logo SOV

Arab Strap

Interview publiée par Jean-Christophe Gé le 1er mars 2021

Bookmark and Share
Après seize ans à vivre la vie chacun de son côté, les personnalités des deux protagonistes d’Arab Strap se sont affirmées sans pour autant émousser la connexion qui existe entre les deux compères. Dès les premières secondes de cette interview en visio, cela saute aux yeux. Chacun me reçoit dans son élément : des étagères bien rangées et une décoration soignée avec même un poster de Human Don't Be Angry dans le fond pour Malcolm Middleton, et un bric-à-brac de piles de disques, de cartons, de livres et trois synthés pour Aidan Moffat.

Je suis très content de vous interviewer aujourd'hui. J'étais à votre dernier concert parisien, et j'ai eu un choc en réalisant que c'était il y a seize ans. J'étais aussi à votre concert de reformation ou d'anniversaire à Londres il y a cinq ans. J'ai l'impression que c'était hier, la relation avec vos fans était très forte, comment faites-vous pour garder ce lien avec votre public après tant d'années?

Aidan : Ce concert était vraiment sympa, j'ai beaucoup aimé le faire.
Malcolm : Je ne crois pas que nous ayons maintenu le lien. Manifestement nous avions nos propres albums, les fans d'Arab Strap ont été délaissés dans un coin pendant dix ans. C'est une bonne surprise qu'ils aient répondu présent pour cette série de concerts et qu'ils aient eu envie de nous écouter à nouveau.
Aidan : Je pense que les gens qui ont écouté Arab Strap ont continué à écouter ce que nous faisions chacun de notre côté. A tous mes concerts il y avait des gens qui venaient me demander quand Arab Strap se reformerait. Du coup cet engouement ne m'a pas surpris.
Malcolm : Personne ne m'a jamais posé cette question ! (rires)

Peut-être que tout le monde était dans le déni. Votre dernier album s'appelait The Last Romance mais le dernier titre sur celui-ci était There Is No Ending...

Aidan : (en rigolant) Ça faisait partie du plan, tout était prévu depuis le début !

Avait-il été facile à l'époque de prendre la décision d'arrêter Arab Strap ?

Malcolm : Je crois que ça a été assez facile et naturel en fait. La tournée américaine avait été infernale et ne nous avait pas particulièrement plu. Les ventes d'albums et de tickets de concert n'étaient pas très dynamiques et Chemikal Underground se cherchait (ndlr : fondé par les Delgados, label historique d'Arab Strap mais aussi Mogwai). Nous nous sommes dit qu'il valait mieux quitter le navire avant le capitaine. OK, ça ne fait aucun sens...
Aidan : Continue de creuser ! (rires)

Arrêtons avec le passé. Quand The Turning Of Our Bones est sorti, j'ai cru que c'était une blague d'Halloween de musiciens mourant d'ennui pendant le confinement. De toute évidence ce n'était pas le cas. Saviez-vous dès le début que vous enregistriez tout un album ?

Aidan : Après notre dernier concert en Islande à la fin de 2017, nous voulions continuer à jouer, mais nous voulions aussi proposer de nouvelles chansons pour que ça reste intéressant pour nous aussi. Des chansons dont nous serions fiers et qui fonctionneraient bien avec les anciennes quand nous donnons des concerts.

La première phrase de la chanson, qui est aussi la première chanson de l'album, est "I don't give a f*ck about the past" (ndlr : "je n'en ai rien à f**tre du passé"). Avez-vous ressenti la pression de l'héritage d'Arab Strap quand vous avez composé ?

Aidan : Je ne crois pas, je n'ai pas vraiment ressenti de pression. Si nous n'avions pas aimé ce que nous faisions, nous l'aurions jeté à la poubelle. Il y a pas mal de chansons que nous avons écartées. Certaines étaient assez bonnes mais elles ressemblaient trop aux anciennes chansons d'Arab Strap, nous ne voulions pas être accusés de capturer le passé.
Malcolm : Et nous n'avons rien à foutre du passé (ndlr : Malcolm, derrière sa timidité, est très pince-sans-rire, et fait bien marrer Aidan, il est évident que le duo fonctionne très bien) !

Combien de chansons avez-vous écrites pour l'album ?

Malcolm : Quinze ou seiez, il y en a quatre qui ne sont pas complètement terminées.
Aidan : Oui il y en a quelques unes que nous finirons tôt ou tard. Nous devions bien avoir vingt instrumentaux et des paroles pour seize d'entre eux.

C'était comment de retravailler ensemble ?

