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Block Party

Paris, du 30 mai au 1er juin 2024

Live-report rédigé par Adonis Didier le 10 juin 2024

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vendredi 31
Deuxième jour de Block Party, les oreilles sifflent, les genoux couinent, mais par respect pour nous-mêmes et pour le fait qu'on n'a même pas trente ans, on va continuer et arrêter de se plaindre. Continuer quoi ? La Block Party ! Continuer quand ? Eh bien tout de suite, ou du moins une fois les parents des membres de She's In Parties arrivés dans la salle. Pour les explications concernant la Block Party, les trente groupes sur trois jours dans quatre salles blablabla, je vous renvoie à notre compte-rendu du premier jour car le temps presse, et She's In Parties au Supersonic ça n'attend pas, sauf ses parents.


Connaissant uniquement du groupe la chanson Cherish, on s'attendait à entendre du shoegaze assez classique et à passer les trois-quarts du concert les yeux mi-clos à comater après la semaine de boulot, et si je commence ce paragraphe par « on s'attendait à », vous vous doutez qu'il y a eu rebondissement. Des rebondissements au pluriel même, car She's In Parties nouvelle mouture, à l'image du dernier single Puppet Show, sont plus proches d'un mélange entre le dream rock de NewDad et le disco d'ABBA que d'une énième repompe des années 90. A l'image de la permanente frisée rousse de leur chanteuse Katie Dillon, dans une vibe plus Bonnie Tyler qu'Elizabeth Fraser, le groupe apparaît en live joyeux et dansant, porté sur les boules à facettes et la teuf', rappelant avec nostalgie et un petit sourire en coin ce 17 janvier où on a préféré aller voir Soda Blonde que Slowdive. Visiblement aussi bien accueillis en France qu'ils nous accueillent dans leur musique, Katie Dillon prendra deux minutes de son temps pour remercier l'hospitalité parisienne, soulignant qu'on lui a déjà offert bien plus de bières qu'en Angleterre, et ce alors qu'il n'est même pas vingt heures, détail qui ne choquera pas les origines irlandaises de la resplendissante chanteuse.


Comme la vie est bien faite, on passe d'une resplendissante chanteuse à une autre, anglaise cette fois-ci, alors que Better Joy montent à vingt heures passées sur la scène du Supersonic Records. Bria Keely, mancunienne de son état arborant un t-shirt Oasis période « Don't Believe The Truth » pour compléter le tableau, chanteuse-guitariste et compositrice d'un groupe de beaux gosses jouant de la pop-rock solaire, rêveuse, et adolescente. Une photographie terriblement cliché et tout aussi efficace qui nous emmène à kiffer la vie pendant les sept chansons que durera le concert, concert conclu par l'excellente Dead Plants, et ce malgré le fait que la chanson ne parle absolument pas de comment garder ses orchidées en vie. En bref, Better Joy c'est cool, et même si ça ne changera rien à la big picture du rock mancunien, voilà qui nous aura mis un beau coup de baume au cœur pour la journée.


Un rayon de soleil musical qui ne sera pas de trop pour se diriger jusqu'au Guru voir une bande de lads en manque de vitamine D. Le soleil, apparition aussi fréquente à Leeds que la comète Halley, dont on ne retrouve nulle trace dans le post-punk agressif et nihiliste de The 113, à ne pas mélanger avec le 113, car le 113 c'est les tontons du bled. De Vitry-sur-Seine à Leeds, il n'y a bien que le nom qui reste le même, alors que hurlent déjà les sirènes d'un post-punk enlevé remettant un peu de gaz dans un genre en perte de vitesse et d'inventivité. Sauf que, comme la dernière fois au Supersonic, l'épreuve du live va encore une fois être... bizarre. D'une part, la configuration du Guru dont tout l'étage est réservé pour une autre soirée privée, obligeant tout le monde à se tasser en bas, dans un espace tout en longueur laissant cinq personnes de front à chaque rang, dans une détestable imitation du POPUP! (les parisiens comprendront). Ceux qui voudraient être tranquille à regarder dans leur bulle vivent leur meilleur moment d'agoraphobie, ceux qui voudraient pogoter hésitent à mettre des coups d'épaule à des gens qui n'ont rien demandé, et tout le monde regarde finalement défiler d'excellentes chansons et un groupe ultra énergique se débattre en vain, et vivre le moment dans son monde quand le concert aurait requis d‘aller chercher le public. The 113, le meilleur groupe de post-punk pour les amoureux du casque sur les oreilles, mais qui sait, peut-être que la troisième fois sera la bonne, si troisième fois il y a.


Comme des retrouvailles n'arrivent jamais seules, le prochain groupe est aussi un déjà-vu du Supersonic : Dim Imagery, l'imagerie du caleçon agrémentée de la dégaine de beauf du Palmashow de leur chanteur Matt Bond. Bond, Matt Bond, déclamant et hurlant dans la moiteur de la désormais trop connue cave de la Seine Café, profitant tout ce qu'il peut des quelques mètres carrés de plein pied qui lui sont laissés pour animer sa grand-messe post-punk. Le son est meilleur qu'hier, c'est déjà ça, mais la visibilité restera par contre elle l'apanage des dix premières personnes rentrées dans la salle, alors on fera avec les flashs de concert chopés au Kodak jetable sur la pointe des pieds pour se dire que c'était bien, et on réécoutera en boucle You're Doing So Well et Fishing In An Empty Stream en espérant, pour la deuxième fois de la soirée, revoir une troisième fois le groupe dans des conditions qui nous permettront de le juger avec un peu de conviction.


