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Cuckoolander
The Libertines

Paris, Zénith - 30 septembre 2014

Live-report par Olivier Kalousdian

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Généralement, il faut bien vingt ans pour qu'un groupe, ayant jaugé l'épaisseur de son aura, sa capacité à se supporter de nouveau ou ses besoins financiers urgents (après une assignation au tribunal pour reconnaissance de paternité, par exemple) décide de se reformer. Mais, dans une société de l'immédiateté, tout va plus vite. Et, dorénavant le rock lui-même ne saurait y échapper. Alors, quand il s'agit d'aller assister à la reformation d'un monument, récent mais fait du meilleur des plastiques bon marché qu'affectionnaient leurs aînés punk de Camden Town, on avance frileux avec un petit doute, légitime dans le bien fondé du retour des deux frères ennemis (une habitude dans le rock UK) des Libertines.

Pendant des années, ils ont défrayé la chronique en étalant leurs frasques et leurs rancœurs, noyées sous des litres d'alcool saupoudrés de brown sugar, mais Peter Doherty et Carl Barât se sont retrouvés. Officialisant leur retour en juillet 2014 pour un premier concert de de ce qui fut le meilleur groupe (et de loin) punk rock anglais du début des années 2000.
Après ce concert du 5 juillet dernier au Hyde Park de Londres (nonobstant leur concert au Reading de 2010) devant des dizaines de milliers de fans totalement hystériques (des bagarres de « joie » éclateront pendant le concert), c'est au tour du Zénith de Paris de recevoir, dix ans plus tard, les quatre libertins du rock londonien que sont Peter Doherty, Carl Barât, John Hassall et Gary Powell.

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En ouverture des ex-stars du début de ce siècle, plusieurs groupes sont programmés, dont Cuckoolander. Il existe une traduction possible pour ce nom, peu banal : avoir la tête dans les nuages, ou la tête ailleurs. Première partie des Libertines pour la majorité de leurs concerts de reformation depuis Hyde Park, Holly Hardy, la jolie londonienne qui mène le Cuckoolander, offre une voix tout en flânerie et une musique iconoclaste naviguant entre un folk rock nerveux aux riffs lourds (Dumb Dee Diddy Dumb) et une électro pop sombre (What's Out There) épicée par une basse slapée et boostée d'effets, aux mains de la chanteuse. La dichotomie de styles entre cette formation et le groupe principal de la soirée laisse pantois l'assistance : un choix original, pour le moins en ouverture du rock urgent et stroboscopique des Libertines, que rien ne rapproche de leurs aînés. Avec un seul EP à venir le 12 octobre prochain, le set fut aussi court qu'ignoré par la majorité du public venu en découdre plus ardemment en cette chaude soirée d'automne. Repérée par le label, Neon Gold, Cuckoolander donne le ton du concert de ce soir : approximatif, comme le sera la suite.

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Deers est un groupe uniquement féminin. Quatre filles originaires de Madrid, à peine majeures et à peine connues, mais qui ont assez de culot pour précéder les Libertines dans un Zénith bouillonnant. Une tache compliquée qu'elles préfèrent expier dès le début de leur set en chantonnant un de leurs titres, histoire de détendre une atmosphère alourdie par le groupe les précédant. Avec leur look de teenagers très « swag », ces espagnoles dont le cœur balance entre la folk pop et les plus minimalistes des titres du Velvet Underground, mettent l'accent sur les cordes et les percussions simplistes, telles que les affectionnaient Moe Tucker. Bruts d'orchestration, les titres Bamboo et Trippy Gum ne se compliquent pas la vie. Une ligne de basse simple et répétitive, une guitare rythmique légère et un tempo basique ; chez les Deers, ce sont les chœurs et les couches de chants juvéniles superposés qui comptent. Cinq titres et puis s'en vont. L'heure est venue pour le combat rock.

