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George Ezra

Lyon, Nuits de Fourvière - 9 juillet 2015

Live-report par Hugues Saby

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Apparemment, l'inspiration pour le premier album de George Ezra, Wanted On Voyage, lui est venue lors d'un tour d'Europe en solitaire. Un storytelling marketing parfait pour celui qu'on présente déjà à tour de bras comme l'héritier de Bob Dylan et de Woodie Guthrie, sorte de saltimbanque habité dans le corps d'un minet de vingt-deux ans. Loin d'un long voyage initiatique de folk singer sur les routes, George Ezra s'est tout simplement payé du bon temps pendant un mois dans les capitales européennes grâce à un pass Inter-rail. Ceci explique cela. Mais nous y reviendrons. Dommage quoi qu'il en soit qu'il ne se soit pas arrêté en Belgique (du moins aucune de ses compositions n'y fait-elle référence). Cela lui aurait permis de s'inspirer de Balthazar, excellent groupe rock originaire de Courtrai.

SOV Le décor est sobre : le nom du groupe en grandes lettres noires, et un podium blanc qui supporte la batterie. L'entrée en scène se fait sur des notes de synthé martiales, suivie par des saccades de violon tout aussi belliqueuses. « Aïe, un violon » me suis-je dit, imbécile que j'étais. Car non, les rockeurs flamands sont bien loin des horribles groupes world music à base d'instruments à cordes qui nous ont un jour ou l'autre traumatisé en festival. Bien au contraire, leur dark folk surpuissante s'accommode parfaitement de cet apport mélodique, utilisé intelligemment (et avec parcimonie) en résonance avec des synthétiseurs bien programmés. Le reste de la formation est classique : guitare électrique et guitare folk, synthés donc, batterie et surtout basse, élément central de la musique de Balthazar. Pour un naïf comme moi, ignorant tout de l'existence de ce groupe, le premier morceau est une gifle. Une claque sonique en pleine poire. Un refrain qui éclate à la gueule après un couplet sournois et menaçant. L'effet de surprise est renforcé par le déhanché des musiciens, et notamment du deuxième guitariste, qui balance son instrument d'une manière jamais revue depuis Elvis Presley. Les Belges alternent entre agressions rock aux mélodies géniales et inoubliables et morceaux plus noirs et plus calmes, rythmés par la guitare folk du lead singer, dont il joue lui aussi d'une manière très inhabituelle : très haut et sans sangle, comme un ukulélé. C'est le cas de Sinking Ship, un de leurs singles phares, qui est pourtant loin d'être leur meilleur morceau. Car la quintessence balthazarienne, ce sont ces morceaux tels celui d'ouverture, aux refrains surpuissants amenés magnifiquement par une section rythmique et notamment une basse exceptionnelle. Une basse qui donne une leçon à la plupart des (mauvais) bassistes du monde, ceux qui en font trop. Une basse à la Kim Deal, moins dans la similarité du style que dans l'art de se retenir, de ne pas jouer la note de trop, celle qui gâche tout. Ajoutez à cela une guitare noyée de réverb qui vient en contrepoint et quatre chœurs qui chantent à l'unisson (tous les musiciens ont un micro voix sauf le batteur), le tout soutenu par une violoniste habile, et vous obtenez un live d'une intensité démentielle. Il se passe un truc, et un sacré. Voilà bien longtemps que je n'avais eu de frissons le long de mes avant-bras lors d'un concert, a fortiori d'un groupe que je ne connaissais pas. Et comme tous les autres groupes venus de Belgique, ils ont en sus une classe inouïe, tout en sobriété et en élégance. Quand les saccades d'accords garage blues tonitruantes, la basse reptilienne et le chant, nonchalant et menaçant à la fois, s'accordent, Balthazar est intouchable.
Usant ainsi du « stop & go » entre couplets et refrains, le quintet parvient à créer des tensions insoutenables qui se résolvent dans une liesse et une énergie folles. En clair : ils ont mis le feu à l'amphithéâtre de Fourvière. Les boucles de synthés psyché hypnotiques qui viennent parachever ces moments de débauche rock'n roll évoquent souvent les Dandy Warhols, tandis que les ballades plus calmes font souvent penser à Venus, tiens tiens. Parfois, une fulgurance totalement inattendue ajoute une touche de dinguerie à cette musique sobre et classieuse, comme ce riff rockabilly sorti de nulle part. Balthazar pousse le détail jusqu'à donner dans le figurisme, transposant les états d'âme torturés de leurs compositions dans leur manière de chanter ou de jouer, comme ce refrain final où ils hurlent en chœur « let's raise our glass to the night » tels des ivrognes magnifiques. C'est donc sans grande difficulté que le groupe belge rafle la soirée, à tel point qu'il aurait mérité son nom en tête d'affiche. Parce que le concert de George Ezra, croyez-moi, ne sera pas la même limonade.

