Pour cette troisième et dernière journée de l'édition 2018 du festival, le public semble enfin avoir répondu présent, en atteste un domaine national de Saint-Cloud nettement plus rempli que ces dernières quarante-huit heures. A l'évidence, les venues des artistes plus populaires et mainstream que sont Justice, Macklemore ou Post Malone ont produit l'effet attendu par les organisateurs.
Si la foule est plus nombreuse, l'entame de la journée n'en reste pas moins des plus sages sur la Grande Scène avec le prometteur
Ady Suleiman. Microphone en main et accompagné par trois musiciens, celui que beaucoup considèrent comme l'un des talents les plus sûrs de scène soul actuelle lance les festivités avec une décontraction certaine. Si ses compositions ne se démarquent guère par une quelconque originalité, sa voix douce et chaleureuse incite au voyage et à la détente les festivaliers majoritairement assis ou couchés dans l'herbe.
Il faut ainsi se rendre à quelques centaines de mètres de là, sur la Scène de la Cascade, pour ressentir les premières vibrations du jour au son des coups de butoir du jeune quatuor américain
The Regrettes. Si l'on préfère faire abstraction du gigantesque logo installé au fond de la scène, d'un goût quelque peu douteux, l'énergie déployée par la frange féminine du groupe, notamment la très dynamique Lydia Night à la guitare et au chant, leur permet de rapidement s'attirer les faveurs de l'audience. Là encore, leur musique oscillant de la pop au surf rock en passant par des embardées orientées garage n'est pas des plus originales, mais l'efficacité des compositions et les sourires affichés tout au long de leur set effacent les doutes quant à la sincérité de leur démarche. Le public se s'y trompe pas, les curieux s'amassant en plus grand nombre au fil d'un set sans temps morts et taillé pour faire grimper l'ambiance en ce milieu d'après-midi.
De retour sur la Grande Scène, l'heure est à la fête avec la venue de
Confidence Man. La surprise est de mise durant les premières minutes, seuls les deux musiciens de la formation, visages voilés, se voyant en charge de lancer le set à la batterie et aux claviers. Il faut ainsi attendre le second titre pour voir apparaître sur scène les deux voix du quator, Janet Planet et Sugar Bones, légèrement vêtus et aux allures de gravures de mode. Multipliant les chorégraphies et danses ne laissant que peu de place à la spontanéité et l’improvisation, ces derniers posent ainsi leur chant sur des compositions de pop synthétique putassières et efficaces, pour peu que l'on parvienne à apprécier un exercice de style à appréhender au second degré. Une dizaine de titres plus tard, pour la plupart tirés de l'album
Confident Music For Confident People paru au printemps dernier, si le spectacle visuel a été au rendez-vous, leur musique est malgré tout aussi rapidement oubliée qu'elle s'était immiscée dans les esprits un peu plus tôt.
Une heure plus tard, sur cette même scène, l'heure est aux retrouvailles avec le public parisien pour
Wolf Alice, quelques semaines après une apparition lors du Download Festival. Alors que leur succès et leur popularité leur confèrent un statut tout autre lors de chaque apparition outre-Manche, c'est un rôle d'outsiders que tiennent aujourd'hui les quatre anglais. Durant près de soixante minutes, menés par une Ellie Rowsell ne ménageant pas ses efforts titre après titre et poussant sa voix sans ses retranchements, Wolf Alice font parler leur énergie en mêlant titres extraits à part égale de leurs deux albums
My Love Is Cool et
Visions Of A Life. Le public, quant à lui, s'il s'avère nombreux en cette fin d'après-midi, ne semble guère convaincu par le jeune quatuor dont les efforts resteront le plus souvent vain en dépit d'évidentes aptitudes dans les conditions du live. On retiendra au final un répertoire comptant d'ores et déjà de nombreux titres de qualité, à commencer par évidents hymnes
Moaning Lisa Smile, Giant Peach ou
You're A Germ en passant par un
Don't Delete The Kisses aux sonorités plus électroniques ou un
Visions Of A Live puissant et faisant la part-belle aux structures instrumentales progressives.
La Scène de la Cascade est alors en passe d'accueillir l'un des temps forts annoncés de cette édition 2018 de Rock en Seine avec
IDLES, dont le succès critique et populaire ne cesse de croître exponentiellement depuis près de deux années désormais. Si
Brutalism, leur premier disque, leur avait ouvert de nouvelles perspectives à un moment où personne ne semblait les attendre, leur retour à Paris pour présenter le très attendu
Joy As An Act of Resistance s'accompagne d'attente élevées de la part des férus de punk. Sur scène, IDLES est une machine à l'énergie dévastatrice, menée par un Joe Talbot loquace et expressif, attentionné vers son public, mais aussi et surtout accompagné par un groupe de talent.
La section rythmique que composent Adam Devonshire et Jon Beavis est aussi discrète qu'efficace et puissante, alors que les deux guitaristes Mark Bowen et Lee Kiernan assurent à eux seuls le spectacle, s'autorisant slams dans la foule quand ils ne se démènent pas sans compter instrument à la main. Si une frange du public, essentiellement composée de curieux, préférera migrer progressivement vers d'autres cieux face à ce chaos maîtrisé, les aficionados ne boudent pas leur plaisir et portant leurs héros du jour aux cieux.
Les discours emplis de sagesse du leader groupe sont applaudis, à commencer par l'introduction du fameux
Danny Nedelko à la gloire de l'immigration et des réfugiés, alors que le détonnant
Samaritans et le très personnel
Love Song sonnent déjà comme des classiques. Après un set mené à un rythme frénétique, une reprise improvisée a capella du
All I Want For Christmas de Mariah Carey précède un furieux
Rottweiler, bouclé dans un déluge de décibels, durant lequel Joe Talbot aura arpenté la scène avec un enfant accroché à ses épaules. Intelligence et puissance, mots d'ordre de ces punks d'un nouveau genre.
Difficile de reprendre ses esprits après la démonstration assénée par la formation anglaise. Sur la scène du Bosquet, alors que le soleil laisse une dernière fois sa place, le duo
BICEP parvient malgré tout à faire danser les amateurs de musique électronique en dépit d'une scénographie minimaliste. Les succès populaires du jour seront à mettre au crédit de
Post Malone et
Justice, machines à divertir et pour lesquels une importante frange du public ont visiblement fait le déplacement en cette dernière journée.
Avec quelques 90 000 spectateurs annoncés, le festival Rock en Seine a certes subi le coup d'arrêt populaire et financier annoncé, mais reste encore une valeur sûre du paysage français. Avec une ouverture assumée vers de nouveaux horizons musicaux, peut-être faudra-t-il simplement à l'avenir que l'événement parisien parvienne à trouver un meilleur équilibre entre les éléments ayant fait sa gloire et ce renouvellement annoncé.