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Pitchfork Music Festival

Paris, du 29 au 31 octobre 2015

Live-report rédigé par François Freundlich le 5 novembre 2015

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vendredi 30
Après une première soirée réussie, nous repartons pour ce vendredi au Pitchfork Music Festival à Paris, proposant une grande variété dans les styles musicaux, entre soul vintage, rock agité, hip-hop déstructuré ou électro illuminée. L'attraction du soir est bien entendu la présence de Thom Yorke, chanteur de Radiohead, qui remplace avec son projet solo l'islandaise Björk qui avait annulé toutes ses dates de concert du jour au lendemain.

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Le début de soirée est consacré aux nouveaux groupes en découverte avec en ouverture le londonien Dornik, ancien batteur de Jessie Ware qui propose son projet solo très remarqué ces derniers temps avec un premier album réussi. Son set nous replonge dans la soul pop des années 80 avec ce coté funky inspiré par Prince et appelant au déhanché. Cette voix aigüe et glissante est également très inspirée par Michael Jackson. Avec quelques nappes de synthés bien placés, ses compositions énergiques s'incrustent en tête, à l'image de Strong qu'il n'hésitera pas à faire scander par un public réceptif. Dornik reste néanmoins dans une prestation introvertie, on aurait espéré une dose de folie supplémentaire pour faire basculer ce concert au delà de sentiers balisés un peu trop référencés.

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Place au gros hip-hop qui tâche avec le rappeur d'Atlanta Rome Fortune, accompagné par le producteur CEEJ et mélangeant ses textes à des emballement électro-dubstep alignant les effets de basses géantes. La courte prestation aura plutôt tendance à faire fuir les festivaliers : peut-être qu'une telle violence sonore était peu appropriée à un horaire prématuré. Nous n'en avons pas retenu grand chose à part des sonorités caricaturales mais bien dans l'air du temps.

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Pour se sortir de la torpeur, il fallait bien le groupe d'électro-noise HEALTH qui va littéralement embraser la Grande Halle de la Villette avec ses sonorités industrielles et saccadées. Les beats épileptiques répondent aux guitares saturées tandis que le bassiste se livre à un headbanging tournoyant, exposant sa longue chevelure et nous donnant presque le mal de mer en l'observant. Nous n'observons d'ailleurs pas grand chose d'autre étant donné le lightshow sombre et bleuté. La voix tremblotante de Jake Duzsik reste pourtant curieusement sereine face à ces déflagrations de basses imbibées, apportant une esquisse pop à peine palpable. Nos oreilles sont mises à rude épreuve avec ces harmonies métalliques grinçantes, terrifiante et orageuses. La fureur se dégageant des Californiens est totale même si la rythmique se calme fortement dans une deuxième partie du show recollant avec une new-wave mélancolique comme sur Dark Enough. On pense à une fusion de The Notwist avec Einstürzende Neubauten et on trouve cela clairement extatique et diablement bien maîtrisé. HEALTH yes.

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Le calme après la tempête prend le nom de Rhye, duo secret composé du Canadien à la voix cristalline Michael Milosh et de l'instrumentiste Danois Robin Hannibal, ayant tardivement révélé leurs identités respectives après avoir posté au compte-goutte quelques titres en ligne. Ils sont accompagnés d'un groupe complet dont une section à cordes pour des compositions langoureuses de déliés de violons ou de pincements de cordes à contre temps comme sur l'énigmatique 3 Days qui connaît une adaptation live à l'opposée de sa version studio électro-pop. Le rythme est ralenti, presque inexistant, la voix s'évade dans des échos lunaires et des instrumentaux en slow motion nous magnétisent l'esprit. Ce dernier est focalisé sur cette voix androgyne en contralto qui semble s'envoler en permanence à l'avant d'arrangements down-tempo méticuleux touchant au sublime. On a d'abord eu peur de voir débarquer devant nous un énième ersatz de James Blake. Il en ressort une complexité musicale allant bien au-delà, puisque les longs instrumentaux prendront des tournures déstructurées et nerveuse lorsque les cordes du violoncelle sont mises à rudes épreuve et que le batteur accélère lentement le rythme jusqu'à un paroxysme à tendance noisy. Ce concert de Rhye fût une expérience particulière, changeant constamment d'orientation entre pop, R'n'B, électro et expérimental. De quoi nous mettre sur les bons rails pour la suite.

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Le meilleur est à venir avec deux groupes qui vont faire suinter le rock sur le Pitchfork Music Festival, à commencer par l'américain Kurt Vile & The Violators, caché comme à son habitude derrière sa longue chevelure bouclée et son attitude désinvolte. Il manquait certainement un terrain plus connu depuis le début de soirée et Kurt Vile comble ce vide avec ses compositions décontracté aux accents psych-folk, la voix délurée prolongée d'une reverb aussitôt rejointe par la saturation de ses solos de guitare. Il se saisira même d'un banjo sur I'm An Outlaw, pour une version bluegrass soutenue par un orgue dérivant pour cet extrait de son dernier album, l'un des meilleurs moments de cette soirée. Voilà qui a réussi à nous détendre pour nous laisser planer sur ses géniales compositions, juste milieu entre une coolitude décomplexée sans limite et un certain classicisme à la Bruce Springsteen. Cette influence ressort davantage sur Wakin On A Pretty Day où Kurt Vile se saisit de sa guitare acoustique pour nous coller un sourire jusqu'au oreilles, nous laissant imaginer un toit ouvrant sur la Grande Halle qui laisserait apparaître un soleil californien. Kurt Vile ou la bouffée d'air frais nécessaire à tout festival réussi.

