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Peter Hook & The Light
Yuck

Fontenay-sous-Bois, Les Aventuriers - 20 décembre 2013

Live-report par Xavier Turlot

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La soirée de clôture du festival Les Aventuriers à Fontenay-sous-Bois offre une magnifique affiche en ce vendredi soir d'avant fêtes. Les choses n'ont pas été laissées au hasard pour la conclusion de la 9ème édition, en invitant la New-Yorkaise Frankie Rose pour ouvrir les festivités.

Le show démarre à 20h pétantes dans la salle Jacques Brel qui offre une configuration inhabituelle pour un concert de rock puisque la minuscule fosse laisse immédiatement place à des gradins qui n'aident pas forcément les choses à dégénérer. La prolifique Américaine (trois albums en trois ans) attaque son set de dream pop atmosphérique aux accents shoegaze. Les titres d'Interstellar et Herein Wild sont déroulés avec élégance, non sans rappeler les textures lyriques d'Au Revoir Simone ou de Beach House, que l'on pourrait sans prendre de risques qualifier de grands frères artistiques. Frankie Rose jongle entre froideur mélodique et influences tropicales pour élaborer sa musique, mélangeant ainsi les températures et les humeurs pour en tirer son univers. Les musiciens sont franchement statiques sur scène, et le public encore épars semble les écouter avec une curiosité polie, mais le côté passe-partout de ces sonorités récolte son lot correct d'applaudissements. Les singles Know Me et Night Swim (grandiose chanson !) récoltent un franc succès, sans doute corrélés à la timidité de la chanteuse qui n'a pas l'air du genre à s'imposer par la force.

Il est temps pour le quatuor Yuck de se produire, dorénavant sans Daniel Blumberg, pour défendre leur disque Glow & Behold sorti en septembre dernier. Ils attaquent avec leur single plutôt efficace Middle Sea puis enchaînent avec le noisy Holing Out tiré du premier album. Si la musique de Yuck est excellente en studio, le rendu en live est plus mitigé. L'idée pour Max Bloom de se positionner sur le côté alors qu'il est le chanteur unique sur à peu près tous les morceaux est assez étrange et déstabilise dans un sens négatif. Le haut du pavé est laissé à la bassiste dont le jeu scénique est quasi nul, et les performances vocales sollicitées sur une seule chanson. Un autre écueil dérangeant est la capacité vocale de Max Bloom, qui a l'air de peiner sur chacun des titres interprétés. L'Anglais manque cruellement de puissance et de justesse, et des morceaux comme Lose My Breath ou Rebirth, qui sur leur album passaient très bien, sont ici gâchés par cette lacune. L'excellent single rétro Get Away subira le même sort : le refrain authentiquement excellent est ici poussif et presque faux. La brit pop de Nothing New a dû recevoir une bonne dose d'auto-tune en studio, car ce soir elle est chancelante. Jonny Rogoff, le batteur, se donne à 10%, et l'absence de jeu de scène ruine la fraîcheur originelle des titres. Il faut se rendre à l'évidence : Blumberg était la moelle épinière de la formation, et son départ est plus que préjudiciable sur scène. The Wall, Georgia... tout défile en laissant la même déception nous envahir. C'est dommage car la matière est bonne.

