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TV Smith
UK Subs

Paris, Petit Bain - 22 janvier 2014

Live-report par Jeremy Leclerc

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Mercredi soir, on buvait la tasse au Petit Bain, sur les bords de Seine. Il faisait froid et une petite pluie fine s’était mise à fouetter le sol de la capitale en fin d’après-midi, alors que la lumière du jour avait déjà tiré sa révérence. Marcher le long des quais à ce moment-là, fouetté par un vent froid et humide a tout d’une balade sur les docks anglais. Dans le noir, les feux rouges, oranges et verts, sont les seuls résidus de couleur de ce paysage post-industriel. Quel genre de personnes se rend à un concert de punk en 2014 ? Pour certains, le punk est mort depuis que la grande gigue Joey Ramone a cassé sa pipe en 2001. Il est en tout cas remisé dans les placards des musées. Vu la populace avant l’ouverture des portes du Petit Bain, on miserait sur de vieux canassons de cinquante balais, désireux d’effleurer du bout des doigts les souvenirs plein d’adrénaline de leur glorieuse jeunesse. Pas grand monde sous les gouttes glacées, à part quelques taiseux vêtus de noir.

Ce soir, tout se passe à fond de cale d’une barge flottante. Escalier, poutres métalliques, lumière tamisée rouge soufrée, et le bar au fond de la salle bientôt assailli par les soiffards qui jamais ne cesseront les allers-retours vers la terre sainte. Le défilé hiver punk 2014 voit son lot de Doc Martens, basses, hautes, à clous, de jeans serrés délavés à la javel, jeans troués, du cuir, du vieux cuir, du vécu, des crêtes, des cheveux décolorés, du bleu, du rouge, des couleurs, de l’extravagant. Et ce camaïeu de personnages de se réunir pour fêter les illustres UK Subs et leur vingt-quatrième album sorti l’an dernier. Un avant-goût de la maison de retraite.

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Les instruments sont déjà en place sur scène quand le groupe de la première première partie débarque par surprise : Sugar & Tiger. Didier Wampas torse-poil, pour pas changer, et sa family, ses fils à la batterie et à la guitare, Jean-Mi des Wampas à la basse, et une jeune rousse au micro, Florence, qui n’aura de cesse d’hypnotiser les mecs dans la salle, grâce au généreux tumulte mammaire contenu par son t-shirt moulant. De loin on jurerait voir une lycéenne en Terminale littéraire, de près on jurerait voir la mère d’une lycéenne en Terminale littéraire. OK, si elle avait eu son gosse à 16 ans, parce qu’elle fait jeune en fait mais pas trop. Bref, de toute façon c’est la meuf de Didier donc pas touche. Comme à son habitude, le Wamp' joue des riffs punks abrasifs comme s’il était dans une cour de récré : détendu, prompt à balancer sa guitare de tous les côtés comme un gosse hyperactif. Le public clairsemé l’acclame et Didier de chanter à tue-tête de la pop naïve enrobée comme s’il était dans sa salle de bain. Après trente minutes, clap de fin... « il nous reste trois minutes » annonce Didier. Florence se tourne vers lui : « on rejoue la première chanson ? ». « La première chanson c’était pour ceux qu’étaient là au début » tranche-t-il finalement. Dernière chanson, applaudissements, c’était cool, détente.

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La salle s’est peu à peu remplie pour accueillir, quelques minutes plus tard, TV Smith. Cinquante-sept balais, cheveux blancs, marcel, jean trempé dans un bain d’eau de javel, Docs : vieux punk ; on croirait voir un spectateur voulant voir si la vue était pas meilleure depuis la scène. Guitare folk pendue à son cou, Tim Smith frappe les cordes de sa folk comme s’il voulait se flageller. Entre les morceaux, il parle un français bancal mais saupoudré d’un humour à l’anglaise charmant. Ce mec-là a de la classe. En vraie moissonneuse-batteuse punk infatigable, il réussit à donner naissance dans tout ce vacarme à de très belles mélodies - « In the arms of my enemy » - reprises parfois en cœur par le public, ou encore Into Gary Gilmore's Eyes, single célèbre de 1977 qu’il jouait avec son ancien groupe des Adverts dans un Londres pris alors à la gorge par les jeunes punks. La voix de TV Smith, c’est quelque chose. Il y a encore chez lui un feu qui brûle, qui prend forme dès lors qu’il chante, qu’il attaque les – quatorze – chansons avec cette voix éraillée et sulfureuse. On peut être proche de l’âge légal de la retraite, et jouir sur scène comme un ado.

Il fait chaud et moite à présent. La salle est pleine à craquer. Les allers-retours au bar se font plus fréquents. A droite, des mecs en perfecto, crête décolorée ; à gauche, un dandy de quarante, peut-être cinquante ans, veste bleue, foulard rouge noué autour du cou, peut-être le frère jumeau de Rod Stewart. Dès lors que les UK Subs sont montés sur scène, la soirée a pris une autre tournure. La salle s’est transformée en une piscine bondée un après-midi de juillet, canicule oblige. Problème : au lieu de jolies filles en bikini, la populace est du genre ivrogne en t-shirt suintant de sueur et de poils. Vous n’auriez pas été à l’abri de choper une maladie avec ce genre de gugusse.

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Le punk de 1976 est à Paris mais il a pris quelques kilos et le poids de l’âge. Charlie Harper, le chanteur, ressemble à un gros coléoptère rigolard, ballotant les épaules, accroché à sa cannette de Heineken autant qu’à son micro. Quand il gigote, c’est Babar qui court un cent mètre sur place. Sous le feu des projecteurs, la fosse tangue de droite et de gauche. Des vagues de jeunes – et de vieux – punks se rentrent dedans, se brisent et y retournent encore, morts de faim, excités par les riffs tranchants des UK Subs. C’est une hystérie en vase clos. Le sosie de Rod Stewart me hurle dans les oreilles tandis qu’il brasse l’air sur les rythmes lourds et nerveux de la batterie. Il se retourne une dernière fois, avale d’un trait sa bière, balance le gobelet devant – qui ne manque pas d’atterrir sur la tête d’une victime innocente – et se jette dans la mer déchaînée. Si l’énergie bouillante et un peu débile – comme souvent avec le punk – de la musique des UK Subs excite, le manque d’originalité dans la construction des morceaux a tendance à faire somnoler celui pour qui ce n’est pas le genre de came habituellement consommée. Surtout quand ça dure des plombes. Une heure en l’occurrence. Le dernier tiers du concert est un long tunnel dans lequel on attend avec impatience la sortie, pas déçu du voyage mais impatient d’arriver à bon port. Après deux rappels, les UK Subs se traînent dehors. Une partie du public reste dans la salle, à écumer les bières jusqu’à tard dans la nuit.

Dehors, il a cessé de pleuvoir. La ville est déserte et les feux de signalisation se reflètent sur le macadam détrempé. On entend au loin le bruit étouffé de la musique qui résonne encore au Petit Bain. A moins que ce soit un acouphène.
setlist
    TV SMITH
    Only One Flavour
    No Time To Be 21
    First One To Sign Up
    Coming In To Land
    Expensive Being Poor
    Immortal Rich
    You Saved My Life Then Ruined It
    La Grosse Prise
    Good Times Are Back
    In The Arms Of My Enemy
    Lion And The Lamb
    Gary Gilmore's Eyes
    Bored Teenagers
    One Chord Wonders

    UK SUBS
    Non disponible
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