irréguliers de la Citadelle sous la chaleur écrasante pour attraper le morceau de barrière tant brigué, le rafraichissement advient sur la Main Stage avec quatre garçons de Liverpool venus brumiser une flopée de pop juvénile mais éternelle. Affublés de l'uniforme de rigueur : t-shirt trop grand, jeans slims et ray-bans sur le nez, les minots de
Circa Waves renvoient gentiment à des références adulées par les jeunes générations, comme les Kooks ou Two Door Cinema Club, avec un enthousiasme reçu par une assemblée, semble t-il, pas encore bien réveillée, s'appliquant à montrer son allégresse sans en réclamer d'avantage.

L'Écosse est de retour, cette fois dans une formation aux accents plutôt énervés, surmontée d'un lyrisme emprunté à leurs comparses de Biffy Clyro. Twin Atlantic, en plus d'une traversée outre-Manche (le nom est trompeur), c'est une fresque dessinée à travers des morceaux aux hymnes chaleureux, clairement taillés pour le live, où les basses lourdes prennent tout à coup leur envol et les refrains sont repris en chœur. Chanteur lead charismatique et au cœur brave, Sam McTrusty mène un rock rugueux et fauve, le t-shirt maculé de son propre sang après s'être entaillé le doigt avec une corde dans un fougueux lancé de guitare. Des peintures de guerre sur le visage pour compléter le tableau ?

Côté Green Room, la tonalité des cris de foule monte d'un cran dans les aigus. La cause ? La frimousse du chapeauté romantique
James Bay entre en scène, guitare à l'épaule, pour une virée fantastique entre pop utopiste et folk des lointaines contrées américaines, qui sentent la poussière et le tabac à chiquer. Cheveux au vent, il lui suffit de laisser agir le charme de sa voix puissante et sa dextérité à la guitare pour mettre les demoiselles au tapis.

Sur la Grande Scène, les Lillois de
Skip The Use entament un retour aux sources dans leur chère contrée du Nord. Et effectivement, ils font comme chez eux ! Mat Bastard (créature farfelue à l'apparence d'un chanteur de rock black hyperactif) pour ne pas soustraire aux habitudes, a le diable au corps et embarque son public dans les tréfonds infernaux de sa musique underground. Adepte des jeux dangereux pour la foule, dont il admet lui même qu'il n'est pas certain que tout le monde en sortira vivant, il se décrète instigateur de déplacements en masse et pogos endiablés pour accompagner les tubes comme
Ghost ou
Nameless World. Contestataires dans l'attitude comme dans le propos, les Ch'tis du punk à la française ne se privent pas de dénoncer, toujours avec humour, le rendement à faire de la musique commerciale pour être invité en festival. Moins subtile mais efficace, les gamins tapageurs quittent la scène en faisant scander le public : « La jeunesse emmerde le front national ». Fin de citation.

Neuf ans après leur première ovation au Main Square, c'est enfin l'heure tant attendue du grand retour du plus célèbre trio originaire de Teignmouth dans le Devon, petite ville côtière de 15 000 habitant dans le sud-ouest de l'Angleterre, mais cela n'a pas grand intérêt. On ne présente plus
Muse. On ne présente plus leur génie. On ne présente plus leur capacité à produire des shows de stades, incontestables héritiers des Pink Floyd dans le domaine, qui inspirent tous les superlatifs possibles (un robot de plus de 5 mètres de hauteur sur scène, quoi de plus naturel ?). On ne présente plus le flegme incroyable du chanteur Matthew Bellamy lorsqu'il fait démonstration de son amplitude vocale tout en tirant de sa guitare quelques riffs déjà historiques. Leur septième album,
Drones, ne se présente déjà plus et pourtant, c'est
Psycho et son « Drill Sergeant » qui lancent le premier uppercut. Les silhouettes de Matt, Chris et Dom, comme ils sont communément appelés (ainsi que le mystérieux claviériste, présent sur les tournées), se détachent des puissants faisceaux de lumière. Deuxième crochet avec
Supermassive Black Hole qui propulse l'audience vers les grands succès du groupe :
Plug In Baby et sa suite de notes étourdissante,
Apocalypse Please, joué sur un piano à queue translucide,
Time Is Running Out et son refrain à faire surchauffer les cordes vocales. Une setlist au rythme implacable et sans répits, qui s'achève sur la chevauchée homérique de
Knights Of Cydonia, accompagnée des notes à l'harmonica signées Ennio Morricone, qui résonnent dans la Citadelle. Ils ne sont que trois « mais on croirait qu'ils sont mille ». Que peut-il advenir après ça ?

Un début de piste sur la Green Room avec une panthère zébrée fun et provocatrice. A mi-chemin ente Lily Allen et Katy Perry, l'anglaise Charlotte Emma Aitchinson, aka
Charli XCX, sert une pop électro enrobée d'un spectacle pas vraiment sage mais sur le ton du glamour loufoque.
A côté, le DJ Nantais Madeon, tout juste âgé de vingt-et-un ans mais un visage d'enfant, taquine les platines et envoute l'assistance, avec un talent pour les mix franchement insolent. Son album entier, entrecoupé de ses premières créations qui l'ont fait connaître ou de ses participations avec les plus grands (Colplay, Lady Gaga...), reçoit un accueil phénoménal et achève de remplir d'images oniriques les rétines des festivaliers qui peuvent se rendre, fourbus mais extasiés, vers leurs tentes pour mieux remettre le couvert dimanche !