Pas le temps de s'apitoyer, car il est l'heure pour le vétéran de Joy Division et de New Order, Peter Hook, d'entrer sur scène accompagné de sa formation The Light. Joy Division a cette très rare particularité de rassembler un public aux âges très variés. Souvenir de la fin des années 1970 pour certains, pourfendeurs du rock progressif pour d'autres, ou encore porte-étendards de la new wave qui ne cesse d'influencer la musique indépendante actuelle depuis des années, le groupe de Ian Curtis a des adeptes de tous les côtés de la pyramide démographique. Et quoi de plus hipster que la synth-pop de New Order ?
Arborant un t-shirt à l'effigie de Stewie Griffin, Peter Hook choisit d'attaquer en douceur avec Ceremony. La pochette culte d'Unknown Pleasures trône dans le fond, le fantôme de Curtis plane, la machine à remonter le temps est en place. Pour se libérer de la contrainte instrumentale, il a choisi de se faire accompagner d'un second bassiste, ce qui est une configuration assez inhabituelle et intéressante. Une guitare stridente et incisive, une batterie aux sonorités synthétiques et bien évidemment le synthétiseur kitsch qui a fait toute la gloire de New Order viennent compléter le tableau. Digital et son refrain possédé déchaînent le public, qui connaît le morceau par cœur et accompagne Peter Hook à l'unisson. La fosse est maintenant comble, toutes les personnes qui l'ont pu sont descendues pour suivre le guide, qui semble possédé, et va jusqu'à perdre l'équilibre et cherche à rallier ses fans par d'amples gestes du bras.
Le Mancunien mouille le maillot et n'a pas l'air décidé à calmer le jeu, puisqu'il choisit d'enchaîner avec Isolation et ses synthés chancelants, puis avec la cultissime Disorder, hymne macabre et désabusé qui reste l'une des chansons les plus marquantes du 20ème siècle. Le public se déhanche dans la moiteur. Peter Hook réussit à approcher la voix de Ian Curtis avec une aisance étonnante; le même timbre caverneux et monocorde, autant à l'aise dans les couplets sombres et calmes que dans les refrains hystériques et lumineux. Tout le public l'accompagne sur les « feeling, feeling » de fin de morceau. Le meilleur de Joy Division continue d'enflammer la salle, avec l'interprétation de Transmission et son incandescent riff de guitare, puis bien sûr de Love Will Tear Us Apart et son synthé aérien. Aucun risque d'affaiblissement du côté du public, ni de Peter Hook qui donne tout ce qu'il a entre chant et riffs de basses d'outre-tombe.

Place enfin au patrimoine musical de New Order, qui auront presque autant marqué les années 1980 que les Smiths. Age Of Consent, un morceau de 1983, s'en sort très bien sans Bernard Sumner, et quand viennent les sommets de synth-pop, le concert devient vraiment délectable. Everything's Gone Green arrive avec ses gros sabots d'arpégiateurs électro et de riffs fulgurants, transformant l'ambiance rétro en atmosphère clubbing. On nous donne l'occasion de constater ce que les groupes actuels ont puisé dans cette période prolifique, où l'innovation était la règle d'or. Peter Hook pourrait avoir 25 ans. La beauté sidérante de Your Silent Face enrobe l'espace et nous propulse dans une stratosphère vaporeuse; Peter Hook attrape un mélodica d'enfant et en tire cette mélodie légèrement maladroite qui participe à cet échafaudage osé. Les longs passages instrumentaux sont justes, fins et subtils, entourant le phrasé apaisé de Peter Hook, ici beaucoup moins guttural.
Il est aussi temps pour le batteur de taquiner son pad pour en retirer tout le kitsch et le flamboyant sur True Faith, sommet de la mélodie qui tache en connaissance de cause. Le titre rappelle le sens du single qu'avaient les artistes à cette époque, qu'ils soient foireux ou brillants, misant tout sur des rythmes disproportionnés et des arrangements superposés jusqu'à ce que l'oreille humaine ne puisse plus les dénombrer. Arrive enfin le single que tout le monde attendait : Blue Monday. La chanson la plus célèbre de New Order, 7 minutes 30 au compteur, s'ouvre par sa ligne de synthé reconnaissable entre mille et met immédiatement le feu aux poudres. Quand la batterie électronique et la basse en octaves viennent faire démarrer cette locomotive infernale, le concert atteint son paroxysme d'intensité. La fin du show est une explosion sonore de dix minutes qui va imprimer cette ultime mélodie dans la mémoire des spectateurs pendant le reste de la soirée.

Peter Hook est ce soir parvenu à nous transporter dans le passé avec une authenticité, un talent et une exigence incroyables. Il réussit à dépoussiérer les titres de Joy Division sans en dérober l'âme, avec énergie et passion.
setlist
    YUCK
    Middle Sea
    Holing Out
    Lose My Breath
    Get Away
    Rebirth
    Nothing New
    The Wall
    Georgia
    Age Of Consent (New Order cover)
    Operation

    PETER HOOK & THE LIGHT
    Ceremony
    Digital
    Isolation
    Disorder
    Transmission
    Love Will Tear Us Apart
    Dreams Never End
    Age of Consent
    Everything's Gone Green
    Your Silent Face
    True Faith
    Temptation
    Blue Monday
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