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EOB

Interview publiée par Jordan Meynard le 28 avril 2020

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S'entretenir avec un membre de Radiohead, en l'occurrence Ed O'Brien, est toujours un événement. Charismatique, agréable et passionant, l'anglais ne laisse pas indifférent. Seulement quelques jours après la sortie de son premier album solo Earth sous l'acronyme EOB, le guitariste est revenu pour nous sur la longue gestation de son projet et de ses sonorités si particulières. Rencontre.

Ton premier album solo, Earth, sort cette année, mais je crois que son inspiration date d'un voyage au Brésil avec ta famille il y a déjà plusieurs années. Peux-tu nous en parler ?

Oui, tout a commencé en 2012 quand nous sommes partis vivre au Brésil pendant près de huit mois avec ma famille. C'est à ce moment-là que l'inspiration m'est venue, j'ai senti que je voulais écrire des choses. Je me suis mis réellement à composer lorsque nous sommes revenus en Grande-Bretagne en 2013. J'ai été très inspiré par ces deux endroits : le Brésil et le Pays de Galles où je suis actuellement.

Peux-tu nous raconter cette longue gestation ? J'imagine que travailler sur un album de Radiohead (A Moon Shaped Pool est sorti en 2016, ndlr) ne laisse pas de place à ses travaux personnels...

Exactement. En réalité, toutes les chansons de Earth étaient écrites et les démos prêtes entre les étés 2013 et 2014. J'aurais pu commencer l'enregistrement à ce moment-là, mais c'est aussi à cette même période qu'avec Radiohead nous avons commencé à enregistrer A Moon Shaped Pool. Il faut savoir qu'on part alors pour un cycle d'environ quatre ans : un an et demi d'enregistrement puis des tournées pendant au moins deux ans. Il m'était donc impossible de faire mes projets personnels en même temps.

Tu es le maître des effets atmosphériques et des textures électroniques dans Radiohead, pourtant tu fais aussi la part belle à la guitare et à la folk dans cet album. En témoigne le morceau Brasil, qui commence sur une chanson folk intimiste avant de se déployer sur un hymne dance/electro. Comment as-tu lié les deux univers ?

C'est assez naturel pour moi. Quand je compose, c'est toujours très imagé. Dans Brasil par exemple, pour la partie à la guitare acoustique je m'imaginais que c'était comme être assis dans un magnifique champ sur Terre, et pour la deuxième partie de la chanson, plus électro, c'est comme si on s'élevait dans l'espace : une expérience extracorporelle. Je n'ai jamais essayé, mais on m'a raconté que lorsqu'on prend du DMT (ndlr : drogue hallucinogène), c'est l'effet qu'on ressent, on s'élève au dessus de son corps. Mais pour moi musicalement c'est très naturel, presque normal d'avoir ces images en tête quand j'écris.

L'album est lumineux et chatoyant avec des accès de mélancolies, sans tomber dans les notes déprimantes d'un album solo de Thom Yorke. C'est ce que tu voulais, quelque chose de solaire ?

Solaire, c'est moi. Cet album me ressemble beaucoup, il est très autobiographique. Il y a de la mélancolie chez chacun d'entre nous, un peu comme la saudade portugaise, ce mot qui exprime la mélancolie mêlée à l'espoir. Pour moi c'est un mélange de chaleur, d'espoir ou d'amour. On traverse des temps difficiles en ce moment, c'est éprouvant pour beaucoup d'entre nous. Mais je préfère toujours regarder l'aspect positif des choses. Chaque soir à 20h en Grande Bretagne on applaudit le personnel soignant, vous avez cela en France également, n'est-ce pas ? Je trouve ça très symbolique et très beau, et je pense qu'il est important de se répéter que dans les ténèbres, il y a quand même de la lumière.

Justement, dans tes paroles tu abordes des thèmes actuels et personnels. Mais on sent que le disque se tourne plutôt vers l'amour avec beaucoup de poésie et d'espoir. Est-ce exact ?

