Toujours à la recherche de nouveautés, après une vingtaine de soirées There Gonna Be Big, le Supersonic à Paris lance le format festival de son événement récurrent dédié aux groupes émergents qui jouent souvent pour la première fois en France et n'ont pour la plupart pas sorti d'album. C'est donc parti pour trois jours de découvertes, avec pour chaque affiche sept groupes répartis en trois salles : le Supersonic, le Supersonic Records et la Seine Café, une petite cave où le public et les musiciens sont au même niveau.

On entame avec
MUCK., un quatuor guitare-basse-batterie-chant qui nous livre un post-punk pas si classique qu'il n'y paraît en ayant la bonne idée d'y ajouter un dose de garage pour la guitare sursaturée, une dose de funk pour la basse très inspirée, voire de hip-hop pour le flow. Ils n'ont pour l'instant sorti qu'un EP, mais ont également quelques nouvelles chansons assez prometteuses, comme
Yorkshireman in London dans une ambiance de film d'horreur, il n'est pas sûr que les habitants de Leeds apprécient la capitale.
C'est leur premier passage parisien, mais à la fin de la tournée, le groupe est aussi chaud qu'épuisé. L'ambiance s'installe petit à petit, à chaque titre le chanteur retire un vêtement, veste, chemise, débardeur... Heureusement, une fois torse nu, l'effeuillage s'arrête là. Côté musique, la partie la plus intéressante est le jeu de la section rythmique avec une basse funky et un très bon groove de la batterie.
Are they gonna be big ? Si leur musique est plus riche qu'il n'y paraît à prime abord, il leur manque encore quelques morceaux hyper accrocheurs.

Direction le Supersonic Records pour
Hongza. A cinq, le groupe mené par Sam Hong est un peu à l'étroit sur la petite scène du Records. Et il faut aussi trouver la place pour les pédaliers XL des deux guitaristes et un ordinateur portable. Malgré ce déballage d'effets, le son n'est pas très bon, ce qui est inhabituel pour ces soirées. Les cymbales écrasent les voix, et les mélodies qui s'échappent des guitares et du synthé ont un peu de mal à s'épanouir dans le fuzz ambiant.
Le shoegaze est un style plus difficile qu'il n'y paraît. Leur
troisième EP ne nous avait pas complètement convaincus, trop académique dans le genre shoegaze. Ils ne regardent pas leurs chaussures sur scène, mais ont encore besoin de développer leur style.
Are they gonna be big ? Le fuzz ambiant et les mélodies sont agréables, mais leur shoegaze doit encore affirmer sa personnalité.

Je dois partir en milieu de set si je veux avoir une chance de voir
Tulpa à la Seine café. Le quatuor de Leeds a une bonne maîtrise du son : armé de deux guitares, l'une sifflante et l'autre plus distordue, le spectre sonore est intéressant et laisse de la place pour la voix légère de la chanteuse.
Je leur trouve un petit air de Breeders, peut-être parce que la chanteuse est aussi bassiste et que leur post-punk a un joli parfum 90s entre les Pixies et Stereolab. Les refrains sont tellement lisibles qu'ils sont entraînants sans être catchy, c'est de la simplicité bien dosée. Et malgré des titres comme
Reverie et
Stargazer, ils sont moins contemplatifs qu'ils ne veulent le laisser penser, et ont une bonne présence scénique.
Are they gonna be big ? Il est trop tôt pour dire, avec juste un EP sorti en cassette, le groupe est encore vert et doit faire germer les mélodies qui affirmeront sa personnalité.

Retour au quartier général pour ce qui va être la première grosse découverte du festival,
PleasureInc.. Dès leur montée sur scène, on sait que le groupe cherche à se démarquer. Ils arborent des lunettes de soleil, et le chanteur porte une toque et une jupe longue. Dès les premières mesures ils envoient un rythme d'enfer porté par chaque musicien et se mélangeant en un groove imparable. Ça me rappelle les Clash qui découvraient le hip-hop, mais ici dans une version adoucie par les claviers sans pour autant perdre quoique ce soit en efficacité.
La claviériste porte un T-shirt « I fucking h8 clubbing », probablement parce qu'aucun club ne peut égaler l'ambiance qu'il met dans sa salle de bain quand il danse comme un dément devant le miroir. Il ne lâchera pas son large sourire communicatif de tout le set. La guitare est claire et funky, la voix disco, mais avec un supplément d'intensité. Le groupe prouve que l'on peut sérieusement faire la fête. Pour ce premier concert en France, ils sont très convaincants, et c'est avec plaisir que nous les reverrons en février.
Are they gonna be big ? Peut-être bien, The Raptures et Klaxons ont laissé un grand vide. PleasureInc. sont plein de promesses avec des chansons, un son, un look et une attitude parfaite.