Malcolm : Super (ndlr: d'une toute petite voix, Adrian et moi éclatons de rire alors Malcolm se sent obligé d'élaborer un peu). Oui, c'était vraiment super et assez simple. Nous aurions pu reprendre le flambeau Arab Strap et nous sentir obligés de faire les choses d'une certaine manière, mais je ne pense pas que nous ayons ressenti de la pression. Les premières démos étaient The Turning Of Our Bones, Compersion Pt. 1 et Another Clockwork Day et nous avons trouvé que c'étaient de bonnes chansons. Du coup nous nous sommes dit que c'était facile de refaire de la bonne musique ensemble et même amusant.
Aidan : C'était super !

Pourquoi maintenant ?

Aidan : Je ne sais pas, rien n'est vraiment prémédité. Nous voulions avant tout donner à nouveau des concerts et voir ce qui se passerait. Et puis nous avions nos propres projets. En 2018, quand nous avons commencé à travailler sur les chansons, nous venions de sortir des albums (ndlr: Bananas pour Malcolm et Here Lies The Body avec RM Hubbert pour Aidan). Ce n'est pas comme si nous ne faisions rien depuis Arab Strap...
Malcolm : Nous savions déjà comment l'album s'appellerait et le thème des chansons donc il fallait que ça coïncide avec une pandémie globale ! (rires)

C'est un gros projet...

Aidan : Malcolm a tout planifié dans son labo.

Blague à part, qu'avez-vous appris pendant cette période en dehors d'Arab Strap ?

Malcolm : Ne splittez jamais un groupe !
Aidan : Je ne sais pas. A part gagner en maturité avec l'âge, ce qui est normal, je ne pense pas avoir tant changé. J'écris peut-être davantage à la troisième personne. Arab Strap était un peu comme un journal intime, un peu introspectif. Je me sens un peu plus distant maintenant. Il y a aussi l'évolution technologique avec de nouvelles applications ou programmes.
Malcolm : La séparation nous a peut-être aussi aidés à davantage apprécier les chansons et les albums que nous avons fait ensemble. Je crois que c'est quand nous avons fait les concerts de reformation et la compilation que nous avons réalisé pour la première fois que ce que nous avions fait était vraiment positif et que nous pouvions en être fiers. Quand tu es dans un groupe et que tout change en permanence c'est plus difficile à réaliser. C'est bien de prendre du recul, et de l'apprécier. C'est sympa.

Sur vos albums solo respectifs il y avait souvent d'autres musiciens invités. Pourquoi n'est ce pas le cas sur le nouvel album d'Arab Strap ?

Aidan : Nous étions contents de retrouver les trois mêmes personnes que sur le premier album : nous deux et Paul Savage à la production. Il est très demandé comme producteur, il a fait beaucoup de choses en vingt ans (ndlr : co-fondateur des Delgados et du label Chemikal Underground, il a aussi travaillé avec Franz Ferdinand, The Twilight Sad, Belle And Sebastian...). C'est la même équipe mais avec la technologie d'aujourd'hui et les connaissances que nous avons accumulées depuis quinze ans. Nous avons très tôt décidé que ce serait juste nous trois.
Malcolm : Nous n'avons pas de formation musicale. Nous avons joué avec des musiciens qui étaient bien meilleurs que nous et qui nous disaient que cet accord ne peut pas aller avec cet autre accord, que ce n'est pas comme ça qu'il faut faire... Du coup, quand c'est juste Aidan et moi, nous faisons des choses qui sont parfois un peu bancales, qui ne sont pas parfaites, mais c'est ce que nous aimons dans la musique.

Parlons un peu des chansons de l'album. J'ai du rechercher ce que compersion voulait dire, est-ce à propos de la joie que vous avez eu de voir l'autre évoluer dans sa carrière solo ?

Aidan : (en rigolant) C'est une métaphore pour la joie que j'ai éprouvée de voir Malcolm jouer live avec son groupe. C'était comme voir Arab Strap sans moi, en étant de l'autre côté du miroir.
Malcolm : Pour ton information, j'ai aussi dû rechercher la définition sur internet.
Aidan : Les gens qui croient en la polygamie et dans le partage de leur partenaire ont tout un vocabulaire. Une licorne est une femme qui veut être en relation exclusive avec un couple et on l'appelle une licorne parce qu'elle est très dure à trouver et n'existe probablement pas. Fluid bonding, c'est quand on est autorisé à échanger des fluides avec d'autres personnes. J'étais fasciné par ce vocabulaire.
Malcolm : Je croyais que c'était à propos de jouets, que les gens allaient acheter une licorne...

Le titre Compersion Part 1 laisse-t-il entendre qu'il existe une seconde partie ?

Aidan : Non, c'est une blague parce que ça se termine plutôt mal donc il n'y aura jamais de seconde partie.

Pour rester dans ce thème de la compersion, parmi les projets solo de votre partenaire, lequel préférez-vous ?