Oui, l'espoir est essentiel, et pas seulement en ce moment, cela fait des années qu'on en a bien besoin. Quand on voit comment on traite notre planète, comment les gouvernements traitent les gens, comment les gens se traitent entre eux... Tout n'est que business. Il faut avoir de l'espoir, on a besoin d'espoir, sinon c'est du nihilisme et je n'aime pas ça. Mais l'humanité en temps de crise réagit généralement de manière très positive, on s'adapte vite, c'est rassurant.

On a parlé musique et paroles, qu'en est-il du chant ? Ta voix seconde celle de Thom Yorke dans Radiohead, est-ce que chanter était devenu nécessaire pour toi ?

Je ne voulais pas chanter au départ ! Je ne me considère pas comme le deuxième chanteur de Radiohead, en réalité la dernière fois que j'ai chanté sur un album c'était pour In Rainbows. Quand j'ai commencé, je n'avais aucune confiance en moi, je ne pensais pas que je pouvais y arriver. Mais l'ingénieur du son avec qui je travaillais, Ian Davenport, l'a encouragé. Ce n'est qu'au bout de quatre sessions avec lui que j'ai fini par entendre quelque chose qui me plaisait dans ma voix. C'était juste avant de repartir avec Radiohead, et j'ai réalisé que je pouvais le faire.

Si tu n'avais pas confiance en ta voix, avais-tu plus confiance en toi en tant que musicien en live ? Comment as-tu ressenti le fait d'être le boss sur scène ?

Parfois j'étais très mal à l'aise et parfois c'était comme une expérience extracorporelle... Mais j'ai ressenti quelque chose au fond de moi et je me suis dit: « Je suis au commencement de quelque chose, j'ai encore beaucoup de chemin à faire mais je sais que je suis là où je suis censé être ». Tout au fond de moi, je sentais que j'étais au bon endroit.

On parle d'un album solo, mais tu t'es entouré de pointures autant à la musique qu'à la production. Comment les as-tu choisies et quel a été leur apport ?

Pendant la démo de mon album, Daft Punk a sorti Random Access Memories. C'est un très bon album, et je m'intéresse toujours aux musiciens qui ont participé. Ici c'était Omar Hakim a la batterie et Nathan East à la basse, ce sont tous les deux des légendes ! Pendant que je travaillais sur ma démo, j'ai commencé à rêver « Waouh, imagine si Nathan et Omar jouaient dessus ! ». Au fil du temps je me suis retrouvé avec une liste de gens avec qui je voulais collaborer : Laura Marling, Glenn Kotche (batteur de Wilco), Adrian Utley (guitariste de Portishead), David Okumu, Nathan East, Omar Hakim... Et alors que j'étais en tournée avec Radiohead, je me suis dit « Ce serait vraiment dingue de jouer avec tous ces gens » donc j'ai commencé à les contacter. J'ai beaucoup de chance car j'ai eu l'occasion de jouer avec de grands musiciens grâce à Radiohead, et quand on joue avec des pointures, ça relève tout de suite le niveau !

Tu as en effet collaboré avec beaucoup d'artistes sur cet album mais il n'y a qu'un seul duo : celui avec Laura Marling. Pourquoi l'avoir choisie, était-ce un coup de coeur ?

Oui c'est une artiste incroyable et j'adore son travail. Finalement c'est quand j'ai chanté avec elle que j'ai été le plus stressé ! Mais quelle voix...

Quand tout reviendra à la normale, peut-on espérer te voir sur scène en France pour défendre ce nouvel album ?

J'espère du fond du coeur. Le calendrier de la tournée en fin d'année est déjà calé, et on a une date en France, mais tout dépend de comment évolue la situation actuelle... Mais j'espère que vous savez que pour Radiohead, la France est un pays cher à notre coeur, j'adore venir y jouer. On a joué à Montpellier, Lyon, Grenoble, Rennes... J'espère pouvoir refaire tout cela. Le public français sait apprécier l'art et la musique, c'est toujours un honneur de jouer chez vous.