SOV La voici donc la recette de cette limonade industrielle et indigeste. D'abord, un jeune premier britannique de vingt-deux ans que les maisons de disques et les media béni oui-oui ont porté au sommet de la hiérarchie pop en quelques mois à peine. La stratégie : le faire passer pour une réincarnation dans un corps jeune et joli des plus grands folk singers américains. L'arme : un single diffusé en boucle sur toutes les radios : Budapest. L'argumentaire : une voix de stentor, habitée, tourmentée, portant la tradition et la crasse du blues en elle sous les traits d'un jeune homme poupin et bien coiffé. Une sorte de Dorian Gray à l'heure de The Voice. Si l'illusion peut persister à l'écoute du single en question, bien produit et, soyons honnête, bien chanté, elle s'estompe à l'écoute de l'album qui n'est rien d'autre qu'une suite de titres au mieux pub rock, au pire pop FM dégoulinante. Et elle disparaît complètement du radar en live.
Mais où donc ai-je mis les pieds ? Après un bon gros pincement, non, je ne rêve pas : je suis bien aux Nuits de Fourvière. D'où sort donc ce public, mélange de potes lourdingues qui fument des pétards en criant « yeaaaaah » toutes les deux minutes, de mamans quinquagénaires sur leur trente-et-un, de couples bourgeois (j'ai vu un homme en lavallière) venus s'acoquiner en « festival » et qui dansent le rock sur la musique d'installation des roadies, de couples benêts qui s'embrassent sans cesse avec un bruit de succion entre deux récitations des paroles apprises par cœur ? La dernière fois que j'ai vu un mélange pareil, c'était à un concert de Stromae. C'est d'ailleurs peut-être le danger des artistes trop populaires, qui passent à la fois sur les radios pointues et sur Chérie FM. Sauf que Stromae est un vrai artiste, bourré de talent, et un vrai entertainer. Bien loin de l'ami Ezra, qui passe presque plus de temps à se recoiffer et à séduire les « pretty girls » qu'à jouer de la musique.

Parce qu'il les aime, ses « pretty girls », et il n'est pas avare d'anecdotes pour raconter qu'il en a rencontré plein lors de son voyage. Anecdotes évidemment suivies de « ouuuuuuuuuuuuh » hystériques des minettes du public. Bref. Le line-up est classique : une basse (fournie avec son bassiste hipster), une batterie (énorme) et deux guitares, dont une lead (évidemment demi-caisse histoire de booster la street cred, mais là c'est juste ma mauvaise foi qui parle). Quand Ezra monte sur scène, c'est du délire absolu, façon arrivée des Beatles. Vraiment. Il ouvre sur Cassy O', sorte d'hymne rassembleur façon Pogues. Dès les premières notes, le niveau sonore dans le public est stupéfiant. Tout le monde crie, chante, tape des mains. Au moins, eux passent un bon moment. En ce qui me concerne, plus les morceaux défilent et plus j'ai l'impression d'assister à un live de James Blunt. Tout y passe : country FM, pop saturée en arrangements mielleux, guitare « funky », minauderies vocales... Je soupçonne même une pédale wah-wah. Entre chaque titre, Ezra se dandine tel un lover de supérette, remet sa mèche en place, fait ronronner sa voix de crooner pour flatter ses fans. Il a beau donner tout ce qu'il a et sourire sans cesse, rien à faire, il a une tête de poupon tête à claque. Je me dis que ce n'est qu'un mauvais moment à passer, mais le pire est à venir. En milieu de set, l'Anglais, qui est apparemment fan de Dylan (et cela s'entend dans son jeu de picking) se retrouve en effet seul sur scène pour une reprise de Girl From The North Country. Soit l'un des morceaux les plus sublimes jamais composés. Massacre à la tronçonneuse. Il nous reprend ça façon surfeur guitariste autour du feu de camp. J'entends une demoiselle chuchoter à son copain « Je la connais pas celle-là ». Mon cœur saigne.

SOV Chaque morceau est introduit par le chanteur comme figurant sur « the » album, que tous ici ont bien évidemment acheté à la Fnac ou chez Cultura. Arrive une deuxième reprise, I Try, de Macy Gray, puis quelques titres encore avant celui que tout le monde attend. Budapest est accueilli par des hurlements d'un autre monde. Le pire, c'est qu'apparemment, il n'y a jamais mis un pied pour cause de beuverie et de finale d'Eurovision en compagnie de jeunes suédoises la veille du départ. Ça fera au moins un truc rock'n roll dans la soirée.
Le batteur, sorte de sosie juvénile de Michaël Gregorio, en fait des quintaux. Le bassiste surenchérit, on atteint la tonne aisément. Entretemps, je réalise à quel point la basse de ce tube planétaire est pompée sur Ob-La-Di Ob-La-Da (même quand il s'agit de sucer les Beatles, il choisit l'un des pires morceaux, c'est prodigieux). Ma voisine (celle qui ne connaissait pas Dylan) évoque Benjamin Clementine, ce qui ne m'étonne pas vraiment. Après un rappel un peu longuet, le concert s'achève sur Did You Hear The Rain?, sorte d'hallucination pop country qui vire au n'importe quoi. Les musiciens lâchent les chevaux et surjouent de leur instrument, on croirait voir un live de Metallica.

Le public, même novice, cède à la tradition des coussins, et l'air pas rassuré pour un clou de George Ezra qui a peur de s'en prendre un sur le coin de la figure me fait me dire que la soirée est finalement plutôt réussie.
setlist
    Cassy O'
    Stand By Your Gun
    Listen To The Man
    Benjamin Twine
    (Watching Paint Dry) Song 6
    Girl From The North Country (Bob Dylan cover)
    Leaving It Up To You
    Blame It On Me
    Spectacular Rival
    I Try (Macy Gray cover)
    Barcelona
    Budapest
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    Blind Man In Amsterdam
    Did You Hear The Rain?
photos du concert
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