Ce n'est pas aux vieux singes qu'on apprend à faire la grimace, certes, mais les plus jeunes ne sont pas en reste pour autant. Le temps d'un premier album turbulent mais jamais malveillant, Cheatahs ont prouvé que le mélange des genres peut avoir bon goût, et que les fantômes des Noël passés savent parfaitement cohabiter. Shoegaze, punk rock, grunge, dream pop, nombre de ces choses qui ont embrasé notre folle jeunesse passent ainsi dans les mains d'un disque synthèse, forcément vintage, pas dénudé d'intérêt mais en quête d'une réelle personnalité.
Rien de préjudiciable ceci dit, ou qui puisse altérer d'une quelconque manière ce qui constitue notre motivation du soir : en dépit de la moiteur ambiante et qui suinte par toutes les rues de Paris, direction la Flèche d'Or pour assister au set donné par nos jeunes anglais en ouverture de Cloud Nothings, qu'ils accompagnent le temps de quelques dates européennes.

A peine entré dans la salle de concert, on se remémore les heures sombres de notre histoire avec le 102 Bis Rue de Bagnolet : il fait déjà très lourd alors que la salle est tout simplement vide de monde, et quand bien même les portes menant à la terrasse se présentent à nous, béates, la bouche grande ouverte. La bière, elle, reste heureusement bien fraiche, et c'est donc sans retenue que l'on se dirige vers le bar pour s'amouracher de ce précieux breuvage.
A la Flèche d'Or, on a souvent eu à attendre plus que de raison, et on ne s'est donc jamais pressé pour rejoindre la salle un soir de concert. Ce soir, les festivités s'amorcent plutôt bien puisqu'il est à peine 20h (ouverture de portes une demi-heure avant) quand Nathan Hewitt, James Wignall, Dean Reid et Marc Raue se décident à monter sur l'estrade. Les shoegazers sont connus pour être moins intéressés par leur public que par leurs propres pieds, d'où le nom qui leur a été donné, et c'est donc en toute discrétion, guidés par leur probable et impérieuse timidité, que les membres du groupe font leur apparition sur la petite scène. A n'en pas douter, cela participe à leur charme, mais s'ils avaient un peu plus observé la salle, ils auraient pu apprécier la vitesse à laquelle, en l'espace de quelques secondes seulement, une espace au préalable sans vie peut se transformer en une formidable concentration d'âmes humaines.
Passé un bref « Hey, we're Cheatahs », les Anglais retournent à leur bien aimé silence pour laisser s'exprimer ceux qui ne connaissent pas la peur d'être dans la lumière. Leurs instruments, puisque c'est d'eux dont il s'agit ici, ne perdent pas la moindre seconde, envoyant valdinguer contre les murs quelques saturations bien senties en guise d'introduction au morceau
Geographic, véritable hommage à My Bloody Valentine.

A ce stade, nos amis semblent encore mal à l'aise, mais s'ils ne pourront pas ce soir prétendre au titre de « bêtes de scène », reste qu'ils ne faudra pas attendre la fin du set pour en voir certains se lâcher un tantinet plus, notamment pendant les titres les plus grunge de leur jeune répertoire (
Get Tight,
Kenworth), et durant lesquels quelques riffs de guitare fougueux iront de pair avec des guitares levées et des têtes se fracassant violemment contre des murs invisibles (et pas besoin de cheveux longs pour ça!). Entre insouciance et poussées d'adrénaline, le set de Cheatahs voguera en tout cas bien droit jusqu'à son terme, non sans faire monter en nous un sentiment assez agréable, car particulièrement régressif.
Parce que c'est dans son habitude, le public reste lui très sage. Certes un grain de folie supplémentaire, et un niveau sonore moins contenu (quoi de mieux pour apprécier un mur de décibels ?) n'auraient pas été de refus pour que nous aussi, nous lâchions plus volontiers la bride. Un point qui ne semble pas affecter le groupe pour autant, et qui, par la voix de son chanteur, nous gratifiera de quelques remerciements ici et là.
Et puis, au bout d'une petite demi-heure, Cheatahs prennent pour la seule et unique fois la direction des backstages, laissant derrière eux une scène à leur image : brute, sans fioritures, et qui finalement, ne jure par rien d'autre que par la musique.