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La fin de soirée furieuse débute avec le trio fou des New-Yorkais de Battles qui va nous faire perdre le contrôle de notre corps, se mettant à convulser comme un pantin articulé dont le groupe tiendrait les ficelles. Le batteur à la cymbale placée à deux mètres de haut se déchaine comme un beau diable sur un math-rock saccadé et azimuté qui ne cherche qu'à sortir d'un carcan vers un chemin perpétuellement expérimental. Ian Williams manie sa guitare comme lui seul sait le faire pour en sortir des mirages sonores hyper-dansants, dès l'introduction sur l'excellente Ice Cream et ses relents dancefloor. La surprise ne s'arrête jamais, les changements de rythmes et d'orientations sont légion d'autant plus que les Battles enchainent les morceaux sans temps morts, laissant nos genoux dans un état peu enviable.
Parfois instrumental, parfois accompagné de voix enregistrées d'un des nombreux chanteurs participant à leurs disques, on oublie toujours à quel point un concert de Battles est unique. La cohésion au sein du triangle est parfaite, les musiciens se donnant corps et âmes jusqu'à se transformer en gourous frénétiques pour public galvanisé qui n'en croit pas ses yeux et ses articulations. Le show ne fait que monter en puissance jusqu'à ce titre cinglé qu'est Atlas et ses chœurs féminins en transe. On ne peut que répéter ces « Singer is a crook, oh hey oh » jusqu'au bout de ce concert dantesque. Les Battles nous ont fait notre soirée à eux tous seuls.

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Ça commence à se resserrer sévèrement du coté de la grande scène ou les fans au t-shirt Radiohead patientent au premier rang depuis qu'ils ont couru le plus vite possible dès l'ouverture des portes, pour attendre leur idole pendant cinq heures (et accessoirement manquer le meilleur concert). Thom Yorke apparaît finalement à l'avant d'écrans géants qui vont disperser des jeux de lumières parfois impressionnants, parfois tenant davantage de l'économiseur d'écran, programmés en live par le V-Jay Tarik Barri. Il est accompagné de Nigel Godrich, les trois hommes s'escrimant derrières leurs laptops respectifs. Thom Yorke a cédé à la mode du Man Bun même s'il le perdra au début du concert pour laisser s'échapper une longue crinière rousse, juste après avoir débuté ses premières intonations vocales sur The Clock, extrait de son premier album solo The Eraser.
La voix est toujours à son sommet, pénétrante et puissante, n'ayant rien perdu de sa superbe. Comme prévu, le set est intégralement électronique : pas d'alarmes et pas de surprises. Thom se saisit rarement de sa guitare comme sur Black Swan, mais n'en fait pas un usage abusif. Avant ce titre, il piquera même une colère, les jeux de lumières ne lui convenant pas. Il nous gratifiera évidemment de ses danses épileptiques si singulières, en égrenant une majorité d'extraits de son dernier album solo Tomorrow's Modern Boxes, mais également deux titres de son super-groupe Atoms For Peace ainsi qu'une salve de nouveaux titres peu réjouissants. Les effets vidéos ont beau être saisissants et Thom Yorke a beau s'agiter, l'ennui nous gagne et on ne trouve ici rien de vraiment convaincant, même en ayant passé toute son adolescence à écouter Radiohead et en considérant Kid A comme son album culte. On en vient, sur un moment d'égarement, à se demander si tout ce monde ne serait là davantage pour voir Thom Yorke que pour une musique parfois soporifique. Présents uniquement parce qu'il s'agit de l'idole de jeunesse de toutes les personnes se tenant à nos cotés, comme de la nôtre... mais se pourrait-il qu'on ait tué le veau d'or ce soir ? Possible. En tout cas jusqu'au prochain live de The National Anthem. On se réveillera tout de même sur une excellente version de Cymbal Rush, mélancolique à souhait lorsque la voix se perd dans un angélisme déviant vers une limpidité extrême. Malgré tout, le sentiment est mitigé et notre excitation pré-concert a quelque peu fait pschhit, un peu comme un Man Bun mal ajusté.

Le DJ Four Tet, présent à quasi toutes les éditions du festival, est chargé de terminer la soirée avec son électro minimale au charme parfois lyrique, faisant danser les derniers courageux jusqu'à l'heure du dernier métro. Cette journée très éclectique se termine, nous retiendrons de géniales prestations de Battles et de Kurt Vile qui ont su nous faire planer et nous faire oublier la semi-déception Thom Yorke. Sad but true.

Crédit photos : Vincent Arbelet
artistes
    Battles
    Dornik
    Four Tet
    HEALTH
    Kurt Vile & The Violators
    Rhye
    Rome Fortune
    Thom Yorke