Mais trêve de regrets, le temps n'est plus à ressasser les choses passées quand une marche de deux minutes équivaut à un vol de vingt-trois heures jusqu'à Melbourne, pays des kangourous. L'australienne ENOLA investit avec son groupe le Supersonic Club, il est 21h10, le soleil rosit à l'horizon, et la Patricia Kaas du dream rock s'apprête à montrer à la ville de Paris et à tous les anglais qui s'y sont réunis qui est le vrai futur du genre. Blouson de cuir et coupe courte péroxydée pour distribuer la partie haute des riffs d'autoroute désertique, la chaleur du bitume distord l'air, l'horizon ondule et déverse des millions de litres d'eau salée dans les yeux du touriste de passage. Une vague de vapeur iodée que l'on prend de plein fouet : Looking Back, non, jamais, on ne fera que foncer en avant, l'espoir enchaîné au cœur que la route est sans fin et que nous ne sentirons pas la falaise. Une route furieuse menant jusqu'à l'irréelle Metal Body, débauche de puissance Mad Max-ienne enfermée dans la psyché torturée de David Lynch, ou le meilleur film que vous n'avez jamais vu et que vous ne verrez jamais, sauf à bouger votre popotin et vos oreilles jusqu'à un concert d'ENOLA. Une occasion à ne pas rater quand elle se présente, menant à une autre occasion que l'on attendait depuis maintenant deux ans.


For Breakfast sont enfin de passage à Paris, il est donc l'heure de ressortir nos meilleures vannes sur les petits déjeuners anglais, et de rappeler que le croissant est supérieur de loin aux fayots à la tomate. Mais comme souvent dans cette vieille querelle franco-anglaise, si on les fume grave en cuisine, les britons nous mettent une belle avance dès qu'on parle musique, et For Breakfast ne font pas exception. L'un des meilleurs EPs de l'année 2022 avec Trapped In The Big Room (ma toute première chronique de disque dans ces colonnes, et c'était déjà n'importe quoi), un mélange proprement incroyable de post-rock, de jazz, de musique tribale, de voix utilisées comme des instruments, d'instruments utilisés comme des voix, et une seule question en tête : bordel, vous venez quand à Paris !? Une question pas si vite répondue qui aura attendu pile deux ans pour trouver un épilogue, et le Supersonic Records, pour un résultat à la hauteur de notre attente. Piégés à six sur la petite scène, batterie, guitares, basse, saxophone, clavier et la somptueuse voix de Maya Harrison, offrant une prestation musicale qui se regarde comme elle s'écoute : paupières closes, oreilles et imagination grandes ouvertes. Oubliez le monde tel qu'il est, et laissez-vous porter sur des nuages montant jusqu'à la lune, d'un souffle vous tombez, plongez dans l'océan, ce qui était un nuage est un banc de poissons argentés recréant la lumière dans les profondeurs abyssales qui vous emportent. Le saxophone gronde, vous vous réveillez en sursaut, mais était-ce un rêve ? Et maintenant ? Une voix perce le rêve, traçant un long chemin fait de boucles et autres brillantes circonvolutions jusqu'à la réalité. Les yeux ouverts, tout est déjà fini, trop vite, laissant dans votre esprit la marque d'un groupe à la fois doux et tranquille, capable d'un coup d'un seul de se transformer en tempêtueux ouragan d'instruments, soufflant dans une seule et même direction, la vôtre. Un constat qui n'aura pas échappé à un public déjà conquis, ovationnant le groupe dès la dernière note, réclamant déjà plus de chansons. Le fait est qu'il n'y a pas encore plus de chansons, mais tranquillisez-vous, on est gentiment allé râler qu'on avait besoin de matériel pour s'emballer dans des chroniques lunaires que personne n'ira essayer de comprendre, donc avec un peu de chance, pourquoi ne pas retrouver For Breakfast en 2025, et en attendant, on va continuer à saouler les voisins en passant Nervous Boundaries à fond.


Sans transition, parce que les groupes anglais c'est fini pour ce soir, Sound of Commonwealth vous présente Ducks Ltd. au Guru Club. Une bande de Toronto avec le style de thésards en physique qui joue de la pop-rock universitaire cool, fun, et mélodique, ou comment bien profiter et poser son cerveau une petite demi-heure en sautant dans la foule. Le public aime, une donnée commune à tous les concerts de cette fin de journée, alors que les néerlandais de Marathon foutent le dawa dans la Seine Café, et que l'on se presse au Supersonic Club pour terminer la nuit avec Death Lens.


Des californiens, si on en doutait, qui débarquent sur scène avec les traditionnels baggies, casquettes, et têtes de homies west coast, pour mettre le brin sans se poser de questions. Le punk est gorgé de soleil et de métal, c'est sautillant juste ce qu'il faut et bourrin à souhait, le club entre en éruption dès la première chanson, tout le monde se pousse, tout le monde se met des coups en douce, et tout le monde finira à la douche, avec des bleus de préférence. Du Turnstile plus californien, moins fantasque, pour conclure en sueur un second jour à la tonalité différente du premier : moins surprenant et plus rentre-dedans, il fallait savoir s'amuser et ouvrir ses horizons pour apprécier pleinement cette nouvelle journée de Block Party au Supersonic.

Vous l'aurez compris à la longueur des paragraphes, on retiendra surtout ENOLA, For Breakfast, et dans une moindre mesure She's In Parties, et on verra pour la potentielle troisième tentative avec The 113 et Dim Imagery. Pour le reste, comme le disait si justement Platon : « poussez-les tous, la fosse reconnaîtra les siens ».
artistes
    Better Joy
    Death Lens
    Dim Imagery
    Ducks LTD
    Enola
    Marathon
    She's In Parties
    For Breakfast
    The 113
photos du festival