Malcolm : Probablement son premier album solo avec Bill Wells.
Aidan : Le premier ou le dernier album de Malcolm. Comme je participais sur le premier, ça le disqualifie probablement, donc, ce sera le dernier, Bananas, je le trouve génial.
Malcolm : Merci !
Aidan : De rien !

Pour en revenir à l'album, j'adore le mot Kebabylon. Je n'arrive pas à croire que personne ne l'ai utilisé avant...

Aidan : Il y a quelques Kebabs qui s'appellent comme ça. Le mot est en fait utilisé pour décrire ce dont je parle dans la chanson : les suites d'une soirée ou tout le monde finit ivre avec des tâches de kebab. J'ai essayé d'utiliser ce mot dans une chanson depuis des années, mais Malcolm y avait toujours été opposé, jusqu'à ce qu'il entende les paroles.
Malcolm : Pas du tout, j'adore les kebabs.

Quelle est votre chanson favorite sur l'album ?

Malcolm : J'aime beaucoup Kebabylon. Je pense que ma favorite est The Turning Of Our Bones, c'est vraiment une très bonne chanson, même si elle est un peu bizarre. J'ai beaucoup aimé tout le processus d'écriture et les arrangements.
Aidan : The Turning Of Our Bones est aussi ma préférée. C'est la première que nous avons écrite, et la première que nous ayons enregistrée et parce qu'elle sonne si bien, ça nous a encouragé à en écrire davantage. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure, mais c'est celle à laquelle je suis le plus attaché.

Quelle est la dernière chanson écrite pour ce disque ?

Aidan : Ça doit être I Was Once A Weak Man, parce que nous avons dû la terminer quand nous sommes retournés en studio. Ou peut-être Just Enough, il y a eu beaucoup de mixes de cette chanson.
Malcolm : Je ne sais plus. Peut-être Here Comes Comus!, il y a aussi eu beaucoup de versions celle-ci.
Aidan : Je ne me rappelle plus, une de celles-là. Just Enough et Here Comes Comus! étaient une de celles que nous n'arrivions pas à finir, c'est l'une ou l'autre. Il doit y en avoir au moins dix versions.

Comment avez-vous su que l'album était terminé ?

Aidan : Quand nous avons eu assez de chansons qui allaient bien ensemble. Nous avons quelques chansons que nous n'avons pas sélectionnées parce qu'elles auraient trop détonné avec le reste.
Malcolm : Il nous restait trois semaines en studio en mars dernier pour finir l'album quand nous avons dû nous mettre en confinement. Et quand nous avons pu sortir à nouveau, nous sommes retournés en studio pendant cinq semaines. Ce temps entre les deux nous a aidés à prendre du recul, à voir ce qui manquait, ce qui pouvait être amélioré, ce qui devait être mis de côté pour plus tard.
Aidan : Pendant le confinement nous avons travaillé sur nos archives, ce qui nous a pas mal occupés. C'était bien de faire autre chose et de ne pas écouter le nouvel album. Sans le confinement nous aurions fini l'album de manière plus précipitée. Il aurait probablement été un peu plus court, probablement un peu moins bon aussi, mais tout de même correct. Bref, c'était bien de pouvoir faire cette pause avec le confinement.

Dans la situation actuelle, c'est difficile de se projeter et de faire des plans, mais je dois quand même vous poser la question. Quels sont vos projets ?

Malcolm : Nous avons quelques dates prévues au Royaume-Uni en septembre, nous ne sommes même pas sûrs qu'elles pourront avoir lieu, mais nous croisons les doigts. L'année prochaine nous irons en tournée là où nous le pourrons, le Brexit a un peu compliqué les choses.
Aidan : Je ne suis pas sûr que la tournée de septembre puisse avoir lieu, mais je l'espère. Nous allons essayer de faire des choses intéressantes en ligne.

Vous avez parlé d'autres chansons inachevées. Y aura-t'il un autre album prochainement ou faudra-t'il attendre encore seize ans ?

Aidan : Je ne sais pas, nous n'en avons pas vraiment parlé. Nous voudrions faire un single ou un EP avec les chansons restantes. Nous voulions aussi faire trois 45 tours pour l'album, mais avec la pandémie nous n'avons pas eu le temps de les fabriquer, donc il y a quelques faces B en réserve. Nous ferons sans doute quelque chose cette année.
Malcolm : Il y a quelques bonnes chansons qui n'étaient pas prêtes pour l'album, on commencera peut-être par un EP.
Aidan : Nous avons aussi fait une petite démo il y a quelques semaines avec Malcolm au piano pour un flexi disc disponible chez Monorail Music, un disquaire de Glasgow. J'ai beaucoup aimé faire quelque chose de très simple. Si nous trouvons une raison de faire quelque chose, nous le ferons.