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21h30. Une fois de plus, Peter Doherty se fait attendre et joue avec les nerfs de son public. Le Zénith affiche complet. Les tremplins rock des premières parties ayant laissé les 5000 personnes présentes – dont Philippe Manœuvre et le tout Paris des médias rocks qui comptent – sur leur faim, c'est peu de dire que les Libertines sont guettés comme le lait sur le feu ! Si Carl Barât a revêtu l'uniforme rouge de feu les Libertines, version 2002, Peter Doherty, lui, n'a pas quitté ses habits et son chapeau de chanteur solo, tel qu'on a pu le voir il y a quelques semaines encore à la Flèche d'Or. Cette différence d'appréciation vestimentaire prendra tout son sens durant le concert.
Par-devant un écran de projection géant où est retransmis le concert avec des effets de pellicule noir et blanc rayée et très abîmée par le temps (autre symbole), les quatre de Londres déroulent tous les titres de leurs deux (et uniques) premiers albums : The Delaney, Campaign Of Hate et Vertigo permettent, enfin, aux milliers de fans de relâcher cette terrible pression accumulée depuis leur séparation et de tanguer, sans pour autant chavirer.

Peu d'entre eux ont eu la chance de voir les Libertines en live, pendant leurs heures de gloire. Times For Heroes, Horroshow ou Begging voient les premiers crowdsurfers se jeter à l'eau et risquer de goûter au sol rugueux de la salle du Zénith. Il règne un sentiment de nostalgie (déjà !) qui, comme on pouvait malheureusement s'y attendre, va se retourner contre le groupe. Car, il faut bien l'admettre ce qui a fait la toute puissance des Libertines – la spontanéité et l'urgence rock, que seuls les punks et post-punks avaient su insuffler – n'est plus qu'un lointain passé couché sur clusters...
Carl Barât et Peter Dorherty semblent plus proches que jamais et vont même jusqu'à mimer un baiser en plein riff. Mais tous deux tirent les solos de leur coté et la couverture qui va avec. Peter Doherty, dans un registre d'improvisation qu'il affectionne, et Carl Barât, dans l'application stricto sensu des notes des seuls titres qui ont fait sa gloire.

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Comme passé définitivement à autre chose, que ce soit avec les Babyshambles ou en solo, Peter Doherty n'a plus des Libertines que le copyright. Sur What Katie Did, qui marque une première pause pour le reste du groupe, Carl Barât chante seul et semble terriblement diminué par l'absence surprenante des choeurs de son compère. Bucket Shop, interprétée par Carl Barat seul, verra Peter Doherty sortir de scène. Il lui rendra la pareille sur Fuck Forever, histoire de positionner la balance juste entre ces deux héros, dont le temps semble révolu.

Death On The Stairs ou The Good Old Days (un concert semé de symboles, donc) ferment la marche du set sous un déluge de stroboscopes. Bien sûr, on a frissonné sur Can't Stand Me Now, Don't Look Back Into The Sun et beaucoup d'autres titres qui ont été et restent légendaires, mais les désaccords artistiques jusqu'aux désaccords de jeu, tout simplement – Peter Doherty prenant un malin plaisir à jouer en retard ou en avance, pour imposer sa patte – durant cette soirée laissent perplexe une bonne partie du public et un terrible sentiment de déception s'installe, avant même le rappel. Pas moins de quatre titres clôturent le set de ce soir, et Gary Powell à beau y croire ou y avoir cru, ses efforts pour suivre Peter Doherty et Carl Barât sont louables, mais dépassés par un duel de personnalités, un poil puéril. John Hassal, comme pendant les deux heures qui viennent de s'écouler, ne semble toujours pas convaincu d'être au bon endroit, au bon moment. Sa présence sur scène rappelle celle de George Harrison au début des Beatles ; il marque par son total effacement et sa nonchalance. Seule son intervention de toute fin de concert pour remercier le public, en Français, rappelle sa présence dans le quatuor.

Pendant ce temps, Peter et Carl, tombés à terre l'un sur l'autre à la suite de I Get Along pour de nouvelles embrassades appuyées, affolent le service d'ordre se tenant à quelques centimètres des deux trublions et guettant le moindre signe d'hostilité, de part ou d'autre. Il y a eu un temps pour les héros. Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître et ne connaîtront finalement pas.
setlist
    The Delaney
    Campaign Of Hate
    Vertigo
    Time For Heroes
    Horrorshow
    Begging
    The Ha Ha Wall
    Music When The Lights Go Out
    What Katie Did
    Bucket Shop
    The Boy Looked At Johnny
    Boys In The Band
    Can't Stand Me Now
    Last Post On The Bugle
    Fuck Forever
    Love On The Dole
    The Saga
    Death On The Stairs
    Don't Look Back Into The Sun
    Tell The King
    The Good Old Days
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    What Became Of The Likely Lads
    Up The Bracket
    What A Waster
    I Get Along
photos du concert
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