Avec seulement deux titres disponibles en digital,
Ladylike est le groupe qui entretient le plus le mystère ce soir. Direction le Supersonic Records pour véritablement découvrir la musique de ce groupe dont les deux premiers essais sont déjà prometteurs. Après une longue introduction atmosphérique, les arpèges de guitares se font entendre, puis changent de rythme. Il se passe toujours quelque chose dans la musique de Ladylike. Le son devient plus mordant sur
Southbound, et le voyage démarre. Cette musique est une invitation à la rêverie, je me laisse porter et j'ai l'impression de voir les paysages défiler. Nous passons par
Rome, le guitariste affiche un chouette t-shirt Tintin au Vietnam. Je ne sais pas trop de quoi parle leur musique, mais une histoire est en train d'être contée.
Je suis partagé entre l'envie d'en voir le dénouement et d'aller voir Crackups. Comme je suis en mission ce soir, je les abandonne à contrecœur.
Are they gonna be big ? Dur à dire, et ça n'a rien à voir avec leur talent, mais plutôt avec l'exigence de leur musique. Il va falloir quelques titres qui accrochent et touchent la corde sensible pour se faire autant connaître que Bat For Lashes ou Radiohead. J'attends la suite.

Changement radical d'ambiance avec les belges de
Cracksup. La batterie envoie, le chanteur hurle, les guitares sont acérées, c'est très punk. Pour certains, l'histoire est un éternel recommencement. En matière de musique, les modes reviennent mais forcément selon la même chronologie. Dans ce festival il y aura plusieurs autres groupes de punk old school, ce qui laisse présager une vague punk, après celle du post-punk.
L'ambiance monte graduellement, toujours au bord du pogo, ce qui n'est pas évident dans la cave de la Seine café. Pour leur dernier morceau, le chanteur demande un wall of death, séparant le public en deux qui se regarde pendant l'intro et se fait face, je ne sais pas s'ils vont s'aimer ou se faire la guerre. Avec le style hardcore ce sera plutôt la guerre dans une ambiance bon enfant. Le chanteur réussira même à surfer sur la foule, chapeau !
Are they gonna be big ? Avec deux ou trois tubes (que je n'ai pas entendus ce soir) pourquoi ne pas égaler la renommée The Hives, The Vines ou IDLES, et mettre enfin la Belgique sur la carte du punk ?
Automotion, dernier groupe de la soirée, est le seul que j'ai déjà vu sur scène. C'était il y a un peu plus d'un an dans une soirée découverte au Windmill, le Supersonic de Brixton. J'avais apprécié leur gros son, mais trouvé les morceaux un peu trop répétitifs. Le son percute toujours autant, avec notamment des lignes de basses à cinq cordes très intéressantes. Le groupe semble toujours se chercher un peu, mais maintenant en alternant morceaux plus ou moins forts.
Je préfère ceux plus calmes qui permettent de rentrer en douceur dans leur rock urbain. Les guitares y sont plus mélodiques, laissant davantage de place à la basse. Peu de groupes maîtrisent l'art du break, Automotion le réussissent très bien pour casser une progression, déstabilisant l'auditeur juste ce qu'il faut pour être surprenant.
Pour finir son set en apothéose, le groupe balance tout ce qu'il a pour une sorte de rock psyché métal, quelque part entre Motorhead et The Music. C'est un peu comme s'ils voulaient tester l'excellente sono du Supersonic qui tient le coup mieux que mes oreilles.
Are they gonna be big ? J'ai bien aimé, mais le style est un peu niche pour devenir « big ». Il y a quelque chose à faire avec les morceaux plus lents pour relancer une vague gothique sans les aspects tocs.